Les comparaisons entre le Covid-19 et les pandémies de naguère sont aujourd’hui fréquentes. Nul doute qu’on doive s’y référer et qu’il y ait là un sujet de réflexion. Dans quelle mesure ont-elles un sens, qu’est-ce que cela dit du concept de progrès ? Mais peut-on s’en autoriser pour avancer des conclusions quelque peu légères ou dont la généralité laisse pantois ? Au prétexte que « on en a vu d’autres », que beaucoup en sont morts et qu’on n’en a pas fait à l’époque toute une histoire, au motif que le paludisme continue à tuer 400 000 personnes par an1, au motif qu’il meurt en France de toute façon 600 000 personnes par an, etc., faut-il s’en remettre aux vertus spartiates de fraternité et de « résilience » en relativisant l’importance et l’urgence de la recherche, en oubliant de raisonner à la hauteur des moyens que nous sommes capables (et que nous sommes tenus) de produire ? Si l’on peut revendiquer sa liberté au péril de sa sécurité, est-il admissible qu’on le fasse en risquant celle d’autrui ?
Être dignes de Pasteur en relisant Condorcet
Quel sens cela a-t-il de comparer la grippe asiatique des années 50 ou la grippe de Hong Kong des années 60 avec le Covid-19 ? Les chiffres avancés font état, d’une part, de pandémies ou d’épidémies révolues, et de l’autre, d’une pandémie en cours, qui apporte chaque jour son déplorable lot de décès et dont on ne voit pas aujourd’hui la fin. Il faudrait aussi, à supposer que cette comparaison chiffrée soit pertinente, estimer le nombre de décès pour le Covid-19 à moyens égaux.
Or l’état des connaissances biologiques et des techniques médicales a changé depuis. À ma connaissance, dans les années 1950-60, on n’avait pas (entre autres équipements qui ont fait des progrès considérables ou qui sont apparus depuis) de services de réanimation ou ceux-ci étaient balbutiants2. Aujourd’hui ils existent, ils équipent ordinairement les grands hôpitaux et ils sont efficaces. Faut-il renoncer à y recourir ou faut-il « trier » (et sur quels critères?) les patients atteints de formes sévères qui en bénéficieront ? Le problème est que, du moins dans bien des pays, on ne s’est pas tenu à la hauteur de ce progrès. On pourrait prendre des exemples plus simples et presque plus consternants : le dénigrement actuellement répandu de la vaccination nous met en la matière au-dessous de la politique de santé des années 1960, de sorte que, à cet égard, nous ne sommes plus dignes de Pasteur.
Si la comparaison a un sens, ce n’est donc pas, en considérant des chiffres hétérogènes, d’inviter à une régression qui traiterait les avancées scientifiques et techniques comme le renard de la fable traite les raisins qu’il ne peut pas (ou, comme c’est le cas pour les antivax, qu’il ne veut pas) atteindre3. Elle invite entre autres à réfléchir sur le concept de progrès. Dès qu’il y a un progrès, celui-ci est une libération, c’est une puissance, mais d’un autre côté cela engendre des astreintes : il faut être en mesure de le soutenir, de l’anticiper, d’avoir une longueur d’avance sous peine d’être écrasé par ce même progrès. On ne peut pas sous-traiter le progrès, on ne peut pas le déléguer à d’autres qui en exerceraient la maîtrise et le transformeraient au mieux en moyen de pression, au pire en arme. Voilà pourquoi le progrès ne se délocalise pas. Il faut l’effectuer, le devancer et se donner les conditions de sa maîtrise ; c’est une question éminemment politique. Mais bien des doctes philosophes, à supposer qu’ils ne soient pas hostiles aux Lumières, ont du progrès une représentation idéologique qu’il est facile de railler en parlant de la « croyance au progrès ». La thèse d’une condamnation au progrès n’entre pas dans leur champ de vision. Cette duplicité (à la fois puissance et contrainte) soulignée par la théorie classique du progrès, notamment développée par Condorcet, est méconnue et on en rappellera brièvement les grandes lignes4.
