La sénatrice Françoise Laborde, prix national de la laïcité décerné par le Comité Laïcité République en 2012 – alors que le dessinateur Charb présidait le jury – a accordé un entretien plus qu’étonnant à Libération le 21 janvier 2015. Après avoir rappelé utilement quelques points élémentaires au sujet de la laïcité, elle se déclare en faveur des accompagnatrices scolaires porteuses de signes religieux visibles, reprenant la position compassionnelle évoquée et critiquée récemment sur Mezetulle 1.
Je lui ai envoyé un courrier électronique ce matin 24 janvier, dont voici le texte.
Chère Françoise Laborde,
J’ai pris connaissance avec plus que de l’étonnement de votre « témoignage » au sujet de la laïcité publié dans Libération du 21 janvier 2015 2 . Après avoir rappelé utilement quelques idées élémentaires, vous vous déclarez favorable aux accompagnatrices scolaires portant un signe religieux très visible.
Ainsi vous apportez une importante contribution au genre littéraire fort pratiqué ces derniers temps « Oui scrogneugneu il faut être ferme sur la laïcité. MAIS… continuons à produire et à entretenir les ghettos scolaires ». On fait semblant de claquer la porte, et on met le pied pour qu’elle reste bien ouverte à toutes les tentatives de grignotage.
Je suis étonnée de voir un « prix de la laïcité »3 tenir un discours compassionnel sur les accompagnatrices scolaires. Ce discours a pour fonction de vouer l’école à son extériorité et pour effet d’accentuer la pression intégriste sur les femmes musulmanes qui luttent pour échapper au voile et pour échapper momentanément à la sempiternelle condition de « maman » ! En acceptant cela, l’école accrédite la thèse selon laquelle « il est normal pour une musulmane de porter le voile » et désarme celles qui ne le portent pas.
Je suis atterrée de constater qu’une élue semble méconnaître ce qu’est l’école, et qu’elle ne voie pas en l’occurrence que la laïcité distingue les espaces, les temps et les fonctions. La laïcité scolaire offre aux élèves un moment de respiration, un moment où ils ont droit à une double vie. C’est ce moment qui leur permet un pas de côté et qui les préserve de l’assignation à laquelle ils sont constamment soumis. Faut-il que l’école renforce cette dernière ? Faut-il qu’elle se conduise en manager étouffant, complice de la pression sociale ?
Quand une activité scolaire « sort », c’est l’école elle-même qui sort, et non les élèves qui sortent de l’école : il suffit de regarder les règles de sécurité pour le savoir 4. Les parents d’élèves qui participent à l’encadrement se voient confier les enfants d’autrui : ont-ils le droit de les traiter comme s’ils étaient leurs propres enfants ? Davantage : n’ont-ils pas le devoir, dans ce cadre, de traiter leurs propres enfants comme s’ils étaient ceux d’autrui ? Et que répondre aux parents qui se plaindront que leur enfant a été mis en présence d’une manifestation religieuse indiscrète ? Que vouloir préserver la sérénité de l’école pour tous, c’est être « islamophobe » ?
Le résultat est inévitablement que les écoles qui acceptent ces manifestations religieuses seront plus que jamais désertées par tous ceux, croyants et non-croyants, qui sont attachés à la laïcité, par les classes moyennes dont on fait tant de cas, la main sur le cœur, dans les discours sur la mixité sociale. Quelle bonne recette pour créer et renforcer des « zones » communautarisées !
On mélange tout dans la plus grande confusion d’idées, et on enfonce un coin compassionnel qui n’a d’autre fonction que de forcer l’école à se plier devant son extérieur, devant ce qui la nie en lui enjoignant de s’agenouiller sous le poids des pressions sociales. Et c’est une élue « laïque » qui tient la cognée pour enfoncer ce coin !
Il serait au contraire plus avisé et plus conforme à l’idéal républicain de donner l’occasion aux femmes accompagnatrices qui portent le voile de pratiquer concrètement la distinction libératrice des lieux et des fonctions – car l’intégrisme inversement exige qu’on soit constamment et partout soumis à la même règle coutumière, uniformément, sans répit. En conséquence, on devrait plutôt leur donner un insigne honorifique qu’elles porteraient fièrement pendant les sorties scolaires en échange d’un abandon momentané du voile… qu’elles peuvent porter en toute liberté dans une autre partie de leur vie y compris en public. Il s’agit de les placer durant ce temps scolaire à la même hauteur que les enseignants qu’elles ont pour tâche de seconder : ce qui est exactement l’inverse d’une vexation et d’une « stigmatisation ».
Bien cordialement à vous, CK
1 Voir les articles : http://www.mezetulle.fr/laccompagnement-sorties-scolaires-il-confie-mamans/ ; http://www.mezetulle.fr/sorties-scolaires-largumentaire-juridique-charles-arambourou/ ; http://www.mezetulle.fr/sorties-scolaires-suite-temoignage-dun-papa/
2 Voir en ligne http://www.liberation.fr/societe/2015/01/21/ce-qui-relevait-de-la-culture-est-devenu-un-affichage-excessif_1185885
3 Françoise Laborde a reçu en 2012 le « prix national de la laïcité » décerné par le Comité Laïcité République. Le prix international a été attribué la même année à Djemila Benhabib. Le dessinateur Charb, assassiné le 7 janvier 2015 par les frères Kouachi, était alors président du jury. Voir détails sur le site du CLR http://www.laicite-republique.org/prix-de-la-laicite-2012-deux.html
4 Et de lire l’étude du Conseil d’Etat du 19 décembre 2013 jusqu’au bout ! Citée dans cet article : http://www.mezetulle.fr/laccompagnement-sorties-scolaires-il-confie-mamans/
J’approuve totalement la réaction de Catherine Kintzler. La prise de position en faveur des accompagnatrices de sorties scolaires voilées, publiée dans Libération » du 21/01/15, est invraisemblable de la part d’une sénatrice engagée dans le combat pour le respect de la laïcité! C’est dans la droite ligne de la décision inadmissible de la ministre de l’Education Nationale, qui a annulé la décision contraire de son prédécesseur. Cela montre de façon flagrante que, en dépit de prises de position spectaculaires après les attentats de début janvier, le combat est très loin d’être gagné ; et que les ennemis de la laïcité et de la neutralité scolaire sont toujours en poste et exercent certaines des plus hautes fonctions de l’Etat.
