Vous enseignez la liberté d’expression ? N’écoutez pas François Héran ! (par Gwénaële Calvès)

Gwénaële Calvès1 analyse une lettre adressée par François Héran aux professeurs d’histoire-géographie. Publiée dans La Vie des idées2, cette lettre explique comment organiser un cours consacré à la liberté d’expression. Examinant les propositions de l’auteur, Gwénaële Calvès montre qu’elles reposent sur une double confusion « à laquelle il est à peine croyable qu’un tel auteur ait pu céder ».

Dans une lettre aux professeurs d’histoire-géographie récemment publiée par La Vie des idées2b, François Héran explique aux professeurs de collèges et lycées la manière dont il convient d’organiser un cours d’enseignement moral et civique (EMC) consacré à la liberté d’expression.

Il fixe à ses collègues de l’enseignement secondaire un cap qui les entraîne d’emblée très loin des programmes de l’Éducation nationale (et donc de leurs missions), puisqu’il leur demande de « défendre les valeurs républicaines sans nous isoler du reste du monde ». À cette fin, il leur propose une feuille de route où se dessinent deux parcours pédagogiques. Le premier amènerait les élèves à comprendre que l’exercice de la liberté d’expression, en France, doit « respecter toutes les croyances ». Le second leur montrerait que la liberté d’expression est dénuée d’ancrage dans la tradition juridique républicaine, car il s’agit d’un emprunt tardif au monde « anglo-saxon ».

Chacun des deux parcours conseillés par François Héran mène droit à une impasse. Leur tracé résulte en effet, dans l’un et l’autre cas, d’une grave confusion, à laquelle il est à peine croyable qu’un tel auteur ait pu céder.

D’un prétendu droit au respect des croyances religieuses 

Confusion, d’abord, entre le droit positif et le droit rêvé par François Héran. Pour le dire tout net : il n’existe pas, en France, de droit au respect des croyances religieuses3. Il est bien sûr loisible à chacun de prôner la consécration d’un tel droit, qui viendrait limiter — à l’instar par exemple du droit au respect de la vie privée — divers usages de la liberté d’expression. Mais il est impossible d’affirmer, devant des élèves, que ce droit est effectivement opposable à ceux dont les propos heurtent la sensibilité des croyants, ou tournent leur dieu en dérision. Ce rêve (pour d’autres, ce cauchemar) ne saurait être présenté comme une réalité.

« Liberté d’expression » : le mot et la chose

Confusion, ensuite, entre le mot et la chose. Selon François Héran, le fait que des textes constitutionnels ne mentionnent pas, expressis verbis, la « liberté d’expression », signifie qu’ils s’abstiennent de la protéger. C’est ce qui l’amène à soutenir, contre toute évidence historique, que le combat pour la liberté d’expression est, en France, une idée neuve4. Son raisonnement semble pouvoir être reconstitué de la façon suivante. En 1789, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a proclamé que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi » (article 10), et elle a affirmé que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » (article 11). Or selon François Héran, manifester ses opinions, ce n’est pas les exprimer, puisque les bases de données qu’il a pu consulter témoignent d’un usage rarissime, jusqu’au milieu du XXe siècle, du groupe de mots « liberté d’expression ». Pour la même raison, communiquer ses pensées à autrui, parler, écrire, imprimer librement, ce n’est pas vraiment faire usage de sa liberté d’expression, car l’expression « freedom of expression », explique l’auteur, n’a été « traduite en français » qu’en… 1950 ! Sous une plume aussi érudite que celle de François Héran, un tel argument est proprement ahurissant.

Dans la même veine littéraliste d’un primat du mot sur la chose, l’auteur « déduit » du titre de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qu’elle « porte sur la liberté de la presse ». Elle régit en réalité, comme chacun sait — notamment les élèves qui ont suivi un cours d’EMC —, la quasi-totalité des usages publics de la liberté d’expression. Une caricature publiée dans Charlie Hebdo, mais aussi un tweet, un graffiti, un message sur Facebook, le collage d’une affiche…

Tels sont les objets qu’un cours sur la liberté d’expression pourrait choisir de soumettre à la réflexion des élèves. Ce cours doit porter, non pas sur la formule « liberté d’expression », mais bien sur la liberté d’expression elle-même : ses fondements, sa philosophie, ses composantes, ses limites, son régime juridique, en France ou dans d’autres pays.

