Si la question résurgente du « burkini » n’a pas changé de nature politique depuis 20161, en revanche, en se manifestant dans les piscines publiques, elle affecte un terrain plus sensible, parce que plus réglementé, que celui des plages où elle était initialement apparue. Elle n’est qu’un jalon parmi d’autres tests que les menées communautaristes font subir aux principes républicains, notamment dans le domaine du sport auquel il convient de s’intéresser plus largement en s’aidant d’un ouvrage éclairant.
Publié récemment et téléchargeable sur la page du Conseil des sages de la laïcité, le vademecum Liberté d’expression, neutralité et laïcité dans le champ des activités physiques et sportives2 parcourt et analyse de manière concrète la plupart des situations qui, dans le domaine de l’activité sportive, peuvent contrevenir aux principes républicains. Doit-on, peut-on y faire obstacle et si oui, comment ?
Après avoir exposé la pertinence de la question – l’intervention croissante du religieux dans la pratique sportive, constatée notamment par plusieurs rapports parlementaires et de l’IGESR3 –, après en avoir identifié distinctement les risques – prosélytisme, communautarisme, radicalisation -, cet ouvrage de 67 pages éclaircit sous forme de 10 fiches thématiques les multiples contextes et statuts dont la complexité, en l’absence d’un tel éclaircissement, est génératrice de confusions.
En effet, des situations apparemment identiques n’appellent pas la même appréciation selon qu’elles prennent place dans l’exercice du sport scolaire, du sport universitaire, dans une fédération agréée, une fédération délégataire, au sein d’une association sportive privée, dans un club municipal, etc., et aussi selon la nature de l’activité qu’on y exerce (organisateur, employé, simple pratiquant). Et ce n’est pas le moindre mérite de ce vademecum que d’avoir réussi à structurer et à ordonner cette « usine à gaz » qu’est apparemment l’organisation du sport en France. Pour chaque type de contexte (service public, fédération, association, structure municipale…) un tableau pose la question « Suis-je astreint à une obligation de neutralité ? », la décline selon le statut de l’intéressé (organisateur, salarié par l’organisme, bénévole, arbitre, pratiquant…) et y répond très clairement en s’appuyant sur la réglementation en vigueur. On sait alors dans quels contextes, pour quels statuts, la règle de neutralité est une obligation, dans quels autres elle est une possibilité et selon quels moyens. Ainsi et par exemple, un bénévole ou un salarié participant à l’encadrement sera soumis à l’obligation de neutralité dans le cadre de l’Union nationale du sport scolaire (UNSS), alors qu’un règlement intérieur pourra lui imposer de restreindre la manifestation de ses convictions dans le cadre du sport universitaire (FFSU)4.
Enfin, armé par cette clarification, on passe à la partie pratique et proprement analytique qui mobilise les outils mis en place précédemment. Que faire lorsque tel ou tel cas concret se présente, à quelle typologie remonter pour l’apprécier et prendre une décision ? L’exposition de onze « situations » significatives5 montre pour chaque cas comment pratiquer cet exercice du jugement et permet d’obtenir une réponse pertinente.
L’actualité me conduit à citer intégralement le cas n°4 : port du burkini par une nageuse dans une piscine municipale, p. 55 :
Faits
Madame F. a adhéré en 2020 à des activités proposées par la piscine municipale. En janvier 2021, elle décide de les poursuivre en burkini. Les encadrants sportifs lui demandent de ne plus revenir tant qu’elle n’aura pas changé de tenue de bain. Les encadrants sont-ils dans leur bon droit ?
Eléments de réponse
Les personnes fréquentant les piscines municipales sont des usagers du service public. Le principe de laïcité ne leur est pas directement applicable.
Toutefois, des considérations liées aux exigences minimales de la vie en commun dans une société démocratique ou à la prévention des troubles à l’ordre public pouvant être suscités par le port de ces tenues, peuvent justifier une interdiction au principe de libre manifestation des croyances religieuses dans l’espace public.
Par ailleurs, la commune ou le gestionnaire de l’équipement municipal peut subordonner l’usage de la piscine au port d’une tenue vestimentaire adaptée aux impératifs d’hygiène et de sécurité.
Le code du sport et le code de la santé publique soumettant les gestionnaires de piscines ouvertes au public au respect d’obligations sanitaires, de sécurité et de surveillance, il appartient à la commune gestionnaire de la piscine de fixer ces règles dans son règlement intérieur.
Ce règlement étant porté à la connaissance de tout usager, l’accès au bassin peut être refusé aux personnes qui ne s’y conforment pas.
De cet exemple, entre autres, on conclura que, lorsque la neutralité ne s’impose pas a priori sous la forme d’une obligation (comme ce serait le cas pour un agent public) elle ne doit pas pour ce motif être systématiquement écartée : il y a toujours possibilité pour l’organisme gestionnaire de fixer, de manière justifiée, un règlement intérieur qui permet de la mettre en place.
J’ajouterai une conclusion politique. Puisqu’on peut en la matière faire obstacle aux comportements qui menacent les principes républicains ou qui testent leur degré de résistance aux tentatives d’affaiblissement, s’abstenir de le faire et se prévaloir d’une telle abstention ne relève pas d’un pur et simple juridisme, c’est une prise de position militante.