Le danger est toujours aussi grand qu’avant les attentats; c’est fort inquiétant. Bon courage!
Enseignant dans une école primaire, je souscris également et totalement aux propos de la lettre de Catherine Kintzler. J’en apprécie d’abord la critique à destination de cette sénatrice et j’applaudis des deux mains à cette idée d’insigne honorifique pour les accompagnatrices qui enlèveraient leur voile le temps d’une sortie. Voilà une troisième voie intéressante. Bravo Madame Kintzler !
Concernant l’accompagnement par des « mamans voilées » des « sorties scolaires », il est possible de raisonner non pas par l’absurde, mais par l’excès, afin de savoir si oui ou non l’Education Nationale a « raison » de les accepter. Tout d’abord dire mon accord avec l’argumentation de Catherine Kintzler : les mamans accompagnatrices ne sont plus mamans, elles sont adjointes à ou aux enseignants de la sortie, co-responsables de la sécurité des enfants-élèves (c’est d’ailleurs dans ce but qu’elles sont sollicitées et non pas parce qu’elles sont mamans). L’école ne s’estompe pas au cours de la sortie scolaire, elle se déplace. Puisque une certaine forme de la culture ne peut pas venir en classe c’est la classe qui se déplace vers l’objet (ou le sujet) culturel. Mais revenons au raisonnement par excès : un papa coiffé d’une kipa, un papa portant un turban sikh, pourraient ils être désignés, ou choisis comme accompagnateurs d’une sortie de classe? D’aucun pourrait penser qu’une kipa n’étant pas trop visible le papa la portant pourrait être « élu ». Mais pas celui portant le turban sikh. Trop ostentatoire. Ainsi ni dans un cas ni dans l’autre c’est le principe de neutralité qui serait convoqué pour réfléchir à un choix possible mais la représentation d’un possible prosélytisme en rapport avec le volume de l’objet religieux (kipa, turban sikh). Ce qui peut éventuellement être de règle (quoique) dans une école d’un pays ou le multiculturalisme est reconnu, n’est pas acceptable du point de vue de la neutralité que l’école publique française doit afficher vis à vis des convictions y compris religieuses.
Professeur d’histoire à la retraite depuis un an, j’ai assisté pendant 42. ans au lent grignotage de la laïcité à l’école. La » respiration « , dont parle Catherine Kintzler, est plus que jamais nécéssaire dans un monde où les jeunes sont soumis à de plus en plus de pressions.
Les chefs d’établissement ne pouvant plus s’appuyer sur une loi claire qui les aide à exercer un métier difficile doivent se sentir bien abandonnés, à un moment où, justement, le recrutement de ces derniers devient de plus en plus problématique pour l’Education Nationale .
L’affaire des foulards de Creil et les conséquences des mesures prises à l’époque (semblables à celles que le gouvernement envisage de prendre aujourd’hui ) n’a-t-elle pas servi de leçon?
Apparemment non cela n’a pas servi de leçon : c’est un remake du film de 1989, expression que j’ai employée dans cet article. Ce qui a été sorti par la porte revient par la fenêtre ! Et comme toujours, ce sont les personnels sur le terrain qui doivent assumer les décisions. Mais la différence avec 1989, c’est qu’il existe une circulaire récente et suffisamment claire (la « circulaire Chatel ») sur laquelle les chefs d’établissement et les professeurs peuvent s’appuyer.
Dans ces 2 discours du 13 et du 22 janvier dernier, la Ministre de l’Education Nationale n’aborde pas la question des accompagnatrices de sorties scolaires. Elle déclare : » la laïcité n’est pas l’instrumentalisation qui a pu en être faite par certains au service du refus d’une religion, créant une incompréhension ou une défiance chez certains de nos concitoyens. »
Compte tenu de sa position exprimée lors de son audition par l’observatoire de la la Laïcité , cette définition de la laïcité m’a amené à lui adresser un courrier dans lequel je demande si je dois comprendre ici ce qui fonde sa position sur la présence des mamans voilées aux sorties scolaires : refuser leur présence, c’est instrumentaliser la laïcité ?
Je lui demande si elle ne pense ps que sa définition de la laïcité est impartiale et incomplète : partiale car elle n’envisage que celle visant au refus d’une religion ; incomplète car elle ne désigne pas l’espace qui est refusé à la religion (où elle considère qu’elle pourrait y être admise). J’ajoute qu’elle ignore l’instrumentalisation de la laïcité qui vise à l’acceptation de la la laïcité là où elle ne doit pas être! C’est précisément ce que font les mamans voilées en revendiquant leur présence aux sorties scolaires. C’est à cette même instrumentalisation qu’a recours le président du conseil général de la Vendée qui défend l’installation d’une crèche dans le hall du de l’hôtel du département en implorant: » oui au principe de laïcité, non au principe d’absurdité »!
J’écris alors à la Ministre que sa défense de la laïcité est vaine car elle n’est pas impartiale : pour être réellement efficace elle doit dénoncer de la même manière l’instrumentalisation de la laïcité qui vise à refuser la religion là où elle peut être, et celle qui vise à accepter la religion là où elle ne doit pas être.