Quels textes pour enseigner la liberté d’expression ?

Un cours, comme le rappelle François Héran, doit être nourri par l’étude de textes. « Retour aux textes », tel est son mot d’ordre. Mais dans une bibliothèque dont les premiers rayons remontent — au moins — aux Encyclopédistes, comment choisir ? Sans s’expliquer sur cette priorité, l’auteur conseille de « faire découvrir aux élèves des textes “ républicains ” restés un peu dans l’ombre ces derniers temps ». Il recommande tout particulièrement la célèbre lettre que Jules Ferry a adressée aux instituteurs, le 17 novembre 1883, dans le contexte d’un rejet massif, par la hiérarchie catholique, des programmes désormais a-religieux de l’école publique. L’invocation de ce texte de circonstance, dans la lecture résolument anachronique qu’en propose (à des professeurs d’histoire !) François Héran, permettrait — selon lui — aux parents d’élèves de s’opposer à des enseignements « outrageants » pour leurs croyances. Il est pourtant bien certain qu’aucun tribunal n’a jamais accueilli les recours formés par des familles à l’encontre de tel ou tel aspect des programmes : programmes, au début du XXe siècle, d’histoire, de morale et de français, programme de biologie ou d’éducation civique à partir des années 1980, programmes relatifs à la lutte contre les discriminations, depuis quelques années.

On ne comprend pas, surtout, le parti pris de l’auteur, qui consiste à centrer l’étude de la liberté d’expression sur la parole de l’État : contenu des programmes, obligations des agents. Outre la lettre de Jules Ferry, l’autre texte que François Héran suggère d’étudier concerne, lui aussi, les pouvoirs publics, et les pouvoirs publics exclusivement. Il s’agit de la disposition constitutionnelle qui énonce que « La République respecte toutes les croyances ». Introduite à la veille du référendum de 1958 pour rassurer l’électorat catholique, cette disposition, totalement marginale dans la construction laïque et dénuée de tout rapport avec la liberté d’expression, invite l’État à ne pas s’immiscer dans les questions religieuses. Elle ne signifie en aucun cas que « toutes les religions méritent le respect ». Elle impose simplement à l’État et à ses agents de s’abstenir de tout jugement sur la valeur de telle ou telle croyance, dès lors que son expression ne contrevient pas à l’ordre public. Quant aux citoyens, ils sont bien sûr libres de critiquer à leur guise, y compris en des termes virulents ou blessants, la religion en général ou une religion en particulier. L’élève qui aura suivi un cours inspiré par les conseils de François Héran n’aura pas appris cela, ce qui est hautement regrettable.

Mieux vaudrait, selon nous, donner la priorité à des textes qui invitent les élèves à saisir l’importance de la liberté d’expression, avant de leur proposer une réflexion sur les restrictions diverses et variées5 qui encadrent, dans tous les pays du monde, son exercice.

Quelles références au droit ?

Les enseignants chargés des cours d’EMC, qui sont souvent — mais pas exclusivement — des historiens ou des géographes, sont amenés à mobiliser un certain nombre de textes juridiques. Leur formation initiale ne les a pas préparés à cet exercice, qu’ils parviennent toutefois aisément à maîtriser, en se reportant aux nombreuses ressources pédagogiques élaborées par les institutions publiques, et en appliquant les règles de méthode qu’ils mettent habituellement en œuvre dans leur propre discipline.

