Dania Tchalik poursuit ici son analyse, engagée en 2012 et 20131, des mesures technocratiques qui détruisent délibérément l’idée même d’enseignement dans le domaine de la musique. Il en révèle, sous les oripeaux « pédagogues » et bienpensants, le double langage, la logique marchande, la politique méprisante et asservissante. Et c’est toujours avec humour que sa plume acérée traque la novlangue qui remplace Bach, Beethoven, Debussy et autres valeurs patrimoniales obsolètes par des parcours loisir et des projets transversaux ayant pour vertus principales de ne pas traumatiser les publics et surtout de redéployer les ressources – ce qui est aussi l’occasion de mettre toute une profession (trop élitiste) au pas.
« Les enseignants sont là au service des enfants comme la caissière est là au service des clients», Paul Raoult2
« La guerre contre la démagogie est la plus dure de toutes les guerres », Charles Péguy3
Le constat est sans appel : dans le monde musical comme ailleurs, la pédagogie n’a pas toujours bonne presse. Si les étudiants continuent à s’inscrire dans les départements dédiés des CNSM et autres Cefedem tout en sacrifiant deux précieuses années d’exercice musical intense, c’est que nécessité fait loi : avec la disparition des CA et DE externes, il s’agit du passage quasi obligé pour prétendre accéder (un jour…) à un emploi stable de professeur.
De la (vraie) pédagogie… …et des « pédagogues »
Que les professeurs désavouent eux mêmes la pédagogie en étonnera plus d’un. Mais avant de nous en expliquer, rappelons ce que le sens commun et le corpus philosophique4 désignent par pédagogie et par son corollaire, l’évaluation. Un bon pédagogue ne se contente pas de connaître à fond sa discipline : il se doit également d’ordonner et de reformuler ces connaissances en partant du savoir élémentaire, celui qui se suffit à lui-même tout en rendant possible sa propre extension (c’est pourquoi le législateur a veillé à intégrer cette tâche « invisible » dans son temps de travail). Il envisage ainsi l’élève comme celui qui ne sait pas encore pour l’amener à terme à en savoir autant que lui ; ce faisant, il l’institue en tant que citoyen éclairé, prêt à se constituer comme membre à part entière de la chose publique. Si ce processus libérateur se situe à l’exact opposé d’une relation de pouvoir (comme d’une prestation de services), il ne va pas sans contrainte : celui qui est appelé à s’élever se décentrera au préalable de ses distractions et de penchants dictés par l’environnement social (on ne peut aimer ce qu’on ne connaît pas encore) et exercera patiemment ses gestes, sa mémoire et ses facultés critiques – tout musicien sait de quoi il en retourne. Et au bout de ce chemin exigeant, le maître pourra à bon droit faire taire le reproche communément fait à l’école par la sociologie critique, celui de reproduire les inégalités5.
Quant à l’évaluation, terme politiquement correct ayant tendance à remplacer celui de contrôle des connaissances, il ne s’agit que de s’assurer dans ce contexte que le programme étudié durant une période de référence (le trimestre, l’année…) a bien été compris.
Ces principes humanistes sont bafoués depuis plus de trente ans par des experts qui ne se disent pédagogues que pour mieux servir le pouvoir. Selon les sciences de l’éducation « le savoir ne se transmet pas » et doit faire l’objet d’une « construction personnelle » de la part d’un « apprenant »6 sommé de le réinventer ex nihilo tel un chercheur confirmé. Au nom de Bourdieu, la pédagogie ne cesse donc de promouvoir le poids de l’implicite et de l’idéologie du don (pourtant largement dénoncés par ce sociologue) en jetant l’opprobre sur l’académisme laborieux de la discipline scolaire7 : cruel paradoxe et bel exploit ! Ainsi, en musique, on trouvera parfaitement raisonnable de négliger les savoirs élémentaires et leur ordonnancement progressif en faisant par exemple pratiquer la composition (ou l’improvisation) libre à un débutant (ou à un étudiant de Cefedem, voire de pôle supérieur) manifestement incapable d’entendre les principaux intervalles, alors que par ailleurs, le temps alloué aux études musicales est loin d’être extensible.
Plus encore, la déconstruction n’épargne pas le savoir lui-même : puisque le monde change, l’enseignement « ne repose plus uniquement sur une grammaire préalable » et « n’admet plus de norme »… tout en « s’inspir[ant] de la création d’aujourd’hui » 8 (sans doute la suppose-t-on dépourvue de lois propres…). Cette vulgate progressiste se décline en deux versants : le premier, dur et idéologique, est issu de l’État Culturel9 forgé par Malraux. Il n’en finit pas de dénoncer la référence persistante au système tonal dans l’imaginaire collectif : en plus de déformer l’oreille, elle émane d’un passé à jamais coupable de compromission dont il faut faire table rase. Par trop sérieux, il tend cependant à se renier lui-même au profit d’un second courant, un post-modernisme cool qui reprend sur un mode cette fois relativiste le nihilisme, c’est-à-dire l’essentiel, de son prédécesseur. La ruine des idéologies (et de l’État Culturel) aidant, il ne s’agit plus de rééduquer les élèves et le public à coup de création de l’avant-garde subventionnée, et pour cause : il est tellement plus tendance de ne plus l’instruire tout court… Former l’oreille ? Allons donc : cela ennuie les élèves, leurs parents, jusqu’au ministre lui-même ! « La culture se conçoit alors non plus pour s’élever par le rapport personnel à l’œuvre » mais comme « l’exercice de ses droits culturels »10, autrement dit une simple reproduction des données sociales. Pour assurer le vivre-ensemble, remplaçons Bach, Beethoven, Debussy… mais aussi les chefs d’œuvre du jazz, par un parcours loisir11 ou (plus pudiquement) personnalisé composé de force créativités et musiques actuelles. Après tout, ce répertoire patrimonial, dont la prééminence est fort heureusement contredite par la demande des publics, relève d’un « modèle obsolète hérité d’un autre temps ». Sans compter qu’il faut prendre garde à ne pas infliger une violence symbolique à l’apprenant et brimer sa culture : son destin est, bien malgré lui et néanmoins du berceau jusqu’à la tombe, celui d’un amateur autonome et responsable.
