Réforme du bac : un « grand » oral… qui n’a rien de grand

En pleine période électorale, et alors que les élèves en terminent avec les épreuves finales du baccalauréat, la question éducative a été peu abordée par les partis politiques. Celle relative aux programmes scolaires (les curriculums) et aux dispositifs pédagogiques mis en œuvre dans les classes, encore moins. Il s’agit pourtant là d’un enjeu démocratique et économique essentiel. Démocratique car l’égalité des chances est au cœur de l’idéal de justice sociale ; économique car la maîtrise du savoir par les élèves est fondamentale pour améliorer nos performances en termes de productivité et d’innovation. 

[Texte initialement publié sur le site du Mouvement républicain et citoyen le 28 juin 20241. Avec les remerciements de Mezetulle pour l’autorisation de reprise.]

La réforme du bac initiée par JM. Blanquer instaure une nouvelle épreuve : le « grand oral ». L’objectif affiché, louable, était de « calquer » ce nouveau dispositif sur l’oral d’admission à Sciences Po Paris en évaluant les élèves sur le fond (maîtrise des contenus disciplinaires) et la forme (éloquence, fluidité du discours, dynamisme de la présentation, etc.). L’élève présente au jury pendant dix minutes une question en lien avec ses spécialités, transversale ou non, parmi les deux qu’il aura préparées durant l’année. Après quelques années de recul, force est de constater que l’intérêt intellectuel très relatif du grand oral mais aussi les modalités de l’épreuve rendent à court ou moyen terme sa suppression inéluctable.

D’un point de vue strictement arithmétique, l’architecture du bac Blanquer rend l’importance du grand oral d’ores et déjà caduque. Le coefficient (10 sur un total de 100), est trop marginal pour susciter une quelconque motivation des élèves. D’autant qu’une partie significative de l’examen est désormais évaluée au contrôle continu (40 sur 100). La note obtenue au grand oral a donc une influence minime sur le résultat final. Les élèves en ont parfaitement conscience, leur investissement est donc légitimement à la hauteur de l’importance de l’épreuve : minimal. Cette nouvelle épreuve met par ailleurs les enseignants de spécialité en grandes difficultés puisqu’aucun créneau horaire n’est dédié à la préparation du grand oral. Ils doivent donc l’intégrer à leur progression annuelle, déjà mobilisée par des programmes relativement lourds (dont certains seront allégés pour la session 2025) et la préparation aux épreuves écrites qui, elles, relèvent d’exigences plus conformes à l’examen.

Plus grave, cette nouvelle épreuve ne renforce nullement la formation intellectuelle des élèves. Sans surprise, une multitude de sujets « clés en main » est disponible en ligne. Il suffit aux élèves de les apprendre par cœur pour les restituer le jour J, l’entretien avec le jury ne jouant qu’un rôle secondaire dans le barème final. Pour les plus téméraires, l’intelligence artificielle (« Chat GPT ») permettra de créer un sujet ex nihilo. Le « grand » oral ne forme en rien les élèves au raisonnement scientifique (problématisation, formulation d’hypothèses falsifiables, institutionnalisation du savoir). Un minimum d’exigence et de cohérence voudrait que l’élève choisisse un sujet parmi plusieurs le jour de l’épreuve. C’est d’ailleurs ce qui se produit lors de l’épreuve de contrôle du bac (la « repêche »). Cette situation aboutit à plusieurs absurdités : l’épreuve et le barème de l’oral de rattrapage, pourtant destinés à des élèves en grande difficulté, sont bien plus exigeants que ceux du « grand » oral ; la philosophie quant à elle, épreuve la plus exigeante sur le plan conceptuel, se retrouve moins coefficientée (08) que le « grand » oral (10) ; enfin,  à côté des oraux de français passés en première (qui eux requièrent un temps de travail et de révision considérable ainsi qu’une importante quantité de connaissances), cet ersatz d’épreuve orale de fin de terminale n’est rien.

Le barème du grand oral en dit long sur la faiblesse des exigences de l’épreuve en termes de savoir. Moins de la moitié de la notation (08 points sur 20) concerne la maîtrise stricto sensu de concepts et mécanismes explicatifs. Le reste (12 points sur 20) évalue des aspects purement formels : qualité de la prise de parole, gestion du temps, interactions avec le jury, etc. Dans ces conditions, même un élève qui ne maîtrise pas les savoirs de base adossés à ses deux spécialités peut obtenir une note tout à fait convenable, dès lors qu’il aura fait preuve d’un minimum de conviction le jour de l’épreuve. Le barème n’évalue pas non plus l’articulation des sujets avec les programmes de spécialités, qui est pourtant, en théorie, un attendu explicite de l’épreuve. Les élèves n’ont donc aucun mal à justifier un lien, même très superficiel, entre leur sujet et les contenus disciplinaires étudiés durant le cycle terminal.

On pourra rétorquer que cette épreuve, étant donnée sa très faible exigence, peut permettre aux élèves en difficulté d’obtenir une bonne note et ainsi « compenser » de moins bons résultats par ailleurs. On sait malheureusement que les compétences évaluées lors du grand oral – éloquence, force de conviction, aisance, esprit critique – sont très discriminantes sur le plan social, les élèves de milieux populaires étant moins prédisposés durant leur socialisation à l’aisance orale que ceux provenant de milieux favorisés. Dès lors, non seulement cette épreuve est très limitée sur le plan intellectuel, mais elle peut en définitive accentuer les inégalités de réussite scolaire entre les héritiers et ceux qui n’ont que l’école pour apprendre.

Dans l’intérêt des élèves, deux alternatives à la situation actuelle, intenable, s’offrent alors à la ministre :

  • La suppression pure et simple du grand oral, entraînant de facto un renforcement de l’importance des spécialités (coefficient 20 au lieu de 16) et de la philosophie (coefficient 10 au lieu de 08).

  • Le maintien de l’épreuve, en en modifiant significativement les modalités : tirage d’un sujet au choix parmi plusieurs adossés aux programmes des spécialités, avec refonte du barème axé d’abord et avant tout sur la maîtrise des contenus disciplinaires.

Il est tout à fait possible de former et évaluer les élèves aux compétences orales « pour la vie ». Encore faut-il leur imposer une réelle exigence en termes de savoir, sans laquelle les apprentissages se révèlent inexistants. C’est pourtant le rôle de l’école de transmettre aux élèves des savoirs émancipateurs leur permettant de s’élever de l’abstrait au concret, et non l’inverse comme les y invite malheureusement ce « grand » oral, qui n’a définitivement rien de grand.

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