Il est fondamental qu’ils s’en remettent, ici, à leur jugement, tout en se réservant la possibilité de solliciter, le cas échéant, l’éclairage de juristes. De juristes, c’est-à-dire de gens dont le métier est de produire ou d’étudier le droit. De juristes, plutôt que de sociologues, de politistes, d’historiens, ou, comme dans le cas qui nous occupe, de démographes. Que connaît François Héran au droit de la liberté d’expression ? Rien. Dans une première version de sa lettre aux professeurs d’histoire-géographie, il leur avait doctement expliqué que « la liberté d’expression est une notion encore absente » de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Un professeur de collège ou lycée, qu’on imagine interloqué par une telle affirmation, s’est permis de signaler à l’éminent auteur que l’article 19 de la Déclaration, dont le rayonnement international est incontesté, énonce que « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression ». Dont acte : la lettre de François Héran aux professeurs d’histoire-géographie, mise en ligne le 30 octobre dernier, a été modifiée deux jours plus tard sur le site de La Vie des Idées6. Mais des versions fautives circulent sans doute très largement, et la version révisée est appelée à accueillir de nouveaux errata, par exemple lorsque l’auteur devra admettre que sa présentation de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, loin de reposer sur des « données avérées », est complètement fantaisiste. « Pour la Cour européenne des droits de l’homme », écrit le démographe, « toute parole ou image, même offensante, alimente le débat public et, donc, sert la démocratie ». Il est pourtant si facile de savoir que c’est faux… 7

Samuel Paty

François Héran a découvert, à l’occasion de l’assassinat de Samuel Paty, un des dessins de presse dont l’étude, en classe, a valu à notre collègue d’être condamné à mort. La découverte a dû s’opérer sur internet : seul derrière son ordinateur, François Héran a été confronté, en 2020, à un dessin publié en 2012 dans un numéro de Charlie Hebdo. De l’environnement immédiat du dessin (rubrique où il figure, textes et caricatures qui le précèdent et le suivent, thème du numéro), il ignore manifestement tout. Il ne connaît pas davantage l’actualité — cinématographique, en l’occurrence — que le dessin entendait commenter. Sans disposer du moindre outil nécessaire à la compréhension de ce qu’il voit sur son écran, il décide que le dessin « visait l’islam tout court », et affirme que cette caricature « est nulle, réduite à sa fonction la plus dégradante, sans dimension artistique, humoristique ou politique ».

On voit là les ravages de la révolution contemporaine des modes de communication, qui a profondément déstabilisé la notion même de situation discursive, dont dépend toute production de sens (qui parle, où, quand, à qui, avec quels codes ?). Coupés de cet ancrage, les énoncés totalement décontextualisés qui circulent sur la toile ou les réseaux sociaux ne peuvent pas être compris. S’impose alors une lecture au premier degré, et son terrible cortège — désormais meurtrier — de contresens.

Faut-il s’y résigner ? Face à la vive dénonciation, par un grand savant comme François Héran, du support pédagogique choisi par Samuel Paty, nous nous sentons trahis, mais nous ne perdrons pas courage. Nous continuerons à œuvrer, patiemment, pour que nos élèves apprennent à déchiffrer, analyser, mettre en perspective, apprécier ou critiquer toutes les caricatures, d’hier et d’aujourd’hui.

Notes

1 – Professeure de droit public à l’université de Cergy-Pontoise, elle est notamment l’auteur de Envoyer les racistes en prison ? Le procès des insulteurs de Christiane Taubira, LGDJ, coll. Exégèses, 2015 et de Territoires disputés de la laïcité. 44 questions (plus ou moins) épineuses, PUF, 2018.

2 – François Héran, « Lettre aux professeurs d’histoire-géographie. Ou comment réfléchir en toute liberté sur la liberté d’expression », La Vie des idées, 30 octobre 2020. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Lettre-aux-professeurs-d-histoire-geographie.html

2b – [NdE] Voir la référence à la note précédente.

3 – Pour une synthèse, on se permet de renvoyer à G. Calvès, « Sur un prétendu droit au respect des croyances religieuses», in A. Barb et D. Lacorne (dir.), Les politiques du blasphème : une perspective comparée, éd. Karthala, 2018, pp. 77-93.

4 – La même remarque vaudrait pour les États-Unis, où l’expression « free speech » l’emporte très largement, dans la langue des juristes comme dans la langue commune, sur la locution « freedom of expression ».