La critique de « l’élitisme », ses non-dits et ses angles morts
C’est donc en toute logique qu’on s’attaque en priorité à la partie la plus visible de l’édifice : les examens et les concours, qu’on prend bien soin d’amalgamer au passage. Synonymes de compétition effrénée, voire d’un dopage organisé, ils constituent les instruments de tri au service d’un système dit élitiste « où seuls restent les meilleurs »12. Dans le même temps, nos formateurs qui s’indignent chaque fois qu’ils entendent le mot « sélection » (il y en a toujours trop, y compris au collège unique où le passage dans la classe supérieure est désormais de droit) et qui, comme un seul homme, portent au pinacle le modèle finlandais (où l’on sélectionne pourtant dès le lycée) n’ignorent pas – et pour cause – que, dorénavant, ces pratiques « archaïques » « ne sont pas représentatives de l’enseignement spécialisé dans son ensemble »13. Mais alors, beaucoup de bruit pour rien ?
Face à ce double discours, rien de tel que de rappeler les faits. Effectivement, seule la poignée de grands conservatoires (situés pour la plupart en région parisienne) où se concentre l’essentiel des élèves se préparant à l’enseignement supérieur pourrait un jour être concernée par cette description apocalyptique rappelant les pires heures de la formation sportive de l’ex-RDA. Tous les autres ont déjà plus ou moins intégré la demande de la tutelle politique : la réforme des cycles et la place croissante dévolue au contrôle continu ont depuis longtemps réduit la place des examens de fin d’année. Dans certains établissements, on évite autant que possible le recours aux jurys extérieurs ; dans d’autres, les épreuves « maison » ne constituent même plus l’ultime recours afin de convaincre un élève peu assidu de se mettre au travail ; ailleurs, « il n’y a simplement plus d’évaluation »14, passée par pertes et profits au bénéfice de la garderie des projets transversaux… A noter toutefois que ce changement bien tempéré15 s’est déroulé durant plus d’un quart de siècle dans un certain consensus. Les grands conservatoires ont été plutôt épargnés par les réformes tout en ayant largement bénéficié de la faillite programmée de leurs concurrents de taille plus modeste ; quant à ces derniers, ils ont vu leur corps professoral largement renouvelé par de nouveaux publics issus des Cefedem16 et ont parallèlement vu fondre leurs effectifs de grands élèves aptes à suivre un parcours professionnel. La réforme pédagogique a donc délibérément favorisé un élitisme d’autant plus pernicieux qu’il est implicite. Conformément aux principes du libéralisme économique, cette concentration n’a fait que renforcer les inégalités d’un système qui, à l’évidence, fonctionne désormais à plusieurs vitesses, les finalités des différentes catégories de conservatoires (CRR, CRD, CRC/CRI) étant à présent distinctes. Cela ne dérange visiblement en rien nos pédagogues qui se plaisent par ailleurs volontiers à afficher bruyamment leur antilibéralisme. Ils ne sont pas davantage gênés par la persistance, voire le développement d’un marché parallèle de l’admission dans les cursus les plus prestigieux à travers stages d’été et autres cours particuliers, un phénomène récurrent dans les cursus instrumentaux les plus demandés. Mais qu’à cela ne tienne : « [leur] action ne se limite plus au seul enseignement spécialisé »17. Le petit provincial doué mais insuffisamment fortuné pour s’exiler et/ou intégrer ces circuits officieux, ou bien ne connaissant pas l’existence des bonnes classes au bon endroit, restera amateur toute sa vie et personne n’en saura rien.
Imaginons un instant que l’on souhaite s’attaquer de front à cette compétition cantonnée au sommet de la pyramide. Comme elle ne fait que refléter la réalité d’un marché de l’emploi saturé comme jamais, l’unique réponse sincère aurait consisté à faire intervenir l’État de manière à accroître les subventions publiques aux organisateurs de concerts ou à augmenter le nombre de postes mis au concours dans les orchestres et les conservatoires. Or, par temps de crise, nous assistons précisément au phénomène inverse : l’État se désengage. La question reste alors entière : pourquoi cet acharnement contre une réalité (la sélection dans les conservatoires) que l’on reconnaît par ailleurs largement surestimée ? Subsistent alors deux options : ou bien nos réformateurs ont effectivement dans l’idée de purger ces établissements d’élite des musiciens de haut niveau qui les peuplent, au risque de rompre un accord tacite (donc de mécontenter beaucoup de monde) et de se tirer une balle dans le pied en se privant de la possibilité de se reproduire socialement (les projets transversaux, c’est bon pour les enfants des sans-dents !) ou bien, cas le plus probable, il a été décidé en haut lieu de finir le travail en transformant l’ensemble des conservatoires non adossés à un pôle supérieur en succursales d’une garderie améliorée à vocation socioculturelle, le tout dans le cadre de la réforme territoriale à venir et dans une vision typiquement social-libérale d’un service public réservé aux catégories défavorisées. Qu’importe alors si la finalité de l’école ou du conservatoire (qui, en tant qu’école d’art, n’a rien d’un service public comme on l’a vu précédemment) se voit profondément altérée par cette mutation. La récente suppression de la subvention étatique à ces mêmes établissements semble donc valider cette deuxième solution, la réforme imminente de l’évaluation étant alors une manière de sonner la charge.
