La France n’est pas l’Europe ; l’Europe n’est pas le monde : il est donc bon que les programmes scolaires ne se réduisent pas à ce qu’on appelait naguère l’histoire de France. Mais l’idéologie « décoloniale » est en train de l’emporter, comme en témoigne le projet de programmes pour l‘enseignement de l’histoire dans les collèges, qui, par certains côtés, est l’expression de la mauvaise conscience de ses auteurs envers notre passé colonial.
Ainsi, depuis au moins dix ans déjà, au nom de la mondialisation, des historiens académiques s’en prennent à toute forme d’histoire nationale – certains accusent l’Occident d’avoir confisqué l’histoire à son profit – et leur influence explique la disparition de « l’histoire de France ».
S’il est vrai que l’enseignement de l’histoire était idéologique lorsqu’il imposait un « roman national » (mais il y longtemps qu’on n’enseigne plus « nos ancêtres les Gaulois »), la « mondialisation » des programmes est aussi idéologique. Elle revient à subordonner l’enseignement de l’histoire et parfois même les études universitaires à une représentation de la mondialisation qui correspond à la politique économique des différents gouvernements : Valéry avait raison, « l’histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait élaboré ». Chaque époque invente donc son histoire.
On lira sur ces questions l’article « Recherche historique et « mondialisation » : vraies et fausses questions. L’exemple de la science médiévale« , de Nicolas Weill-Parot, professeur d’histoire médiévale à l’université Paris-Est Créteil. En voici un résumé : « De l’observation de la mondialisation actuelle certains historiens tirent la nécessité d’une relecture mondialisée de l’histoire en général, y compris de l’histoire médiévale. L’article analyse les contradictions et les impasses éventuelles d’une telle démarche fondée parfois sur des présupposés constructivistes où l’idéologie joue un rôle majeur. Prenant l’exemple de l’introduction de la science arabe dans le monde latin, l’article souligne la place prise par de faux débats sous-tendus par le principe d’utilité au détriment du vrai travail historique ». On lira par exemple ceci :
« les duels opposant les « xénolâtres » [qui veulent que ce que l’Europe croit tenir d’elle-même vienne en réalité de l’étranger] et les « autarciques » [pour qui l’Europe n’a rien emprunté à l’étranger] n’ont guère de sens… Or ce genre de faux débat – c’est-à-dire de débat qui n’est pas né d’une réelle interrogation suscitée par l’état actuel de la recherche historique – est bien le fruit de questions idéologiques liées à la « mondialisation » dont les tensions entre le monde arabo-musulman et l’Occident, à la fois chrétien et laïque, sont un aspect. […] L’histoire n’est pas une ambulance que les « responsables politiques » ou les « militants » pourraient déplacer au gré des « besoins sociétaux » ».
Il me paraît important que le public sache quelles polémiques agitent les historiens de métier pour juger des conséquences politiques qui résultent de certaines positions en apparence académiques et comprendre l’enjeu des réformes des programmes d’histoire dans les écoles.
J’avais proposé un article à Mezetulle – La République exclut-elle l’islam ? – après les réactions antirépublicaines qui ont suivi les attentats de janvier, mais que je n’avais finalement pas publié pour éviter la polémique. Il me semble aujourd’hui utile de le rendre public : lire l’article «La République exclut-elle l’islam ?»
© Jean-Michel Muglioni et Mezetulle, 2015.