5 – Voir Calvès Gwénaële, « La liberté d’expression n’est pas la liberté de dire n’importe quoi », Constructif, 2020/2 (N° 56), p. 54-57. URL : https://www.cairn.info/revue-constructif-2020-2-page-54.htm

6 – Modification signalée – contrairement à d’autres ajouts et suppressions ultérieurs – sur le site La Vie des Idées par une note datée du 1er novembre.

7 – Voir G. Calvès « Avec l’affaire Mila, un vent mauvais s’abat sur la liberté d’expression », Le Monde, 4 février 2020 https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/02/04/gwenaele-calves-avec-l-affaire-mila-un-vent-mauvais-s-abat-sur-la-liberte-d-expression_6028318_3232.html

19 thoughts on “Vous enseignez la liberté d’expression ? N’écoutez pas François Héran ! (par Gwénaële Calvès)

    1. Gwénaële Calvès

      Mezetulle a reçu la réponse de Gwénaële Calvès :

      Mêmes conclusions, en effet. Merci pour ce texte !

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    2. Zoé

      Merci pour cette réponse ! j’étais très inquiète de la circulation de cette lettre qui m’a laissée très mal à l’aise.. de plus, il colporte des rumeurs (untel a dit ceci, untel a dit cela, Charb était comme ça parce qu’on m’a rapporté ça) pour discréditer l’usage des caricatures de Charlie Hebdo en classe… ça ne fait pas très collège de France tout ça, pas très sérieux… il ne contextualise pas du tout le dessin, le condamne sans expliciter et sans laisser au lecteur une quelconque information à ce sujet. Les énormités juridiques et le parti pris sont tellement énormes… que du sophisme.. il adapte les faits à sa théorie, à son présupposé et se fiche bien d’une quelconque objectivité.
      En effet, il me semble que pour enseigner la liberté d’expression, une lettre de la part de juristes est beaucoup plus utile pour nous aider…
      Merci !

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  1. Luc Bentz

    Bonjour,

    Vous savez évidemment, et c’est pour vous implicite, que la Déclaration du 26 août 1789, mentionnée dans les préambules des Constitutions de 1946 et 1958 a valeur constitutionnelle (depuis la célèbre décision «Associations» du Conseil constitutionnel (16/07/1971). Mais peut-être vos lectrices et vos lecteurs ne le savent-ils pas tous.

    Cordialement.

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    1. Gwénaële Calvès

      Mezetulle a reçu la réponse de Gwénaële Calvès :

      Merci pour ce rappel. La précision figurait dans une première version du texte, mais je l’avais supprimée – à tort – pour alléger le propos. Bien cordialement. GC

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  2. Charpentier

    Merci pour ce recadrage.

    Le texte de M. Héran, dont j’étais « destinataire comme professeur d’histoire-géographie et d’EMC, m’a mis mal à l’aise, tant du fait de sa confusion que par ses intentions.

    La mise au point de Mme Calvès est d’autant plus importante que cette « lettre », publiée par un site très sérieux, a été largement partagée. Souhaitons que la réponse connaisse la même diffusion. Je m’en charge pour mes collègues…

    Pour préparer mes cours d’enseignement moral et civique, je continuerai à lire ces professeurs de philosophie et de droit qui continuent, en cette période confuse, à penser rationnellement et à faire vivre l’esprit critique. Je les remercie pour le temps qu’ils prennent à rendre leur réflexion accessible.

    Je profite de ce commentaire pour signaler aux lecteurs de Mezetulle ce texte d’un autre professeur de philosophie : https://www.institut-rousseau.fr/le-desir-de-loi-face-a-la-loi-du-desir-les-ressorts-moraux-de-ladhesion-a-la-vision-islamiste-du-monde/
    Je pense qu’il peut nourrir les réflexions à venir, au sein des équipes de professeurs et des établissements.

    Guillaume Charpentier, professeur agrégé de géographie.