La perfectibilité humaine est telle que si elle ne se développe pas, si elle ne trouve pas des aliments pour se déployer, si elle n’est pas constamment au-dessus d’elle-même, elle retombe inévitablement à un niveau inférieur, elle régresse. L’exemple du développement des connaissances est parlant : une société qui se contenterait de maintenir ses connaissances à un certain niveau, sans chercher à les développer davantage – une société statique à idéologie frugale – retomberait nécessairement au-dessous du niveau qu’elle prétend maintenir. Je ne sais pas ce qu’une politique de décroissance donnerait au niveau économique, mais il est certain qu’une politique de décroissance dans le domaine des connaissances amènerait le niveau du savoir à diminuer inéluctablement, en le livrant à sa propre inertie. Il en va ici des connaissances comme de la politique d’acquisition des livres dans une bibliothèque : il y a un seuil d’acquisition au-dessous duquel on appauvrit nécessairement les collections. L’absence de progression est toujours un déclin.
Dès qu’on régresse quelque peu ou même qu’on prétend se stabiliser à un niveau donné, c’est nécessairement pire qu’avant. Les acquis du progrès ne peuvent pas se conserver : ils sont soumis à une dynamique implacable qui en impose la poursuite et le développement sous peine de tomber en deçà de l’état que l’on voudrait se contenter de maintenir – au moindre coût.
En matière de lutte contre les maladies infectieuses, être dignes de Pasteur, c’est se donner les moyens intellectuels et techniques de poursuivre le sillon qu’il a tracé, indéfiniment. En France, une politique (on devrait dire une gestion) hospitalière qui depuis longtemps apprécie les moyens principalement en fonction des coûts et raisonne en termes managériaux de « flux tendus »5, a engendré l’un des problèmes les plus aigus de cette pandémie : celui de la saturation des services, en particulier des services de réanimation. Par ailleurs, en l’absence de masques et de tests à grande échelle (effet de la même politique), en l’absence aussi de thérapeutique avérée, le confinement général de la population était la seule mesure susceptible de ralentir la propagation du virus et de faire face aux difficultés. On peut aujourd’hui penser que ce confinement général prévu jusqu’au 11 mai a d’ores et déjà donné des résultats, à un prix social et économique très élevé qu’on ne peut pas évaluer aujourd’hui. Cette efficacité n’empêche pas qu’on puisse le considérer comme une mesure à défaut et en attente de progrès : de ceux qui étaient déjà à notre portée avant qu’éclate l’épidémie, et aussi de ceux qu’on peut attendre de la recherche.
Confinement et revendication de liberté
Le confinement est aussi une mesure destinée à pallier l’absence actuelle de connaissance sur ce virus. Et c’est de nouveau ici que les comparaisons avec les pandémies passées trouvent une limite.
S’agissant du Covid-19, et au moment où j’écris ces lignes (22 avril 2020), on n’a pas de thérapeutique, on découvre chaque jour un peu plus la versatilité et l’instabilité des symptômes, les tests virologiques ont besoin d’être consolidés, on n’a pas de vaccin, on ne sait même pas si les anticorps des personnes atteintes et « guéries » les immunisent et si oui pour combien de temps, on ne sait pas s’il peut y avoir résurgence chez un même malade, on ne connaît pas toutes les conditions de la contagion. Aucune des maladies infectieuses à l’origine des pandémies de jadis et de naguère ne réunit ces propriétés : aujourd’hui on saurait les maîtriser6. En revanche, s’agissant du Covid-19, on n’a pas d’autres moyens aujourd’hui pour ralentir (sinon pour stopper) la circulation du virus que mécaniques – isolement, distance physique, gestes-barrière, masques – et relevant d’une chimie de base – lavage au savon ou à l’alcool qui détruit la couche graisseuse enveloppant le virus, désinfection à l’eau de Javel.
Alors arrêtons de comparer l’incomparable et d’en tirer argument pour lâcher des bombes virales dans la nature et relancer la propagation.
