Après les cartes géographiques, la programmation de concerts et le patrimoine historique, voici le « jardin interreligieux » qui entoure une église de la banlieue strasbourgeoise. Illustrant à merveille les progrès continus d’une dérive pédagogiste synonyme d’hypocrisie, de conformisme et d’abêtissement, il est moins dédié à la contemplation religieuse individuelle qu’à une religion civile, celle du vivre-ensemble.
Religion et pouvoirs publics : le mélange des genres
En déambulant récemment dans le quartier strasbourgeois de la Meinau, mon attention a été attirée par une pancarte plutôt design située à l’entrée d’un modeste square entourant une église catholique à l’architecture non moins banale. Ce panneau, loin de vanter les qualités artistiques de l’édifice religieux ou de ses alentours, signale l’entrée d’un jardin interreligieux. Chose qui choquerait un « Français de l’intérieur », il comporte le logo de la Communauté urbaine – entretemps devenue Eurométropole1 – de Strasbourg. Mais l’on se souvient que le particularisme du régime local – notamment concordataire – admet cette intrusion caractérisée de la puissance publique dans ce qui relève de la conscience individuelle.
À chaque public ses monuments
L’association « Oasis de la Rencontre » a ainsi conçu, « en partenariat avec la Ville de Strasbourg », un « lieu de rencontre, de partage et de dialogue » [sic] qui est en même temps – c’est là que les choses deviennent intéressantes – un « espace pédagogique ouvert à tous, pour découvrir la source de ces trois religions, leur Histoire et leur culture », pas moins. Elle dispense généreusement au visiteur la vue des « plantes, monuments et symboles reconnus par chacun des cultes ». Une légende décrit ainsi avec précision les « monuments » en question : « surface en stabilisé, file pavé béton [sic], bancs avec ou sans dossier, galets pris dans du béton, mur en L béton gris, corbeille de propreté [re-sic] » : sans doute suppose-t-on le public (pardon : les publics) local moins difficile que d’autres. Enfin, dans un esprit dûment participatif, l’association invite tout un chacun à « œuvrer à l’entretien du jardin ou [à] son embellissement » mais également à « ne pas arracher les plantes et les herbes », comme si les habitants du cru étaient particulièrement sujets à ce type d’incivilité. Autant de valeurs prêtes à être prodiguées à l’occasion de « séquences pédagogiques » (encore !) ou de visites d’école que l’association se propose également d’organiser.
Six stations du politiquement correct
Le visiteur aura donc tout loisir de découvrir « les éléments propres aux trois grandes religions filles d’Abraham ». Restrictif, le choix de ces cultes a sans doute été mûrement réfléchi : un lieu de création artistique ne se doit-il pas de rayonner sur son territoire et refléter les communautés qui le peuplent ? Une première œuvre évoque « les nomades de la foi [qui] se retrouvent et rencontrent Dieu ». Plus loin, il est question de « la loi [qui] structure l’homme » avec ses « tables de la loi » au « fondement de la religion juive : Dieu remet ses paroles à Moïse » : on notera le laconisme austère de cette évocation. Encore plus loin, « une fresque chrétienne [sans préciser s’il s’agit des cultes catholique, luthérien ou réformé, un détail sans doute insignifiant en Alsace-Moselle] évoque [certes, avec plus de lyrisme] le partage et la convivialité à travers la nourriture, […] le geste fondateur de ce partage transform[ant] le monde en humanité » : assurément, le monde d’avant le Christ n’était pas humain. Mais c’est la « diversité en fraternité » [sic] de l’islam qui inspire le plus nos pédagogues d’un jour : « la révélation divine donnée au prophète Mohamed [sic] s’est répandue sur la terre en portant un message de miséricorde, de fraternité et d’égalité » – les femmes afghanes, saoudiennes ou bien tchétchènes en témoigneront. Les mauvais esprits ne manqueront sans doute pas de relever que cette diversité se manifeste tout particulièrement les jours de marché (ce dernier jouxtant le jardin et son église) où l’on assiste à une véritable multiplication des voiles, sur les étals des marchands de vêtements comme sur les têtes des passantes. Quant à la sixième et ultime étape de notre promenade à travers le jardin, elle s’intitule fort à propos « le monde unifié » et se compose d’un arbrisseau symbolisant « la volonté des hommes d’œuvrer à un monde plus harmonieux » : un programme que chacun confrontera à loisir à l’actualité récente et moins récente.
