La Croix du 2 juin 2016 publie une interview de Jean-Pierre Raffarin1. Si son analyse des situations vaut ce qu’il dit, alors, vu les responsabilités présentes et passées de l’intéressé (« ancien premier ministre, président LR des commissions des affaires étrangères et de la défense du Sénat »), on peut craindre pour la sécurité de notre pays et pas seulement pour l’état intellectuel d’une partie de ses « élites ».
Laurent de Boissieu et Corinne Laurent, journalistes, posent la question suivante : La volonté de changement n’est-elle pas une demande d’efficacité ?
Réponse de Jean-Pierre Raffarin :
« Le changement, c’est la demande de résultats ! Une grande partie du changement nécessaire, c’est la désidéologisation de la politique. Nous sommes enfermés dans les dogmes du passé. Notre système de pensée est trop marqué par une forme d’absolutisme, ce moteur à trois temps de la pensée occidentale – thèse, antithèse, synthèse -, qu’Aristote, Descartes et Marx ont contribué à développer. Cet absolutisme occidental conduit à un immobilisme intellectuel, empreint de rigidité. Il nous fait manquer les évolutions de la société et de l’histoire, et bloque toute agilité intellectuelle créatrice. La pensée asiatique plus duale et la pensée complexe d’Edgar Morin me paraissent plus modernes. »
Je n’ai rien envoyé à Mezetulle depuis assez longtemps, la situation présente me paraissant trop sombre pour qu’on puisse en dire quelque chose qui ne désespère pas. Mais voilà de la part d’un ancien premier ministre une réflexion qui l’explique assez et dont le ridicule peut divertir.
Ce jugement sur la pensée occidentale – rien de moins ! – allie prétention et ignorance.
Lecteurs, cherchez chez Aristote le « moteur à trois temps de la pensée occidentale – thèse, antithèse, synthèse » ! Aristote est-il précurseur de la dialectique hégélienne, sans doute visée ici, par cette métaphore qui témoigne surtout d’une grande incompréhension ? Cherchez chez Descartes le mot antithèse ! Si vous les trouvez, vous pourrez faire des thèses révolutionnaires. Certes, Descartes emploie synthèse, mais par opposition à analyse, comme font les géomètres, mais pour le savoir il faut apprendre la géométrie, autre mal occidental. Et voilà Marx par-dessus le marché ! Le sage de la droite est sans doute encore obsédé par un marxisme dont il ne comprend pas le sens. Quant à l’Orient et Edgar Morin, ils ont un ami dont ils aimeraient sans doute se passer !
L’ignorance n’est pas sans remède : il suffit d’apprendre ! Mais ignorer qu’on ignore est irrémédiable. Il y a dans ce jugement une inculture dont on aimerait qu’elle ne soit pas représentative de l’élite du pays.
M. Raffarin se plaint du règne de l’idéologie : mais l’ignorance garantit-elle contre une idéologie, si par idéologie on entend une pensée prisonnière d’intérêts et non pas une connaissance des choses telles qu’elles sont ?
© Jean-Michel Muglioni et Mezetulle, 2016.
- p.26, également accessible en ligne [↩]
L’article de M. Raffarin est affligeant . On ne sait même pas par quel bout redresser un propos si tordu . je commencerais par lui dire que les idées claires et distinctes plus que le ying et le yang ont contribué à « l’évolution de la société » .Par ailleurs, je lui dirais aussi de distinguer évolution et histoire . Mais M. Raffarin serait sans doute surpris que l’on lui demande de distinguer la pensée complexe de la pensée confuse .
L’ancien 1er Ministre aurait bien besoin d’une mise à niveau en philosophie . Voici un petit texte que je lui donnerais s’il voulait bien repasser le bac :
L’ignorance peut-être ou bien savante, scientifique, ou bien vulgaire. Celui qui voit distinctement les limites de la connaissance, par conséquent le champ de l’ignorance, à partir d’où il commence à s’étendre, par exemple le philosophe qui aperçoit et montre à quoi se limite notre capacité de savoir relatif à la structure de l’or, faute de données requises à cet effet, est ignorant de façon technique ou savante. Au contraire, celui qui est ignorant sans apercevoir les raisons des limites de l’ignorance et sans s’en inquiéter est ignorant de façon non savante. Un tel homme ne sait même pas qu’il ne sait rien. Car il est impossible d’avoir la représentation de son ignorance autrement que par la science ; tout comme un aveugle ne peut se représenter l’obscurité avant d’avoir recouvré la vue.
Ainsi la connaissance de notre ignorance suppose que nous ayons la science et du même coup nous rend modeste, alors qu’au contraire s’imaginer savoir gonfle la vanité.
Emmanuel Kant, Logique