À lire dans Philosophie Magazine n° 95 (décembre 2015-janvier 2016), p. 73 une interview de Catherine Kintzler – propos recueillis par Martin Legros -, intitulée « Ne pas sacrifier la laïcité sur l’autel du terrorisme ». Ce numéro, avec un impressionnant dossier sur le terrorisme, est de bout en bout passionnant.
Ce numéro de Philosophie Magazine est, de bout et bout, passionnant et de haute tenue. Entre deux longs entretiens, l’un avec Francis Wolff et Joao Maria Pires sur la musique, l’autre avec Elisabeth Badinter sur le fanatisme, un dossier « Terrorisme, terreur » a été réalisé en urgence. Y sont proposées des analyses qui tranchent avec les sempiternels textes compassionnels où des « intellos », faute de pouvoir cette fois accuser les victimes, s’épuisent en incantations « ça-n’a-rien-à-voir-avec-l’islam » et en culture de l’excuse drapée dans un sociologisme pourvoyeur d’omerta.
Le ton du dossier de Philo Mag, heureusement dissonant par rapport à ce chœur défaitiste et féroce, ne renonce jamais à la hauteur de la pensée. On lira (p. 50), entre autres, une impressionnante analyse signée Philippe-Joseph Salazar, du communiqué de l’EI revendiquant les massacres du 13 novembre, intitulée « Le communiqué du Califat a une dimension cachée » .
L’interview de CK par Martin Legros p. 73 est consécutive à une interview de Marcel Gauchet (p. 68-72), à la fin de laquelle ce dernier déclare : « Nous devons redéfinir la laïcité en fonction des problèmes particuliers que pose la religion musulmane».
Les questions de Philosophie Magazine à CK :
- Pour répondre au défi du terrorisme et du fanatisme, certains envisagent de changer les règles de la laïcité. Que leur répondez-vous ?
- Certains avancent que la laïcité a été édifiée en réponse au catholicisme, ce qui la rendrait obsolète face à l’islam ?
- L’État peut-il contrôler les lieux et les ministres du culte ou aider à financer la construction de mosquées sans renoncer à sa neutralité ?
- Pourquoi ne pas proposer un contrat social à la communauté musulmane qui fixerait les obligations et les attentes mutuelles ?
Passage mis en exergue par la rédaction : « Dire que la laïcité s’applique mal à l’islam, c’est fétichiser la version la plus rigide de cette religion».
Voir le sommaire et la présentation du numéro sur le site de Philosophie Magazine.
Il est dérisoire de trier les imams, ou d’énumérer les contresens sur le Coran. Comme il l’était de réfuter le Protocole des Sages de Sion. (On ne se laissera pas intimider par les accusations de “reductio ad hitlerum”).
Les décideurs de Daech-EIIL se réfèrent aussi peu sincèrement au Coran que les décideurs nazis à l’antijudaisme. Ils n’ont pas plus besoin de connaître le Coran que Hitler n’a eu besoin de lire Heidegger.
Il faut être M. Onfray, prêtre de Raël, ou M. Houellebecq pour prendre à la lettre “Gott mit uns”, ie “allahu akbar”, pour déplorer que Mein Kampf n’ait pas été mis à l’Index par le Vatican.
Certes, le fait est là: le djihad guerrier, par l’épée est manifestement légitime dans le Coran.
Mais il n’est pas plus le mobile des chefs de “D.a.e.c.h.” que ne fut celui de Hitler et ses complices leur antisémitisme “chrétien” évident. Celui-ci excluait en principe le crime qui précisément a été accompli (“un chrétien ne touche pas au peuple élu”). Celui-là passe à l’offensive contre des innocents, que Mahomet n’autorisait que “défensif”.
Il y a des lustres que l’antisionisme est évidemment le plus petit commun diviseur dans le monde arabo-musulman. Nul ne peut y régner sans se proclamer tel et surenchérir dans l’antijudaisme.