Ce qu’évaluer veut dire
Le conservatoire comme l’école sont ainsi devenus des services publics prêts à être reversés le moment venu au secteur marchand, en accord avec des « textes internationaux »18 sur lesquels il est toujours temps de se défausser. C’est alors qu’intervient l’évaluation, non plus pour compléter l’enseignement mais pour s’y substituer. Telle Janus, elle présente deux visages : le premier, tout de bienveillance, s’adresse à l’enfant dont on défendra pieusement l’intérêt. Les concours et les examens – mais aussi la salutaire expérience de l’erreur, nécessaire pour comprendre la vérité d’un énoncé – traumatisent un jeune dopé aux bêtabloquants à force de stress19. Il devient alors urgent de supprimer tout ce qui, de près ou de loin, rappelle que les capacités des élèves ne sont pas égales, tandis qu’au contraire, la socialisation par les pratiques collectives présente l’immense mérite de flatter l’instinct grégaire qu’on leur prête. La « référence unique de niveau »20 est déclarée nulle et non avenue ; l’effort répété, la mémorisation (le fameux par cœur) et l’automatisation aussi précoce que possible du geste sont dénigrés au nom de la nécessaire primauté du sens musical ; mais à vouloir dissocier artificiellement l’idée musicale du ressenti et du geste, donc de sa traduction à la fois physique et technique, ne finit-on pas par la rendre désincarnée, donc insaisissable pour l’élève ?
De même, a-t-on attendu les pédagogues pour savoir que le renfort de l’accompagnateur en cours d’instrument21 ou la pratique du piano complémentaire, notoirement insuffisants dans les conservatoires pour des raisons matérielles, étaient déterminants pour développer l’oreille et la sensibilité musicale des instrumentistes monodiques ? Plus largement, l’impératif consistant à relier l’enseignement à la réalité musicale et à son contexte appartient-il en propre à l’innovation pédagogique22 ? La justification musicale de la réforme a donc ses limites… et les pédagogues le savent bien. Pour preuve, ils n’en usent que pour faire bonne mesure face à un public averti de musiciens23, alors que dans la vraie vie des établissements, où l’on assène à satiété une logique essentiellement administrative et idéologique (pour ne pas dire de parti unique) au gré des réunions pédagogiques et autres mémoires de Cefedem, cette réflexion n’a pas lieu d’être et la rhétorique post-moderne du loisir et du vivre-ensemble reprend aussitôt ses droits24. La primauté de l’instrument étant jugée par trop discriminante, on décrète ainsi la formation globale ; l’histoire de la musique et l’analyse évoluent vers une culture musicale volontiers transversale ; le solfège est remplacé par une FM qui, pourtant initialement dotée de contenus solides25, se voit elle-même volontiers avalée à son tour par le trou noir de la pédagogie de projet ; l’écriture musicale et la composition par l’invention, sans oublier la panacée du numérique. Contre le manque de travail, hors de question d’engager la sanction scolaire, confondue délibérément avec l’autoritarisme : rien de tel que le dialogue, de préférence sous la forme d’un contrat de confiance négocié préalablement. Pour mieux traiter les causes de la fièvre, cassons le thermomètre ; pour éradiquer l’échec, rien de tel que de supprimer le savoir et décréter la réussite pour tous.
Pour autant, l’évaluation ne disparaît pas : elle ne fait que se déplacer de l’acquisition des savoirs vers le savoir-être et les valeurs, en d’autres termes l’attitude. On se replie alors sur le « comportement musicien »26, vague promesse d’une réalisation musicale aboutie. Mais ne mesure-t-on pas le risque de faire subir aux élèves une forme insidieuse de dressage, à force de solliciter leur affect et leur motivation ? C’est ici que se situe l’essence de l’évaluation contemporaine : infantiliser, rendre servile et conformiste27. Car évaluation des élèves et évaluation des professeurs sont fondamentalement de même nature – bien qu’on soit moins prodigue de bons sentiments envers ces derniers depuis que les experts ont établi que « c’est en repensant l’évaluation qu’on [pourra] espérer modifier les pratiques pédagogiques »28 – pour preuve, la prescription aux uns et aux autres de l’auto-évaluation, cette si saine incitation à l’esprit (d’auto)critique. Ces professeurs, qui furent un jour artistes et qui sont devenus à leur insu cadres intermédiaires, sont invités à « se défaire des représentations inappropriées »29 en multipliant les réunions pour co-construire des protocoles et autres grilles de compétences dûment critériées inspirées du socle de compétences, cette usine à gaz qui sévit dans l’enseignement général. On les évalue alors non plus sur l’étendue de leurs connaissances et leur aptitude à les transmettre, mais sur tout autre chose : le dynamisme, le sens du dialogue et de l’initiative, les capacités de travail en équipe, d’évolution et d’adaptation ; au besoin, on leur fait suivre une formation pédagogique30 ; on leur rappelle à l’occasion que la réforme des rythmes scolaires et l’Éducation Artistique et Culturelle (EAC)31, cet horizon ultime de l’enseignement musical spécialisé, réclament leur lot d’enthousiastes qui ont d’autres valeurs que l’argent. Et le cas échéant, on leur fait valoir une toute autre discipline que celle de l’esprit : celle du projet d’établissement. L’usage veut alors que l’on s’attaque d’abord aux non-titulaires – or, cela tombe bien : cette denrée est de moins en moins rare dans nos conservatoires.