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  3. GILLES AUZELOUX

    Je ne suis visiblement pas le seul à éprouver un malaise à la lecture du texte de M. Héran, dans lequel je ne peux absolument pas me reconnaître. Au moment des attentats contre Charlie Hebdo, j’ai beaucoup apprécié le sens de l’autodérision et la décision prise par la revue jésuite « Etudes » de publier des caricatures : Benoît XVI partant se marier avec un garde suisse, ou encore le Pape François se promenant dans les rues de Rio avec une fleur dans le derrière … A moins en effet d’être sérieux comme savent si bien l’être les fanatiques, on a le droit de rire de tout et de tous.
    Homme libre, je ne me sens en effet tenu par rien ni personne de m’agenouiller devant quelque dogme, croyance, tabou, autorité (ou prétendue telle) … que ce soit, et il y a à mes yeux non seulement un droit au blasphème, mais un devoir de blasphème : exercice salutaire qui rappelle aux cléricatures qu’elles n’ont pas à manifester l’arrogance d’imposer leur conception privée du sacré à l’espace public d’une République laïque.
    Ou alors … il faut abandonner Mila à ses assassins et aller serrer la main à Monsieur Abdallah Zekri, délégué général du Conseil français du culte musulman, lorsqu’il éructe que l’adolescente l’a bien cherché : « Qui sème le vent récolte la tempête. Elle l’a cherché, elle assume ».Pourquoi ne pas faire remarquer à la victime d’un viol que sa robe était bien courte, quand même ?!
    Et le blasphème relevant toujours d’une conception privée, particulière, qu’on n’invoque pas la sensibilité de certains pour justifier une limitation à la liberté d’expression …. : quel cas fait-on de la sensibilité des croyants d’autres religions, des agnostiques, des athées ?

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  4. Djamilla

    Vous avez certainement raison dans l’absolu (auteur d’origine et commentaires), mais comment ne pas tenir compte un seul instant du contexte social dans tout cela ? Et ce, alors même que Samuel Paty lui même en avait pris conscience (en témoigne ces échanges avec ses collègues par mails, à la veille de sa mort tragique). Que le droit donne effectivement raison aux professeurs et aux caricaturistes de faire et de montrer cette caricature, ne change rien à ce que la France est un pays d’immigration, où se mêlent des cultures diverses et des sensibilités diverses : avez vous déjà mis les pieds dans une cité HLM ? Avez vous déjà discuté avec des musulmans des classes populaires ? (avec beaucoup, pas avec l’exception qui vous arrange parce qu’elle dit comme vous), avez vous déjà été témoins des discriminations qu’ils subissent au quotidien, y compris de la part d’agent de l’Etat (police notamment) qui démontrent que « les valeurs de la République » n’ont rien d’absolues, mais s’adaptent toujours à des contextes concrets, divers et variées. Comment voulez vous traiter la Laïcité, la liberté d’expression, uniquement sur un cadre juridique et formel ? Comme coupé du monde réel et enfermé dans une tour d’ivoire… Une fois pris en compte le contexte social et économique, ainsi que la folie des réseaux sociaux (qui propagent tout et n’importe quoi à la vitesse de la lumière), il faudrait quand même être de mauvaise foi (sans vouloir heurter votre sensibilité athée!) pour dire qu’il n’existe pas d’autres moyens de parler de liberté d’expression que de montrer cette caricature (quel que soit son contexte effectif, ça ne change rien à comment elle sera reçue) en demandant aux élèves qui ne veulent pas la voir de regarder ailleurs -ce qui du coup les exclut du débat : ils ne l’ont même pas vu, par contre ils ont entendus les rires contenus des autres élèves de la classe, constituant une humiliation de plus). Vous partez toujours du présupposé que les populations les plus discriminés et appartement aux classes les plus défavorisés, auraient la capacité dont vous disposez, et dont disposent les élèves des classes les mieux éduqués, pour prendre du recul, comprendre, analyser, le tout avec calme et sérénité, etc etc, pendant que leur mère nettoie chez les autres du matin au soir et rentre épuisée avec 3 gosses à nourrir (quand ce n’est pas 7 ou 8), et que dans la majorité des cas le père est absent (ou l’inverse) ! De l’avis d’une modeste habitante des Minguettes à Lyon, sans aucun diplôme, pas extrémiste pour un sou et ayant des amis en France et à travers le monde de toutes croyances (y compris athées), toutes origines sociales et pauvreté drastiques confondues : demandez l’avis d’un juriste pour avoir des conseils sur le droit, il vous confortera, mais demandez quand même l’avis d’un sociologue ou de certains parents d’élèves avant de faire n’importe quoi, car il y a le monde utopique, rêvé (celui où le cadre juridique se suffit à lui même, où tout le monde s’en tient à la loi et se comprend mutuellement, dans ce monde il n’y a aucune discrimination), et il y a la réalité : dans la réalité, ce dessin est largement ressenti comme une provocation, par des gens mal informés, amers de par leur réalité quotidienne, qui ont pas le temps (ni l’envie bien souvent, la mauvaise foi est de partout) de s’informer sur tout cela et qui vivent souvent dans une certaine pauvreté culturelle (en tout cas vis à vis de ce qu’on leur demande de savoir dans les murs d’une classe d’école, la langue arabe ou le wolof n’étant pas au programme, par peur de « communautarisme ») et dans des contextes explosifs où tout est bon pour faire basculer les brebis galeuses dans la folie meurtrière… Rassurez vous, prendre en compte ce type de tristes réalités concrètes, et faire preuve d’un minimum de prudence (de bon sens ?), ne fera pas basculer la France dans la dictature totalitaire ni l’islamisme… vers un peu plus d’humanité et de fraternité, peut être ? (la devise ne dit t’elle pas Liberté…Egalité…Fraternité, pour l’égalité et la fraternité on repassera!) Y’a t’il des cours d’humanité à l’école ?