En Allemagne, avant 1933, l’antijudaisme était le thème le plus mobilisateur et transversal, le moins scindant entre les classes, et depuis plus longtemps qu’ailleurs : “si le Juif n’existait pas il faudrait l’inventer” (Hitler). On ne voit pas quel autre chemin les Nazis auraient pu emprunter pour prendre le pouvoir? Et comment ils auraient pu ne pas en “rajouter” pour s’y maintenir. Très vite ils n’eurent plus le choix qu’entre éliminer et disparaître (et ils prirent grand soin de dissimuler ce secret d’Etat). Aussi bien, n’était-ce pas par ce biais qu’on pouvait en venir à bout et que, d’ailleurs, on les a vaincus.
La seule façon de les prendre au sérieux, ce fut de les abattre.
Le difficile, cette fois encore, ce sera, pour les détruire, de ne pas les croire sur parole.
Pour autant, les détruire sans phrases ne dispense pas de comprendre comment ils parviennent à transformer des malfrats de 25 ans, hier en génocideurs et aujourd’hui en kamikazes.
Les Nazis ont exploité les humiliations des Allemands après 1918. Et nous payons au prix fort celles des Palestiniens. Notamment. Ces humiliations réanimées jour après jour à travers la réfraction de nos sociétés injustes, excluantes, ie d’une grossière infidélité en cela à leurs propres principes ou valeurs (relire Khaled Kelkal). Et qui ne cessent de spectaculariser la chose.
Ah! Comme elle est laïque, cette fiscalité française qui privilégie les dons aux Eglises!
Ce n’est pas à ces tueurs de nous le rappeler. Pourtant comment ne pas songer que si nous avions réitéré plus régulièrement notre opposition à la politique de colonisation du gouvernement israélien, ce n’aurait été que justice? Nos principes s’en seraient trouvés réaffirmés. Peut-être même cela nous aurait-il protégés? (tant il est vrai, M. Gauchet, que les droits de l’homme sont une politique).
Peut-être est-il encore temps.
Avant que ne ressurgisse parmi nous la vieille obsession génocidaire du Juif fauteur de guerre ?
Bonsoir,
Je ne suis pas sûre que le Califat soit si inculte que vous le dites. Je vous renvoie à l’excellent article de Philippe-Joseph Salazar dans le numéro de décembre-janvier de Philosophie Magazine, ainsi qu’à celui de Jean-Claude Milner « Le Califat a des lettres », que l’on trouve en ligne et que vous pouvez télécharger ici http://serveur1.archive-host.com/membres/up/1919747526/Annonces/JCMLeCalifatadeslettres.pdf Leur analyse n’en est que plus glaçante.
De même, si la politique extérieure (ou plutôt l’incohérence de politique extérieure) a sa part, il ne faut pas oublier que le Califat ne déteste rien tant que ce que j’ai appelé « la respiration laïque », il faut remarquer en outre que des pays sans politique extérieure marquante ou allant dans le sens que vous dénoncez sont également visés par le terrorisme du Califat, et que des pays non-laïques le sont aussi. Alors, si on suit votre raisonnement aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, faut-il sacrifier la laïcité et les principes républicains sur l’autel du terrorisme, au motif d’éviter la guerre ? Mais, pour paraphraser Churchill, on aurait à la fois le déshonneur et la guerre.
« Certes, le fait est là: le djihad guerrier, par l’épée est manifestement légitime dans le Coran.
Mais il n’est pas plus le mobile des chefs de “D.a.e.c.h.” que ne fut celui de Hitler et ses complices leur antisémitisme “chrétien” évident. Celui-ci excluait en principe le crime qui précisément a été accompli (“un chrétien ne touche pas au peuple élu”). Celui-là passe à l’offensive contre des innocents, que Mahomet n’autorisait que “défensif”. »
Les nazis étaient très antichrétiens, et considéraient en fait le christianisme comme une invention juive nuisant au peuple allemand. Himmler, par exemple, en voulait beaucoup à Charlemagne pour la conversion forcée des Saxons. Si les nazis avaient gagné la guerre, il semble que Hitler envisageait de régler leur compte aux responsables de l’Eglise catholique allemande.
Donc ce que vous dites ne semble pas correspondre à la réalité historique.
Quant aux évêques français, ils ont en effet comme vous le mentionnez plus bas protesté en septembre 1942, puis en juillet 1943 (loi de dénaturalisation demandée par les nazis) et il semble que dans les deux cas cela ait conduit à un ralentissement des déportations. Une vague d’arrestation supplémentaire, s’ajoutant aux demandes précédentes, était demandée par des Allemands de Paris en septembre 1942, et Laval s’est appuyé sur les protestations pour obtenir d’Oberg qu’il les annule. La loi de dénaturalisation n’a pas été promulguée à l’été 1943.