La laïcité dévoyée
Face à ce qui s’apparente à une manifestation voilée (c’est le cas de le dire) de communautarisme, il est à se demander si le but recherché est d’édifier certains fidèles ayant quelque peu dévié de la voie couramment admise2 ou bien d’exhorter ceux qui nient l’« hospitalité du Père des croyants » offerte en « la tente d’Abraham, ici en forme d’agora » à revenir à de meilleurs sentiments. Mais en aucun cas cette effusion de niaiserie ne propose de les sortir de leur supposée appartenance, érigée au rang d’essence. Car il serait certainement malvenu d’en référer au pouvoir de la raison et, conséquemment, à l’instruction publique face à des acteurs de la société qu’il s’agit surtout de ne pas stigmatiser…
Notes
1 À ce propos, le manque d’entrain de nos élus à remplacer ce panneau devenu obsolète est proprement scandaleux et insupportable. Ne se doit-on pas de communiquer aux publics la bonne nouvelle de la réforme territoriale, ce signal fort en même temps que levier de changement, impactant l’avenir du pays tout entier ?
2 Voir cet article.
© Dania Tchalik et Mezetulle, 2015
Voir le dossier La fièvre pédagogiste et les « activités de loisir ».
Quand je pense qu’il en est pour douter encore qu’il s’agit d’une offensive tous azimuts et pour croire que la rue est un espace laïque…
Le Camp du Bien est encore plus répugnant que l’islamisme militant. Comment disait Charb déjà ? « J’ai moins peur des intégristes religieux que des laïques qui se taisent. » Quant aux collabos — et ce que vous décrivez ici est de la collaboration face à l’ennemi.
Il faut reconquérir la rue, en détruisant ces âneries bien-pensantes et en supprimant des lieux publics tous les signes de superstition et de tolérance des superstitions.
On accuse régulièrement les dénommés réac-publicains de vouloir éliminer toute trace de religion dans l’espace public. Cette allégation fait sourire : qui songe sérieusement à supprimer les exécutions publiques de la Messe en si de Bach (ce « superstitieux » entre tous), du Requiem Allemand de Brahms (qui, pour rappel, était agnostique), ou encore à raser la Grande Mosquée de Paris – sous prétexte que tous ces monuments et oeuvres d’art constituaient, par leur seule présence, une menace pour la laïcité et l’ordre public ? Et souhaiterait-on enlever notre travail à nous autres artistes ou historiens de l’Art ?
Non, ce qui est en cause ici, c’est la prétention du discours religieux à l’exclusivité : on suppose que tous les habitants du quartier (ou des quartiers ?) sont autant de membres de communautés. C’est l’assignation à résidence, le manque de recul et la niaiserie d’une « pédagogie » qui, sous prétexte de « vivre-ensemble », infantilise et prend le citoyen pour un imbécile. C’est enfin le soutien, y compris financier, dispensé à toute cette logorrhée méprisante et bienpensante par la puissance publique. Et, conséquence directe de tout ce qui précède, la démagogie et la coupable lâcheté de ces mêmes politiques face aux avancées d’un nouveau fascisme.
Mais ne faut-il pas y voir plus largement, au-delà de la question religieuse qui est aussi le révélateur d’un mouvement de fond, la remise en question d’un modèle français – une fois encore – en matière de liberté de conscience ?
Merci, c’est une superbe démonstration des limites du mot d’ordre du « vivre ensemble » : l' »ensemble » dont il est question ne désigne jamais tous les humains, mais ceux avec qui je partage une valeur importante, ici la foi dans l’une des religions du Livre.