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  5. Tarnacois sans caténaire

    Depuis des lustres , je craignais que cette partie de l’article deux de la constitution «  la République respecte toutes les croyances » ne soit une brèche dans laquelle viendrait s’engouffrer tout l’extrémisme religieux, leurs affidés et complices de circonstance. C’est donc maintenant chose faîte
    Si la République n’est qu’un état émanant du peuple et non d’un monarque ou d’une quelconque ploutocratie, on peut admettre que cette proposition ad minima, sujet, verbe complément peut se traduire par «  l’état et ses agents doivent s’abstenir de tout jugement sur les croyances sauf si etc.. ;etc…. »Malheureusement ce n’est pas cette phrase plus explicite qui est gravée dans le marbre et il faut avoir bon caractère pour y voir une parfaite similitude avec l’officielle.
    Là où nous perdons tout contrôle ,c’est avec le mot respect. Laissons de coté le sens d’une déférence que certains peuvent juger obséquieuse pour entrer dans le cadre juridique qui est le fait de ne pas enfreindre la loi. Lorsque je respecte par exemple le code civil , je ne peux être bigame, le code de la route, je m’interdit de rouler à plus de cinquante à l’heure en agglomération. Et donc à quelle loi doit se soumettre celle ou celui qui respecte les croyances ou les religions ?
    Je n’irai pas jusqu’à ‘à défendre la position caricaturale qui dirait que nos agents de l’état doivent faire maigre le vendredi , s’abstenir de manger ceci ou cela ou de travailler le samedi. Mais il n’empêche qu’avec cette malheureuse sentence nous perdons la main sur ce que peut être le non-respect ou l’offense pour être plus efficient et plus au fait de l’actualité. Lorsque que mon collègue physicien enseigne que la terre est ronde et qu’elle tourne autour du soleil ne va-t-il pas offusquer, outre nos sens qui voient différemment, l’ensemble des religieux ? Et pour prendre un exemple, qui lui fait débat jusqu’aux Etats Unis, le biologiste et sa scandaleuse théorie darwinienne a t’il encore sa place dans nos lycées et collèges ? Au moins doit il partager sa vision avec ceux qui croient mordicus que la création ne fut que l’affaire de six jours au risque de définitivement les vexer .Quant à nos professeurs d’histoire, respectueux au delà de toute mesure, doivent ils pour ne choquer aucune communauté s’abstenir de parler de tel ou tel génocide, d’édulcorer des invasions en parlant de simple incursion ou de modeste razzia ou les encenser en évoquant l’apport de lumière sur des populations barbares ?
    Il est à noter qu’en ce qui concerne l’instruction publique, même le mot jugement qui serait la traduction du respect dans le sens de ne pas porter de jugement sur une croyance, ne change rien à l’affaire. Si je juge en tant qu’enseignant que le créationnisme est une niaiserie de par le fait que je dispense, et que je dispense uniquement, des cours sur l’évolution, je ne respecte pas le point de vu de l’autre.
    Je passe sur le funambulisme dont devrait faire montre les autres agents de l’état qu’ils soient médecins ,infirmiers ou pompiers pour être dans les stricts rails du respect .