Un écran de fumée
« Ouvrir le grand chantier de l’évaluation »32: voilà qui rappelle étrangement les réformes en cours à l’Éducation Nationale où la ministre, toute soucieuse de ne pas infliger des « blessures d’ego » aux élèves, vient de faire un sort au redoublement et aux notes avant même la fin de la concertation citoyenne organisée pour l’occasion33. Ce n’est donc pas pour rendre la pédagogie des conservatoires plus efficace (au hasard, la relier davantage au fait musical) qu’on rivalise d’activisme de part et d’autre : la coïncidence dévoile une séquence savamment orchestrée aux desseins autrement plus politiques. Car pendant qu’on s’amuse à communiquer sur les vertus des gommettes rouges (et, incidemment, sur la malveillance naturelle du prof), le Ministère de la Culture décide de ne plus verser un centime aux Conservatoires alors que l’État prévoit parallèlement une baisse drastique des dotations aux collectivités locales. Nul besoin d’être Cassandre pour prévoir un assèchement de l’offre et des capacités d’accueil des conservatoires dans les prochaines années34. Mais il y a plus retors : c’est précisément parmi le concert de lamentations sur la fin annoncée de ce financement étatique35 que l’on trouve la voix de ces défenseurs du service public qui, depuis toujours, ont joué les premiers rôles dans ce processus orwellien de démocratisation culturelle36. Et c’est au nom de valeurs de gauche que se doit de professer l’héritier exemplaire que Bruno Julliard, adjoint à la Culture à la Mairie de Paris, accuse les conservatoires parisiens, pourtant littéralement submergés par une demande pléthorique, de « bien porter leur nom » et de « n’être pas à l’image de la société parisienne »37 – on admirera au passage l’appréciation toute objective de la sociologie de la capitale. La dérive démagogique des conservatoires ne pouvait pourtant manquer d’entraîner cet abandon logique ; quant à la pureté affichée des intentions, elle n’a d’autre fin que de diaboliser le contradicteur tout en entretenant savamment la confusion des esprits.
Mais ne faisons pas de mauvais procès à M. Julliard qui ne fait guère preuve d’originalité par sa surenchère démagogique. Si l’État promeut aussi activement les pratiques collectives, la volonté d’optimiser le taux d’encadrement doit sûrement y être pour quelque chose. Si la pédagogie officielle pourfend les examens et le niveau, en commençant par les petits conservatoires où les résistances sont moindres et les esprits plus malléables, c’est (aussi) pour parvenir à une meilleure efficience des ressources humaines. Les jurys extérieurs comme les profs trop diplômés pèsent sur les budgets de collectivités sommées, en ces temps de disette, d’arbitrer entre le rond-point et le bac à fleurs ; par ailleurs, il est toujours bon que le savoir critique du prof en rabatte devant le pouvoir du chef : le modèle de l’entreprise ne s’applique pas là où l’on croit. Enfin, si le ministère s’interroge très officiellement sur le taux d’abandon des élèves (essentiellement à l’adolescence) et la faiblesse de la pratique amateur adulte pour, finalement, trouver une parade à moindre frais en traquant l’élitisme dans les conservatoires, c’est pour mieux faire oublier ses propres travers : le manque de classes à horaires aménagés, la lourdeur de l’emploi du temps au lycée (alors que les options musique y sont depuis longtemps sur la sellette), les aléas des études supérieures et de l’entrée sur le marché du travail ne permettent tout simplement pas à une grande partie des élèves – et avant tout aux moins doués, donc précisément aux futurs amateurs – de pratiquer la musique autrement que par intermittence. Sans compter que la vie active offre sans doute bien d’autres soucis au Français moyen par temps de crise, surtout s’il appartient aux nouveaux publics ; il n’a peut-être pas le temps ni la disponibilité d’esprit de s’investir dans des projets amateurs et citoyens organisés sur son territoire. Mais prenons garde : tout à leur quête éperdue d’une amorce de l’inversion de la courbe du chômage (et accessoirement de contrôle social), nos bureaucrates pourraient très bien finir par trouver le levier de croissance idéal, à savoir l’idée de recruter les futurs participants à ces ateliers… participatifs parmi les personnes à la recherche d’un emploi, une fois épuisé le stock déjà bien maigre des postulants aux TAP !
Vœux pieux, mépris et langue de bois
On pourrait poursuivre à l’envi la litanie des solutions spécieuses apportées à de justes constats. À l’inquiétude légitime soulevée par la suppression des examens, le pédagogue répond que « ce n’est pas le propos » tout en prescrivant aux professionnels de l’enseignement musical de « respecter le rythmes d’apprentissage des élèves » en les évaluant « quand ils sont prêts »38 (c’est-à-dire jamais ?). Une idée à donner des cheveux blancs aux régisseurs et aux préposés à la répartition des salles : par temps de crise, rien de tel que de désorganiser une institution qui fonctionne bien pour mieux la fusionner. Autre exemple qui en dit long : « l’articulation entre nouveaux rythmes scolaires et intervention des conservatoires dans l’éducation artistique » que les auxiliaires du pouvoir en place décrivent comme « un objectif largement partagé »39. Mais à l’évocation de la « peur » légitime « ressentie par les agents de ne plus faire de l’enseignement artistique mais de l’animation »40 en TAP, le ton se fait plus mielleux : on leur susurre qu’ils seront accompagnés, « entendus » et « rassurés » tels des enfants, tout en leur imposant sans contrepartie41 de « faire autre chose », cette autre chose dont on sait seulement que « l’objectif est moins « apprendre » » 42 [sic]. Et c’est bien sûr pour « conserver toute sa place sur le champ de l’enseignement artistique spécialisé » 43 que le Ministère se désengage des conservatoires tout en les impliquant dans une animation socioculturelle locale qui n’est pas de leur ressort : « Comme les moyens sont contraints… les autres doivent « se serrer » un peu… ! » 44 Quand le sophisme le dispute à la double-pensée, la pédagogie devient la négation d’elle-même et se met à singer les pires travers de la politique, tandis que la politique use des vieilles ficelles de la pédagogie pour mieux dissimuler son impuissance. Elles engendrent alors les figures respectives et indissociables de l’amateur, autre nom de l’ignare conformiste, et du gestionnaire féru de pilotage et de politique du chiffre, et toutes deux finissent par se discréditer à force d’offrir le spectacle de l’incompétence et d’un souverain mépris de l’humain comme de l’intérêt général.