Si on voulait faire du mauvais esprit, par exemple pour répondre à un anticlérical un peu trop caricatural, on pourrait d’ailleurs remarquer que les responsables gouvernementaux impliqués dans ces rafles étaient proches de la gauche anticléricale (Bousquet et ses adjoints, Laval jusque dans les années 1930) ainsi que l’autre président du Conseil symbolisant la collaboration, Darlan. Au contraire, les protestataires étaient protestants comme Boegner, ou évêques.
Merci
Ouh là là! Je crois que le malentendu est complet!
Qu’est-ce qui peut bien vous laisser imaginer que je préconiserais de sacrifier la laïcité sur l’autel du terrorisme? Il faut au contraire la renforcer!!.
Mais on a l’air d’oublier que le terrorisme frappe tout bêtement là où sa victime est fragile. (et non là où le pousserait une doctrine préalable). Et c’est notre pratique défaillante de la laïcité qui est notre ventre mou. Vous semblez considérer la France comme un pays laïque au sens de la loi de 1905. Notre « respiration laïque » est bien courte. Et le ventre mou, c’est aussi ipso facto notre Ecole. Ce fut aussi notre presse satirique lorsqu’elle ne cessait de nous rappeler chaque semaine au respect de nos propres « valeurs ». Comme vous le dites, ailleurs, dans des pays non laïques, ils trouvent en effet autre chose pour massacrer!
Parce que, moi, je n’y crois pas à ces proclamations de religiosité musulmane des tueurs. Viser Charlie, c’était faire taire cette référence aux Lumières. (ce n’était pas venger Mahomet, même si le croyaient probablement les lâches tueurs crétins à qui on avait dit de le crier dans la rue).
Que le califat « ait des lettres », c’est possible. Mais on ne m’a pas encore démontré que les actes qu’ils ont commandité, ce sont ces lettres qui les leur ont inspiré! Même sous forme de souvenir du Paris de Baudelaire comme dit Milner.
Je n’ai jamais dit que les califes étaient incultes. 1° parce que je n’en sais rien 2° parce qu’on s’en fiche.
Il faut désynchroniser culture & démocratie; il faut être plus kantien (ou rousseauiste) que condorcetien. Vous savez, Khomeiny, il avait fait une thèse sur…les néo-platoniciens. Eric Weil disait que Hitler n’avait pas eu besoin d’Heidegger. Ca ne voulait pas dire qu’Hitler ne l’avait pas lu -qui sait?-: mais qu’il n’en avait pas eu BESOIN, que c’est simplement hors sujet s’agissant d’un totalitarisme.
D’ailleurs, dans leur communiqué, vos grands théologiens ne prennent même pas la peine de citer « leur » Koran: ils parlent des Parisiens en proie au stupre, avec leurs rues malodorantes (sic), ah! ces salauds ont du bien rigoler.
Et nos nigauds de leur emboîter le pas en ramenant Hemingway: « Paris est une fête »! Tu parles d’une fête! Ligne C RER; plus de livres à la FNAC; plus de petit commerce ou d’artisans; spéculation immobilière; digicodes, etc. Milner ne pousse quand même pas le ridicule jusqu’à faire du 12e arrondissement un de ces lieux où souffle l’esprit!
Je vous répète que ces gens-là, il ne faut pas les prendre AU SERIEUX, ie à la lettre. jusque et y compris dans leurs actes (singuliers « martyrs » qui tuent des innocents et vont se cacher! Du toc! Bizarres « kamikazes » qui crient aux policiers à Saint Denis: « laissez-moi sortir! » -détail censuré par les médias. Du bidon!). Il faut les prendre AU TRAGIQUE: c’est eux ou nous.
Et puisqu’ils surfent sur la douleur que les foules musulmanes ont à la palestine (dont bien sûr les califes eux-mêmes se f….tnt éperdument), il faut traiter celle-ci faute de quoi je vous garantis une flambée d’antijudaïsme français dans les années à venir. Le bouc émissaire est tout trouvé.