    J’apprends , de surcroît, que ce bout de phrase qui me hérisse depuis tant d’années , a été adopté pour amadouer l’église catholique. Dans ce cas, c’est un euphémisme de la qualifier de totalement marginale dans la construction laïque. C’est une disposition anti-laïque.A aucun moment la République ne doit s’occuper des humeurs de tels ou tels sectaires ayant réussi. Et je constate que cette billevesée qui ne devrait pas faire de bruit n’est manifestement pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Ce qui m’étonne est la longue durée de la chute.
    Mais peut-être le plus grave dans cette proposition est ce qu’elle ne dit pas. En effet , elle n’affirme pas son respect pour les non-croyants .Les athées représentent au bas mot la moitié de la population et j’espère qu’un jour ils sauront remercier comme il se doit les constitutionnalistes de la cinquième république pour leur sollicitude. Et donc , comme il ne sont pas placés sous l’égide de l’article deux, l’instituteur aura toute licence pour traquer le petit mécréant sur les bancs de sa classe et de l’envoyer illico presto au piquet jusqu’au moment sacré où il sera touché par la grâce. Le pieux pandore sera en droit d’exiger en plus du permis de conduire ,un certificat de baptême, pour savoir si quelque part l’infraction involontaire ne serait pas l’œuvre du malin.
    Mais on peut résoudre le problème par une pirouette sémantique : les athées sont ceux qui croient que dieu n’existe pas : naïfs comme ils sont ! Et les voilà rentrés dans la spirale vertueuse et protégés par la constitution. Sauf que cette attitude préjuge que l’état naturel de l’homme ou du citoyen est la croyance en un dieu unique ou multiple et l’athéisme une anomalie voire pourquoi pas une entorse à une sorte d’orthodoxie spirituelle.
    Donc , et je ne cesserai de le répéter, le grand combat laïque des prochaines décennies , devrait être la suppression de cette article. Son absence nous éviterait les contorsions gutturales dues à la déglutition des couleuvres d’une exégèse alambiquée et esquiverait du même coup la question de savoir si le respect affiché des uns n’induirait pas le mépris des autres.

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    1. Claustaire

      Merci pour cette fort pertinente réflexion. Outre qu’on ne sait pas si le respect qu’il faudrait le plus ménager est celui du croyant ou de sa croyance. Car, il me paraîtrait normal que par respect du croyant (et de son aptitude à échanger, dialoguer, débattre), je me semble obligé d’entrer en dialogue avec lui pour lui faire part des éventuelles interrogations que telle ou telle de ses croyances pourrait susciter en moi. Car ce n’est que si je le méprisais suffisamment pour estimer que tout dialogue ou débat avec lui serait impossible (tant il en serait incapable) que je lui manquerais de respect.

      Cela dit, l’autre jour encore, échangeant avec ma grand-tante, veuve, catholique très croyante et pratiquante, trouvant dans sa foi de quoi faire le deuil de son époux (qui, selon elle, du haut du ciel partage toujours son quotidien), je me suis interdit, malgré mon athéisme et mon anticléricalisme militant revivifié par le retour du cléricalisme, de lui expliquer que ces croyances relevaient vraiment de contes vendus aux enfants.

