Le matin du 20 mars, quelques heures avant le rejet de la motion de censure par l’Assemblée nationale, le politologue Dominique Reynié, directeur de la Fondation pour l’innovation politique, était invité à Europe 1 par Dimitri Pavlenko au sujet du projet de loi sur la réforme des retraites présenté par le gouvernement, et du mouvement social qui s’y oppose depuis fin janvier avec une grande ampleur. Un peu étonnée par certains de ses propos, je réécoute l’enregistrement, disponible sur le site d’Europe 11.
Sur les manifestations contre le projet de réforme des retraites soutenu par le gouvernement, D. Reynié déclare qu’il y a « survalorisation de phénomènes microscopiques non significatifs ». J’ai bien entendu : ces manifestations dont certaines ont dépassé 1,5 million de personnes, c’est « microscopique » quand on songe qu’il y a 48,7 millions d’électeurs… Voilà comment on balaie en quelques secondes d’un revers de main un mouvement exemplaire par son ampleur, sa durée, sa détermination et sa maîtrise. Mais pour en avoir le cœur net avant d’embrigader dans le consentement tous les électeurs qui jusqu’à présent n’ont pas manifesté ostensiblement, le meilleur moyen ne serait-il pas d’appeler ceux-ci aux urnes ? Un référendum, vous n’y pensez pas, surtout après avoir évité le vote exprès des députés en recourant à l’article 49.3 de la Constitution – l’hypothèse référendaire, bien sûr, n’est même pas effleurée.
Il y a plus étonnant encore dans cette interview. À la fin (6’45), Dominique Reynié prend le risque d’une double prédiction avec un aplomb sidérant.
« Vous verrez, quand la réforme sera adoptée, il ne se passera rien ».
Eh bien nous pouvons dès aujourd’hui vérifier cette première prédiction, puisque le projet de loi est « considéré comme adopté »3 . À supposer que, à la suite du rejet de la motion de censure, la loi soit validée par le Conseil constitutionnel et promulguée ; à supposer aussi qu’aucun RIP2 n’intervienne dans les 9 mois. Effectivement, après le rejet de la motion de censure « il ne se passe rien » ! Enfin, il ne se passe rien du côté de l’initiative gouvernementale et de ses soutiens : ni retrait de la loi (qui n’est pas encore promulguée), ni dissolution de l’Assemblée, ni convocation des électeurs à un référendum, pas même un remaniement ministériel. Rien de significatif. En revanche, du côté du mouvement social il se passe des choses. Une journée d’action est déjà prévue pour demain 23 mars. Et l’intervention du Président de la République aujourd’hui ne semble pas avoir mis un point final à la mobilisation sociale et politique : à entendre les commentaires c’est le moins qu’on puisse dire.
Mais est-ce bien du gouvernement et de ses soutiens que Dominique Reynié voulait parler en disant « il ne se passera rien » ? Probablement pas, puisqu’il ajoute immédiatement, avançant alors la deuxième prédiction :
« … et les Français, dans quelques mois, peut-être un peu plus, seront rassurés que la réforme ait eu lieu, je prends les paris ».
Ouf, quel soulagement de devoir travailler plus longtemps en se disant que forcément, vous savez, on ne pouvait pas trouver de financement ailleurs (« there is no alternative » comme disait Maggie). Parler de soulagement est même un peu faible : c’est tout juste s’il ne faudra pas dire merci pour cette réforme courageuse.
Et Dimitri Pavlenko de relever avec à-propos : « Prenons date avec ce pronostic ».
Notes
1 – https://www.europe1.fr/emissions/L-interview-de-7h40/motion-de-censure-ca-va-laisser-des-traces-sur-ce-front-republicain-estime-dominique-reynie-4173052
2 – Référendum d’initiative partagée (article 11 de la Constitution), appelé communément « Référendum d’initiative populaire ». Voir https://www.vie-publique.fr/fiches/23968-en-quoi-consiste-le-referendum-dinitiative-partagee-rip . Pour une discussion du RIP, dont l’une des conditions est très difficile à satisfaire (recueillir la signature d’un dixième du corps électoral), voir l’article de François Braize qui plaide plutôt en faveur d’un RIC (Référendum d’initiative citoyenne) https://www.mezetulle.fr/ric-ta-mere-par-f-b/
3 – Précisons que la loi n’a pas été à proprement parler votée, mais que, à la suite du rejet de la motion de censure, « le projet de loi est considéré comme adopté », selon les termes de l’article 49.3 de la Constitution.
Ces politiques aux pouvoirs (le pluriel, c’est exprès) seraient pathétiques s’ils n’étaient pas surtout très dangereux et pervers. Personnellement, je n’arrive plus à m’adresser à eux qu’en criant. Et quand ils me le font remarquer, je leur réponds que c’est ainsi qu’on doit parler aux sourds… On pensait avoir atteint le pire avec Hollande, mais la génération Macron c’est vraiment pire que tout.
Tout a déjà été dit sur cette « réforme » putschiste, son inutilité et son iniquité, alors je ne vais pas en rajouter, sauf pour une analyse que je n’ai entendue nulle part.
Si sans craindre de se contredire lui-même, Macron (avec son gouvernement et ses députés fantoches) était si pressé de faire cette « réforme », c’est que clairement il a pris ses ordres des pouvoirs financiers.
Explications…
Reporter l’âge de départ à la retraite permet aux fonds de pension et autres systèmes par capitalisation :
– de bénéficier plus longtemps des capitaux placés avant d’avoir à en payer les dividendes ; et quand on sait compter, 2 ans ce n’est pas rien.
– de diminuer de 2 ans la charge des prestations à reverser toujours pour les mêmes ; et quand on sait compter, 2 ans ce n’est pas rien…
D’ailleurs, on sait bien que ça ne change pas grand-chose pour le système par répartition puisque près de 50 % des plus de 60 ans sont déjà au chômage ou en arrêt maladie… donc l’incidence d’une telle réforme ce n’est pas grand-chose pour la solidarité nationale, juste un jeu de bonneteau sur quelle institution paye et combien. Par contre pour les fonds privés ce n’est pas du tout marginal comme gains…
Bref, rien à voir avec une « volonté réformatrice » du système par répartition (qui par ailleurs mériterait bien d’autres réformes), mais une volonté d’en donner plus aux fonds de retraite par capitalisation… sans oublier que le rêve ultime de ces gens-là est de privatiser tout le système social et de solidarité.
Plus généralement, pour suivre depuis longtemps l’actualité des réformes de cette calamité présidentielle (que je n’ai jamais pu voir en peinture ni entendre sans que des envies inavouables ne me démangent), je défis quiconque de trouver une seule réforme à incidences financières ou réglementaires qui ne serait pas en réalité faite pour donner toujours plus d’argent et de « nouveaux droits » aux plus riches.
Thatcher et Reagan sont des petits joueurs à côté de lui, d’autant qu’il a cette perversion manipulatrice qui lui permet de faire croire à certains que « c’est pour leur bien » ; une horreur absolue à combattre par tous les moyens politiques disponibles.