Gérard Jorland1 propose un point de vue apparemment paradoxal à verser au dossier des discussions sur la PMA et la GPA qui s’ouvrent cette année2. Souvent présenté sous un aspect répressif, et souvent utilisé pour soutenir des thèses rétrogrades, le principe du « respect de la vie », dont il donne une définition précise, lui apparaît au contraire comme un point d’appui pour ouvrir des perspectives qu’on n’a pas l’habitude de lui associer.
Le gouvernement a décidé d’ouvrir à partir du mois de janvier 2018 un large forum de discussion sur la prochaine loi de bioéthique, organisé par les Agences régionales de santé dans toutes nos régions3. Ces discussions vont tourner autour de deux principes. Un principe d’égalité selon lequel tout ce qui est possible doit être accessible à tout le monde. Ainsi, la procréation médicalement assistée, conçue pour pallier la stérilité des couples, doit être accessible aux couples de femmes dont la stérilité provient de leur orientation sexuelle et non pas d’une infirmité. Et un principe de respect de la vie dont je voudrais montrer qu’il n’est en rien répressif.
En principe, tout être vivant sexué est le produit de la fusion de deux brins d’ADN, l’un provenant d’une femelle, l’autre d’un mâle, ou, pour ce qui concerne les êtres humains, d’une femme et d’un homme. Ces brins d’ADN contiennent tout ce qui fait un individu selon les circonstances dans lesquelles il est appelé à s’épanouir. Respecter la vie, c’est alors reconnaître que, jusqu’à présent, un enfant ne peut naître que d’un père et d’une mère, pas de deux pères ni de deux mères4. C’est reconnaître que la vie est le socle où se fondent les interactions individuelles, les liens sociaux, les valeurs culturelles. C’est admettre que nous ne sommes pas une page blanche à la naissance, mais au contraire un texte déjà écrit, que l’environnement familial, social et culturel éditera et dont les circonstances assureront éventuellement le succès. Le respect de la vie consiste alors à reconnaître à chaque individu le droit de construire son identité sur ce dont il est fait, de savoir ce qui le fait tel qu’il est, bref et en l’occurrence de savoir qui est sa mère et qui est son père.
On objectera peut-être que l’accouchement sous x est licite bien qu’il donne naissance à des enfants qui ne connaîtront ni leur père ni leur mère. Mais ne fait-on pas tout pour dissuader les mères de recourir à cette extrémité ? Et ne cherche-t-on pas à les en dissuader, précisément, par respect pour les conditions dans lesquelles la vie sexuée est possible ? Et ne s’y résout-on pas pour éviter le risque d’une issue plus extrême encore, à savoir l’infanticide ? Donc par respect pour la vie au sens strict ?
Le principe du respect de la vie entraîne les conséquences suivantes concernant les sujets de filiation en question dans la loi de bioéthique.
La procréation médicalement assistée (PMA) sans don d’ovule ni de sperme est une manière de donner la vie tout à fait naturelle. Certes, pas chez les êtres humains. Mais il y a nombre d’espèces animales à reproduction sexuée dont les femelles déposent leurs ovules dans un endroit convenu où les mâles viennent les féconder en y déversant leur sperme. La procréation médicalement assistée revient à rendre possible pour les êtres humains ce mode de procréation qui leur était jusqu’à présent étranger. Elle ne contrevient donc en rien au principe du respect de la vie.
La gestation pour autrui (GPA) sans don d’ovule est tout à fait licite eu égard à ce principe, elle ne remet pas en cause le respect de la vie. J’entends l’objection de la marchandisation inacceptable du corps des femmes. Mais une mère porteuse ne vend pas son ventre, elle le loue pour une durée déterminée. De la même manière que pendant des siècles, voire des millénaires, sous toutes les latitudes, des femmes ont allaité des nourrissons pour le compte d’autres femmes qui ne pouvaient pas ou qui ne voulaient pas le faire elles-mêmes. Personne n’a jamais rien trouvé à redire au métier de nourrice. Et s’il a disparu, ce n’est pas parce que la morale s’y est opposée, mais parce qu’on a su faire des biberons aseptisés et donc nourrir les bébés autrement qu’au sein et de manière plus économique qu’en recourant à une nourrice. Je ne pense pas que le lien entre une femme et un nourrisson qu’elle allaite soit moins intime qu’entre une femme et le fœtus qu’elle porte en elle. Il est pour le moins du même ordre. Et de la même manière que la nourrice avait un statut dans la famille, rien n’empêche d’en donner un à une mère porteuse.
En revanche, la gestation pour autrui (GPA) et la procréation médicalement assistée (PMA) avec don de sperme ou d’ovule peuvent contrevenir au principe du respect de la vie si le don est anonyme, donc si l’enfant doit ignorer l’identité de son père ou de sa mère. Il est inacceptable, eu égard au principe du respect de la vie, qu’une société produise délibérément des enfants sans père ou sans mère, voire sans référence même à un père ou une mère biologiques.
Mais il suffit que le don de sperme ou d’ovule ne soit plus anonyme pour qu’un enfant ait à tout moment la possibilité de connaître l’identité de son père ou de sa mère biologiques conformément au principe du respect de la vie. Que l’enfant grandisse dans une famille monoparentale ou dans une famille homosexuelle ou encore dans une famille hétérosexuelle n’a aucune importance, les sociétés humaines ont fait preuve de beaucoup d’imagination en matière de filiation sociale. Ainsi, dans certaines sociétés africaines, le nouveau-né appartient non pas à ses parents biologiques, qu’il connaît parfaitement au demeurant, mais à la famille de son oncle maternel.
Il faudrait encore, bien entendu dans nos sociétés, que l’héritage social soit découplé de l’héritage biologique, c’est-à-dire qu’un enfant né d’un don de sperme ou d’ovule n’ait aucun droit sur l’héritage de son père ou de sa mère biologiques. Ainsi, la seule objection qui vaille contre la levée de l’anonymat du don d’ovule ou de sperme n’aura plus cours.
On le voit donc, le principe du respect de la vie est de fait plus libéral que le principe d’égalité puisqu’il autorise la gestation pour autrui sans don d’ovule et ne l’est pas moins pour la gestation pour autrui et la procréation médicalement assistée avec don de sperme ou d’ovule pourvu seulement que l’anonymat soit levé.
Notes
1– Gérard Jorland, philosophe et historien des sciences, directeur de recherches émérite du CNRS, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, est notamment l’auteur de Une société à soigner. Hygiène et salubrité publiques en France au XIXe siècle (Paris : Gallimard, 2010).
2 – Voir la note suivante. On consultera sur Mezetulle l’article de Sabine Prokhoris « La maternité : quelle évidence ? »
4 – « Père » et « mère » sont évidemment entendus ici au sens biologique ou plus précisément génétique, et non au sens de la filiation sociale ou juridique.
© Gérard Jorland, Mezetulle, 2018