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  6. Grillon Daniel

    La République respecte toutes les croyances.
    Pour ma part, voici comment je comprends cette phrase : la République respecte LE FAIT de croire, pas le CONTENU de la croyance.

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    1. Gwénaële Calvès via Mezetulle

      Mezetulle a reçu la réponse de Gwénaële Calvès :

      Je suis tout à fait d’accord avec votre analyse. Cet énoncé ne dit rien de plus que l’article 10 de la Déclaration de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».

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  7. jean françois

    Je partage totalement l’analyse de Djamilla. Les caricatures ne posent pas une question de droit mais de sensibilité, d’humanisme, de respect. Elles sont l’expression des rapports du fort au faible, des gens cultivés à ceux qui le sont moins. Que dirait-t-on de caricatures qui moqueraient, qui humilieraient la misère, la pauvreté, le handicap et qui serviraient d’exemples pour illustrer la liberté d’expression ? Je trouve bien plus honorable et bien plus efficace au plan pédagogique de caricaturer les gens de pouvoir devant lesquels tant de médias se prosternent.

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    1. Claustaire

      Parfaitement d’accord avec votre réflexion.

      Il convient donc d’être très attentif à la cible visée par la caricature : est-ce un dominé, une minorité, une victime ? Est-ce au contraire un dominant, en quête de pouvoir, menant son prosélytisme idéologique afin d’en imposer à ceux qu’il veut toucher, convaincre, influencer, dominer ?

      Est-ce par exemple le genre de caricature antisémite visant une minorité de boucs émissaires comme en répandaient les nazis après avoir pris le pouvoir en Allemagne ou après avoir obtenu la collaboration du régime gouvernant une France occupée ?

      Ou est-ce une caricature anticléricale tentant de dénoncer le cléricalisme forcené appuyant l’alliance du Trône et de l’Autel pendant le Second Empire ou durant les monarchies théocratiques précédentes ?

      Toute caricature visant une personne (l’immigré, l’arabe, le noir, le juif, etc.) serait misérable, autant que serait compréhensible voire nécessaire toute caricature qui dénoncerait un pouvoir ou la quête d’un pouvoir : actuellement le cléricalisme islamiste et son prosélytisme tous azimuts méritent d’être caricaturés et dénoncés, dans l’intérêt commun de notre démocratie et de la paix civile. Comme mérite de l’être toute idéologie rêvant de prendre le pouvoir par le mensonge, la menace ou le chantage.

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  8. Kintzler Catherine

    On ne peut pas évacuer une question de droit au motif d’une empathie ou d’une sensibilité qui par définition sont subjectives. Il s’agit en l’occurrence de savoir si telle ou telle caricature, telle ou telle moquerie, s’en prend à une opinion, une doctrine, une religion, une croyance, une conviction, ou bien si elle insulte des personnes. Les doctrines, les opinions, etc., n’ont pas de droits, elles n’ont pas à imposer le respect ou l’empathie, on peut les approuver, les rejeter, les critiquer, les tourner en dérision, les caricaturer. En revanche les personnes ont des droits, notamment celui de ne pas subir d’insultes.
    Quand on soutient que s’en prendre à une croyance, à une religion, c’est s’attaquer à ceux qui la professent, on identifie les opinions et les personnes, et on réclame de ce fait le rétablissement du délit de blasphème ; il devient condamnable d’exprimer une critique sur quelque opinion que ce soit. Supposer que les opinions, croyances, etc., font corps substantiellement avec ceux qui les professent, c’est également soutenir qu’on ne peut ni renier une opinion ni en changer. Outre que c’est une étrange conception de la personne, c’est aussi réclamer la condamnation de l’apostasie.

    Vous donnez l’exemple de la misère, de la pauvreté, du handicap. Mais ce ne sont pas des doctrines, des opinions, des croyances, des thèses : ce sont des situations que les personnes subissent sans les choisir, sans avoir la liberté de s’en défaire, d’y échapper. La comparaison n’a aucune pertinence.
    Je me permets de renvoyer à cet article https://www.mezetulle.fr/it-hurts-my-feelings-laffaire-mila-et-le-nouveau-delit-de-blaspheme/

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