Rompre l’illusion du consensus
L’abus de consonance nuit à la bonne tenue du discours musical ; de même, la recherche d’un faux consensus, si prisée des managers, constitue la négation même de toute politique45. De jour en jour se dessine le triomphe du mépris et de la mystification démagogique consistant à fabriquer des consommateurs ignares – autant d’électeurs dociles – au prétexte de les rendre heureux ; et dans le domaine qui nous intéresse, ce n’est assurément pas l’amour de l’art et de la musique qui anime nos décideurs et autres pédagogues. Pourtant, ce n’est pas hier que Condorcet a montré qu’un citoyen non éclairé était susceptible de se faire son propre tyran et d’engendrer cette même violence que l’on prétend juguler par le contrôle social. C’est pourquoi, si l’on veut réellement échapper à ces sombres lendemains, il faut (plus que jamais) instruire ; or, cet ambitieux dessein implique que l’enseignement dispensé aux élèves comme les formations en pédagogie retrouvent nécessairement leur nature disciplinaire et remettent à l’honneur la précieuse expérience des musiciens les plus qualifiés et des maîtres les plus chevronnés. Mais le mal vient de plus loin ; c’est bien toute l’architecture du système qu’il faut repenser. A l’opposé du chaos bureaucratique engendré par une décentralisation mal pensée46, il est temps que l’État prenne enfin ses responsabilités et octroie à l’enseignement musical spécialisé sa tutelle protectrice face à ses propres dérives comme à celles des pouvoirs locaux, comme il a su le faire en son temps pour l’école publique.
Annexe. Liste des acronymes
- ARIAM : Association Régionale d’Information et d’Actions Musicales de la région Île-de-France
- CeFEDeM : Centre de Formation des Enseignants de la Danse et de la Musique
- CA : Certificat d’Aptitude
- CNSM : Conservatoire National Supérieur de Musique
- CRR/CRD/CRC/CRI : Conservatoire à Rayonnement Régional/Départemental/Communal/Intercommunal
- DE : Diplôme d’État
- EAC : Éducation Artistique et Culturelle
- TAP : Temps d’Activités Périscolaires. On dit aussi NAP (Nouvelles Activités Périscolaires)
Notes
1 – Voir sur mezetulle.net : L’enseignement de la musique et la subversion de l’école (30 sept. 2012) et Enseigner ou évaluer ? (25 nov. 2013).
2 – Paul Raoult est le président de la FCPE, une organisation de parents… classée à gauche. http://tempsreel.nouvelobs.com/education/20130926.AFP6722/une-rentree-scolaire-assez-mitigee-selon-la-fcpe.html
3 – Pensées, Paris, Gallimard, 1934, p. 20.
4 – De Platon à Alain, en passant par Descartes et Condorcet.
5 – Ce développement doit beaucoup aux Propos de Jean-Michel Muglioni. Voir sur mezetulle.net http://www.mezetulle.net/article-16750257.html#Muglioni
6 – Extrait de la présentation d’une rencontre ARIAM animée par J. André, maître de conférences en sciences de l’éducation. http://www.ariam-idf.com/rencontres/l-attitude-non-directive-une-necessite-dans-la-pedagogie-des-activites-artistiques
7 – P. Bourdieu, « L’École conservatrice. Les inégalités devant l’école et devant la culture », in Revue Française de Sociologie, 1966, p. 337.
8 – Entretien avec C. Baubin, présidente de Conservatoires de France, Revue de la Fnapec, n°59 p. 19. Cf. http://www.fnapec.com/wp-content/uploads/2011/11/FNAPEC-WEB-BD.pdf
9 – M. Fumaroli, L’État Culturel, une religion moderne, Paris, De Fallois, 1991.
10 – Entretien avec G. Dumélie, Vice-président d’honneur de la Fédération Nationale des Collectivités Territoriales pour la Culture (FNCC), Revue de la Fnapec, n°59, lien cf. note 3 (p. 16-17).
11 – Comme c’est le cas actuellement au CRD du Val-d’Yerres.
12 – J. Aguila, « Évaluation des élèves, quoi de neuf », La Lettre du Musicien n°455, p. 26-28
13 – Ibid. Sur le « modèle finlandais », éternel mantra de la pédagogie officielle, lire l’étude éclairante de Loys Bonod : http://www.laviemoderne.net/grandes-autopsies/103-conte-de-noel-finlandais.
14 Ibid.
15 J.-C. Lartigot et E. Sprogis, Écoles de musique, un changement bien tempéré, Aix-en-Provence, Édisud, 1991. Un véritable manifeste du pédagogisme des conservatoires.