Notes
1 – Rappelons qu’en 2016, juste après l’attentat de Nice, l’opération « burkini » a, en l’espace de quelques jours, fait passer la France du statut de victime à celui de persécuteur… Et certains osent encore aujourd’hui, avec l’affaire des piscines de Grenoble, prétendre que la question est anecdotique – comme en 1989, au moment de l’affaire de Creil, certains prétendaient qu’il s’agissait simplement d’un « foulard » ou d’un « fichu ». Voir l’article de 2016 « Burkini : fausse question laïque, vraie question politique » https://www.mezetulle.fr/burkini-fausse-question-laique-vraie-question-politique/
2 – Dédié à la mémoire de Laurent Bouvet, préfacé par Dominique Schnapper, le vademecum est téléchargeable gratuitement sur la page du Conseil des sages de la laïcité du Ministère de l’Education nationale https://www.education.gouv.fr/le-conseil-des-sages-de-la-laicite-41537 . Sur cette page on trouve d’autres publications du Conseil des sages, notamment le coffret Guide républicain, et le vademecum La laïcité à l’école.
3 – IGESR : Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche.
4 – Voir pages 24-26.
5 – Ce faisant, ce vademecum s’inspire de la méthode par « fiches ressources » déjà utilisée dans le vademecum La laïcité à l’école https://www.education.gouv.fr/media/93065/download .
Voici la liste des onze situations. 1 – Le port d’un signe d’appartenance religieuse dans une salle de mise en forme. 2 – Le port d’un signe d’appartenance religieuse par un arbitre pendant une rencontre sportive. 3 – Le port d’un couvre-chef à caractère religieux lors de compétitions sportives. 4 – Le port du burkini par une nageuse dans une piscine municipale. 5 – La demande de créneaux horaires non mixtes dans une piscine municipale. 6 – Le jeûne rituel d’un sportif lors d’une compétition. 7 – La prière observée par certains sportifs dans un vestiaire avant une rencontre sportive. 8 – Le signe d’adhésion à un culte d’un joueur dans une enceinte sportive. 9 – Le refus de serrer la main de l’arbitre, pour un motif religieux, dans une enceinte sportive. 10 – Le refus de participer au cours d’EPS. 11 – L’ostentation religieuse dans le sport scolaire.
Bonjour,
Bien que très conscient de la nécessité de pouvoir exprimer publiquement le fait de ne pas croire ou de se dire athée, notamment en réponse à tout prosélytisme religieux, et trouvant précieux votre engagement militant dans ce sens, il me semble utile de rappeler que la laïcité (à la française) qui impose à l’Etat et à tout serviteur direct ou indirect de cet Etat de s’interdire toute manifestation d’appartenance idéologique ou religieuse, garantit à chacun le droit d’expression publique de ses convictions religieuses ou irréligieuses (dans le respect de l’ordre public et des lois communes).
Dans un pays laïque comme le nôtre la seule opposition légitime au prosélytisme religieux (tant qu’il serait conforme à une loi affirmant par ailleurs l’égalité en droit de tous les humains et interdisant toute propagande sexiste ou raciste etc.) serait le prosélytisme anticlérical ou le rappel des droits élémentaires de chacun à la libre-pensée.
Si des gens préfèrent nager en portant une tenue couvrant le corps (pour des raisons qui les regardent, qu’elles soient religieuses, psychologiques ou dermatologiques), aussi longtemps que ces tenues seraient spécifiques à cet usage, conformes aux règles de l’hygiène, et n’empêcheraient personne de porter une tenue moins habillée, nulle polémique ne devrait pouvoir naître de cet emploi.
Le libre engagement idéologique contre un prosélytisme idéologique (qu’il soit religieux, philosophique ou religieux) doit s’interdire de passer par des interdits ou des condamnations (on sait que tout fanatisme, notamment religieux, se nourrit de ses « martyrs ») et promouvoir au contraire toutes les libertés, notamment les libertés alternatives à celles que d’aucuns afficheraient.
Bonsoir.
La question diffère selon qu’on a affaire à une plage, milieu ouvert, ou à une piscine, milieu fermé.
Il suffit de comparer la version antérieure (2017) du règlement des piscines municipales de Grenoble avec la version votée par le Conseil municipal de Grenoble le 16 mai 2022 pour voir que la modification, rédigée de manière particulièrement subreptice et aboutissant du reste à une contradiction, consistait à introduire une exception en faveur du burkini (d’une part seules les tenues près du corps sont tolérées et d’autre part les tenues « non près du corps plus longues que la mi-cuisse » sont interdites, ce qui revient à autoriser le burkini). Le TA de Grenoble a jugé que cette exception étant fondée sur un motif religieux, elle contrevient à la généralité de la règle et installe une distinction en faveur d’un groupe particulier.
Vivement que soit adopté et imposé en France dans les piscines publiques le protocole islandais qui oblige avant d’accéder au bassin de se doucher nu et de se savonner (et ce sous la surveillance d’un employé ..Je précise que les hommes et les femmes sont séparés.
Cela éviterait cet accoutrement anti- hygiénique, inesthétique et » asservissant ».
J’ignorais cette disposition ! J’imagine que les baigneurs revêtent ensuite slip et maillot de bain pour aller dans les bassins. Donc, pas sûr que cela empêcherait les adeptes du « burqini » de se rhabiller…