Vous sous-estimez la portée criminelle et même catastrophique de l’opportunisme intellectuel & de la non conviction: la terreur ne fait référence à rien chez ses vrais responsables.
Churchill n’a pas réfuté la pensée volkisch, il a détruit le califat hitlérien et ses érudits avec.
Bien à vous
Bonjour,
Merci de dissiper le malentendu. Mais relisez votre commentaire précédent : on pouvait s’y méprendre, et votre mise au point est bienvenue. Entièrement d’accord avec ce que vous dites au premier alinéa, au sujet du ventre mou.
Sur la suite, je voudrais souligner que le point de vue « je ne crois pas à ces proclamations de religiosité musulmane des tueurs » pourrait servir les raisonnements de l’excuse (« ça n’a rien à voir avec l’islam » etc.) – dont je pense que vous êtes en fait très éloigné, mais il y a là une ambiguïté qui mérite, elle aussi, d’être dissipée.
La question à mon avis ici n’est pas de savoir si la culture et les « lettres » sont ou non compatibles avec l’exercice de la terreur. Peut-être là aussi faut-il que je dissipe de mon côté ce que je pense être un malentendu : ce n’est pas toujours et nécessairement en vertu de telle ou telle culture que les égorgeurs égorgent, que les massacreurs tuent, mais (relisez bien le communiqué de l’EI) ils utilisent des références et une certaine culture pour exposer leurs desseins et nous avons le devoir de lire leurs communiqués avec le maximum d’outils. C’est ce que suggère de faire JCl Milner dans l’article « Le Califat a des lettres », et c’est ce que fait, avec une grande érudition, Philippe-Joseph Salazar dans l’article de Philosophie Magazine de décembre que j’ai cité et dont la conclusion est glaçante et extrêmement utile pour lutter contre l’EI. Le recours au savoir et même à l’érudition est ici du même ordre que le recours aux théories du chiffre pour comprendre un message crypté en temps de guerre : il fait partie de l’arsenal et il n’y a pas de raison de s’en priver.
J’espère que ces différents éclaircissements, de ma part comme de la vôtre, seront utiles.
Bonjour,
Ce n’est pas que je sois un « m’as-tu-lu » invétéré, mais je me permets l’outrecuidance de renvoyer à mes échanges avec M. VULLIERME auteur d’un savant « Le nazisme miroir de l’Occident » (éd. du Toucan, 2014) sur son site: questions à l’auteur (il y environ 6 mois). Thème: la violence totalitaire fait-elle référence? Mérite-t-elle d’être envisagée comme obéissant, renvoyant à la lettre d’une doctrine, idéologie (ce qui est l’optique de Vullierme, solidement étayée, pas la mienne cette obéissance, ce renvoi supposant une rationalité à laquelle cette violence me paraît avoir commencé par récuser).
Pas seulement par pure vanité (encore que…), mais aussi (peut-être?) pour ne pas encombrer le site de Mezetulle.
Bien à vous et à vos lecteurs et contributeurs michel piquet
Remarques:
-la loi de 1905 est limpide, elle ne comporte aucune équivoque et n’appelle aucune interprétation -n’en déplaise à Marcel Gauchet
-Toute « adaptation de la laïcité » à telle ou telle confession ne ferait que déclencher une surenchère religieuse extrêmement périlleuse. Les adaptateurs de la laïcité veulent créer un précédent susceptible de justifier demain des revendications confessionnelles aujourd’hui encore inacceptables.
-Les chrétiens sincères n’ont rien à gagner au déclin de la laïcité: ils devraient pourtant le savoir! Lorsque des évêques ont commencé à s’inquiéter des déportations, Bousquet écrivit à Oberg avec copie à Laval: « pas de problème; je reçois les évêques: je vais leur parler de leurs écoles, ça va les calmer ».
-Le jour où on recrutera les imams comme on recrute aujourd’hui les enseignants sous contrat, les cafetiers du 12e arrondissement auront du souci à se faire.
-La France, qui avait eu parfois une attitude équilibrée donc utile sur le moyen Orient ne fait que suivre les USA d’Obama, qui ont « abandonné » cette région depuis leur recours au gaz de schiste. et la chute du prix du pétrole…