16 – La pédagogie des Cefedem prend l’élève tel qu’il est pour, surtout, le garder tel qu’il est ; c’est donc fort logiquement qu’elle s’expose telle qu’elle est, dans toute son exigence musicale et intellectuelle : http://www.cefedem-rhonealpes.org/sites/default/files/ressources/memoires/memoires%202010/KRIKORIAN%20Themelina.pdf
17 – C. Baubin, op.cit.
18 – G. Dumélie, op. cit.
19 – J. Aguila, op. cit.
20 – C. Baubin, op. cit.
21 – J. Aguila, op. cit.
22 – Les musiciens formés avant les réformes étaient-ils nécessairement des techniciens sans âme et sans culture ?
23 – En témoigne l’article de J. Aguila paru dans la Lettre du Musicien et largement cité ici-même.
24 – Comme le démontre sans équivoque le mémoire cité en note 14 (lire en particulier les pages 23-28).
25 – Il suffit de comparer l’exigence extrême des CA de FM jusqu’aux années 90 et l’absence actuelle de toute formation supérieure et disciplinaire pour réaliser l’ampleur de la régression. Sans compter que les CRR ont été largement dépouillés des cursus de 3e cycle spécialisé dans la discipline ; seul celui de Strasbourg l’a récemment réintroduit.
26 – J. Aguila, op.cit.
27 – J.-C. Milner, La politique des choses, Lagrasse, Verdier, 2011.
28 – J. Aguila, op.cit. Cette citation ne fait que paraphraser Meirieu, qu’on en juge : « […] En d’autres termes : changeons l’évaluation et l’école changera car les enseignants finiront bien par former leurs élèves à ce qui sera évalué. À la limite, il ne sera même pas nécessaire de réformer le modèle actuel par des décrets et circulaires ; il suffira de garantir le bon déroulement du “Certificat d’école obligatoire” ». P. MEIRIEU, L’École ou la guerre civile, Paris, Plon, 1997, p. 221.
29 – Ibid.
30 – On trouvera une chronique exhaustive de l’une de ces formations ici : http://www.mezetulle.net/article-enseigner-ou-evaluer-par-d-tchalik-121259446.html
31 – S’agissant de la réforme des rythmes scolaires, lire l’implacable démonstration de Jorge Morales : http://www.mezetulle.net/article-l-ecole-des-eleves-bienheureux-par-j-morales-119139586.html.
Quant à l’Éducation Artistique et Culturelle (EAC), pilotée par un Haut Conseil ad hoc et renforcée par la loi de refondation de l’École (2012), elle vise à instaurer un « parcours artistique » pour chaque élève tout au long de sa scolarité. A travers ces bonnes intentions, le législateur se mue en communicant en laissant entendre que les dispositifs existants (les programmes de musique et d’arts plastiques du secondaire, l’intervention en milieu scolaire s’agissant du primaire, sans parler de l’enseignement artistique spécialisé) étaient inopérants et/ou réservés à quelques happy few. La particularité la plus saillante de l’EAC est de n’admettre aucun contenu précis : grand seigneur, l’État laisse aux territoires et aux différents partenaires impliqués le loisir de la décliner localement à travers une démarche aussi participative que créatrice, ce qui évite accessoirement d’indisposer Bercy. Inséparable de l’Acte III de la décentralisation, l’EAC ignore les inégalités de ressources entre collectivités ; quant au tronçonnage des publics en autant de profils sociologiques qui en résulte, il ne fait qu’enfermer les usagers (ou plutôt clients) dans leurs déterminismes. Pour le reste, rien n’a changé depuis le début des années 80 : la promesse démocratique de la culture pour tous se voit une fois de plus obérée par les sirènes du tout-culturel et par l’incompétence de décideurs convertis à la religion de l’innovation comme fin en soi ; elle oscille alors entre le mirage et la farce cynique. Mais si, bientôt trente-cinq ans après le passage de la France « de l’ombre à la lumière », on en reste à invoquer invariablement ces recettes, c’est sans doute parce qu’elles n’ont pas été suffisamment appliquées !
32 – J. Aguila, op. cit.
33 – Voir http://www.legifrance.gouv.fr/jopdf/common/jo_pdf.jsp?numJO=0&dateJO=20141120&numTexte=7&pageDebut=19448&pageFin=19448
34 – On le constate d’ailleurs déjà, de Douai, à Aubervilliers, d’Orléans à Yerres… et ce n’est qu’un début ! Un exemple cette optimisation des services et des moyens fourni clés en main par un cabinet de conseil privé aux élus de l’association Villes de France : http://www.villesdefrance.fr/upload/document/doc_201410270435030.pdf (en particulier p. 16-19).
35 – E. Sprogis, « Enseignement artistique, cultures émergentes, un enjeu de service public ? » http://escales.enfa.fr/files/2009/08/sprogis.pdf
36 – Née en 1989, l’association « Conservatoires de France » se définit comme « entité pouvant devenir force de proposition auprès du ministère de la Culture, dans un souhait de réflexion sur l’évolution nécessaire des établissements ». http://storage.canalblog.com/11/93/341556/57098104.pdf
37 – « Conservateurs les conservatoires ? La Ville de Paris veut réformer », Le Monde, 17/11/2014 http://www.lemonde.fr/musiques/article/2014/11/17/conservateurs-les-conservatoires-la-ville-de-paris-veut-reformer_4524938_1654986.html.
38 – J. Aguila, op. cit.
39 – G. Dumélie, op. cit.
40 – « Intervenir en périscolaire », une formation de l’ARIAM par J.-C. Vançon, http://www.ariam-idf.com/sites/default/files/periscolaire-synthese_jcv.pdf
41 – Pour rappel, un Assistant territorial d’Enseignement Artistique (ATEA) débute au SMIC, avec un point d’indice gelé depuis 2010 : décidément, les profs sont des privilégiés !
42 – J.-C. Vançon, op. cit.
43 – Entretien avec M. Orier, directeur général de la Création Artistique au Ministère de la Culture. Revue de la Fnapec, n°59 p. 15. Lien cf. note 4.
Le procédé rhétorique est bien connu des décideurs. Lorsqu’un président de club sportif renouvelle de façon appuyée sa confiance à l’entraîneur, sa tête est menacée ; de même, en 2008-2009, les ministres Darcos et Chatel juraient leurs grands dieux que la réforme des lycées n’était pas causée par une volonté d’économies budgétaires ; la suite est désormais bien connue…
44 – C. Baubin, op. cit.
45 – Cf. J.-C. Milner, op. cit. ainsi que les trois ouvrages du sociologue J.-P. Le Goff consacrés au management : Le mythe de l’entreprise : critique de l’idéologie manageriale (1992), Les illusions du management. Pour un retour au bon sens (1996) et La Barbarie douce (1999), Paris, La Découverte.
46 – S’agissant de l’enseignement musical, cf. http://serveur1.archive-host.com/membres/up/1919747526/blogmezetulle/Telechargements_permanents/TchalikAutonomieEtablissMusiqueSept2012.pdf
© Dania Tchalik, 2015.
[Edit du 7 février 2015. Une version brève de ce texte, sous le titre « La Pédagogie contre elle-même », est publiée dans La Lettre du musicien n° 459, 4 février 2015]
Tellement triste, tellement vrai… Merci et félicitations pour cet article si clairvoyant.
Hier je trouvais qu’il était vain de reperdre de l’énergie à ferrailler avec ces esprits retors.
Aujourd’hui, je suis en colère contre ces intellectuels qui mettent leur talent et leur plume au service de l’obscurantisme.
Nous qui passons notre temps à essayer d’ouvrir les fenêtres pour que le soleil ait une chance de rentrer partout, c’est intolérable que des artistes, des musiciens aient plaisir à claquer les portes.
Juste pour préserver un entre-soi, le concept d’un paradis perdu.
Ils défendent aussi peu l’art et la musique que ces fanatiques qui tuent au nom de l’Islam. Et ils ont leur part de responsabilité dans cet échec de l’éducation et de la culture.
Je ne sais plus s’il faut répondre, manifester ou simplement poursuivre ce à quoi nous tenons le plus : une éducation libre et sensible pour tous !
Christine Souillard, Directrice CRD Saint-Omer
Je me permets de faire une remarque en tant qu’éditeur.
L’importation des « fanatiques qui tuent au nom de l’islam » dans un débat consacré à la pédagogie de la musique, moins d’une semaine après une série d’attentats islamistes sans précédent, ne me semble pas constituer un argument. C’est ainsi que, à une autre époque, il suffisait de dire « petit-bourgeois » pour discréditer tout propos critique. Lorsque Dania Tchalik a publié son premier article critique dans Mezetulle, il a été l’objet, dans quelques commentaires que tout le monde peut encore lire, d’une psychologisation. Différentes variantes d’un même procédé.
Mais là on pousse le bouchon un peu loin : comme si la critique du pédagogisme était analogue à un geste non seulement iconoclaste mais encore meurtrier!
Dania Tchalik comparé à un tueur islamiste…
En fait, Madame, ce n’est même pas que vous ne supportez pas qu’on ne pense pas comme vous, c’est bien pire, VOUS NE COMPRENEZ PAS que l’on puisse défendre des idées qui ne vont pas dans le sens de votre idéologie. Bel exemple de démocratie. C’est tellement plus simple de refuser le débat. Et, bien sûr, si l’on ne pense pas comme vous, c’est forcément que l’on n’aime pas l’enseignement. La messe est dite.
Serge Coste, obscurantiste et esprit retors.
Traiter les publications de Mezetulle d’obscurantistes, il fallait le faire !!! Le politiquement correct aime bien mettre les choses à l’envers (parfois même jusqu’à l’absurde et le grotesque) afin d’éviter l’argumentation et la confrontation intellectuelle. Les esprits libres sont dissonants et les articles de Dania Tchalik nous le montrent. Etre dissident n’est pas qu’un simple désaccord, cela se gagne. C’est le courage d’être obstiné, impertinent et indépendant pour ne pas rester un simple spectateur, voire un complice, d’un obscurantisme qui « ferraille les esprits retors », déguisé en ouverture et progrès (encore une chose qui nous est présentée à l’envers).
Dania Tchalik dit ce que certains ne voudraient pas entendre et écrit ce que les mêmes préféreraient ne pas lire. Les régimes totalitaires riposteraient par la psychiatrisation, la pensée unique par l’intimidation, la diabolisation et les insultes. Il n’en reste pas moins, et pour reprendre une phrase de Camille Desmoulins à Robespierre, que « brûler n’est pas répondre ».
Ne reprochons pas à ceux qui se revendiquent des sciences de l’éducation d’exister, ils ont bien le droit de penser ce qu’ils veulent, par contre on peut leur reprocher aisément de croire que leur idéologie est la seule valable et donc de l’imposer aux autres.
Il me semble qu’en démocratie toutes les opinions doivent être prises en compte. Les sciences de l’éducation sont une idéologie qui s’appuie sur des textes, comme ceux de Piaget, en effet. Piaget dit des choses intéressantes, mais il dit également des choses très discutables. Discutons donc ? Se revendiquer d’un penseur et ignorer les autres, qui ne vont pas dans le même sens, c’est étrange. Quid de la psychanalyse par exemple, pour ne citer qu’elle ? Réduire l’être humain à son cerveau ce n’est pas très humaniste, terriblement scientiste et rassurant.
Pourquoi ne pas prendre en compte toutes les opinions dans la formation des enseignants ? Les élèves pourraient ainsi faire leur choix, aller avec Monsieur untel concertiste ou Monsieur untel, spécialiste de la « transversalité des enseignements ». Pourquoi imposer dans les Cefedem et les conservatoires une seule façon de penser ? La pluralité des opinions n’est-elle pas préférable ?
Le commentaire de Mme Souillard est intéressant en ce qu’il valide les analyses de M. Tchalik : la réflexion n’est plus que d’un côté ; en face on a droit à une analogie aussi indécente qu’incohérente – par incapacité à argumenter ? Il est vrai que la controverse demande un effort et qu’elle s’accommode mal avec la sensiblerie spontanéisante. Indécente parce qu’il faut avoir perdu le sens de la mesure – ou avoir une dilection prononcée pour la provocation de mauvais goût – pour insinuer, surtout dans les circonstances actuelles, que M. Tchalik vaut le premier djihadiste venu. Incohérente puisque le propos de M. Tchalik, en bon condorcétien, est précisément, contrairement aux fanatiques, de rendre la raison populaire, ici de donner accès à tous à la musique à travers un enseignement de qualité, exigeant et non « discriminant » comme le proposent les nouvelles pédagogies qui visent à distraire les démunis tandis que les privilégiés seraient les seuls à avoir droit à l’excellence.
Samuël Tomei, historien (et mélomane qui sait gré à son professeur de musique de jadis de l’avoir estimé digne d’un enseignement rigoureux, qui lui sait gré si longtemps après de l’avoir instruit plutôt que bercé, qui lui sait gré, donc, de ne pas l’avoir trompé ni méprisé).
PS : Que les démagogues qui hélas aujourd’hui s’en réclament se rappellent ce mot de Ferdinand Buisson : « L’éducation vaut ce qu’elle coûte. »
Honnêtement, les arguments de monsieur Tchalik et son argumentation fouillée méritent autre chose et mieux qu’un procès en « obscurantisme » (lequel d’ailleurs n’est pas défini). Monsieur Tchalik mérite aussi autre chose et mieux que d’être comparé à des « fanatiques qui tuent au nom de l’Islam ». Je me demande bien ce que ce procès en sorcellerie vient faire dans un débat sur les politiques culturelles ? Ne sommes nous pas en pleine confusion mentale ?
Pour ma part, je souscris pleinement aux conclusions de ce dernier article et je souhaite exprimer ma reconnaissance à M. Dania Tchalik qui prend la peine de trouver les mots pour exprimer de façon si limpide des arguments que nous sommes nombreux dans « l’enseignement artistique spécialisé » à partager. Je ne saurais toutefois cacher mon profond pessimisme sur les possibilités réelles de revenir sur cet écroulement programmé. Etudiant, j’entendais déjà dire par mes professeurs qu’un dévoiement démagogique de la belle idée de « démocratisation culturelle » se traduirait par le renforcement des inégalités d’accès aux arts et notamment à la musique. Nous y sommes maintenant et les belles âmes qui importent consciencieusement – et le plus vite possible – les travers de « l’ éducation » nationale en faillite dans les conservatoires de musique porteront la responsabilité de ce qu’il faudra bien se résoudre à qualifier de décadence de civilisation. Quant au commentaire de la directrice de Saint-Omer, à l’instar de bien d’autres, il tente, avec une effarante maladresse à la limite de la diffamation pure et simple, de censurer avec son allusion tout à faite étrangère au sujet, la teneur véritable de ce qui est exprimé. Cela a déjà été exprimé par d’autres, mais le résultat de son commentaire démasque de façon éclatante les procédés habituels (parfois plus élaborés il fait le dire) d’une nomenklatura arrogante qui refuse en fait toute remise en question.
Bonjour,
bravo pour cet article, bravo d’oser ainsi affirmer vos conceptions de notre métier.
Professeure diplômée d’Etat, titulaire du fameux concours de la FPT, je constate (malheureusement) à quel point mon expérience de 25 ans en écoles de musique et conservatoires est partagée.
A la suite d’un harcèlement qui m’a démolie et a failli me faire perdre mes passions pour la musique, pour mon instrument et pour l’enseignement, j’ai demandé et obtenu une mise en disponibilité.
Bien que reçue en entretien à chaque fois que j’envoyais un CV, j’ai compris que toute mutation me serait impossible.
Avant de renoncer totalement à la musique, j’ai créé mon école privée.
Cela allait à l’encontre de mes convictions…cela m’a sauvée. Aujourd’hui, mes élèves de tous âges et de tous niveaux (bien plus avancés qu’en école de musique où il n’y a plus de 3ème cycle) partagent la musique, jouent en ensembles (musique de chambre et orchestre), vont au concert, continuent à progresser…
Je ne travaille pas seule : d’autres enseignants ont choisi, dans mon département, de créer leur entreprise ou leur association.
L’amertume face au « système » commence tout juste, pour ma part, à s’estomper. Je sais par d’autres qui ont subi ce rouleau compresseur qu’on ne s’en remet jamais complètement. La « novlangue », la pédago-démagogie me terrorisent encore…mais bon, l’essentiel a été préservé.
Bravo à vous et très bonne continuation.
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