Mais les comparaisons boiteuses ne s’arrêtent pas à mettre en relation des pandémies. Il arrive que le raisonnement mobilise la grosse artillerie : puisqu’on meurt de toute façon, pourquoi confiner strictement les gens pour un petit bout d’ARN ? On atteint le point « Mme Michu » : tout ça finira mal ma brave dame… Sans renvoyer à Leibniz démontant le sophisme de la raison paresseuse7, on se contentera, pour crever le tympan de cette grosse caisse, d’un peu d’arithmétique : l’excédent de mortalité par rapport à la mortalité moyenne avant l’épidémie est patent sur de larges portions du territoire8 ; et s’il est très différent selon les lieux, ces différences peuvent s’expliquer par le moment où est intervenu le confinement en relation avec l’avancement de la propagation du virus ainsi que par les différences de densité de population9. Ce virus, pour le moment, tue peut-être moins que n’a tué celui de la grippe asiatique10, mais il se répand avec une célérité et une puissance plus grandes et surtout, face à ses ravages, nous n’avons pas – pas encore – les armes dont nous disposons contre un virus grippal.
À présent, il est question d’assouplir le confinement : de général et absolu, il pourrait, à partir du 11 mai 2020, prendre une forme modulable qui allégerait la restriction de la liberté fondamentale d’aller et de venir. Si l’on aborde les conditions morales et juridiques de cet assouplissement (le terme « déconfinement » me semble excessif), il est évident que la considération du risque de transmission à autrui est un élément majeur.
La revendication de liberté n’est jamais impertinente. Mais lorsqu’elle est présentée en ces circonstances comme supérieure à toute autre valeur, elle ne peut valoir que pour un individu, ici et maintenant, acceptant de s’exposer. On peut pousser la revendication jusqu’à la fiction – jusqu’à prétendre par exemple que mourir du Covid-19 serait préférable à vivre la vie d’un malade d’Alzheimer enfermé et attendant la mort11. Il est aisé de juger gratuitement des maux et des souffrances tant qu’on est encore lucide, vigoureux et bien portant. Mais, à la réflexion, un tel arbitrage ne peut même pas valoir que pour moi, ici et maintenant, comme s’il s’agissait d’un suicide ordinaire n’exposant personne d’autre que son agent. Car celui qui en l’occurrence ne se soucie pas de sa santé et prétend choisir par là une mort qu’il suppose plus digne qu’une autre, celui-là engage par un héroïsme narcissique la transmission de la maladie à autrui. Les professionnels exposés par la nature de leur activité au risque réel et répété de contracter la maladie ne raisonnent pas en ces termes ; aucun ne fanfaronne en brandissant une morale d’opérette à la Cyrano de Bergerac. Tous essaient autant que possible de se protéger et de protéger autrui avec les maigres moyens dont ils disposent. De cela aussi il faut leur être reconnaissants.
La modulation du confinement et la question du citoyen
La question d’un confinement progressivement allégé n’est pas celle des contraintes qui s’imposeraient à tous sans distinction (comme par exemple le port du masque en public ou dans les transports en commun). À travers l’exemple de l’âge qui a parfois été avancé, mais au-delà de lui, se pose la question de l’égalité du droit à jouir de la liberté. C’est de savoir si l’autorité publique peut imposer une règle contraignante abolissant ou restreignant fortement une liberté fondamentale de manière indéterminée dans le temps à une portion de la population sur un critère essentialisé, pris a priori et absolument (comme ici un âge au-delà duquel la restriction s’appliquerait12). La réponse à mes yeux ne peut être que négative.
Il se trouve néanmoins qu’une portion de la population, notamment à partir d’un certain âge, est statistiquement plus exposée que les autres (et à cette occasion la question de la saturation des services hospitaliers peut se poser à nouveau). On peut et on doit donc recourir à des recommandations très explicites engendrant une forme de pression sociale, ce que nos concitoyens sont suffisamment nombreux à comprendre pour qu’on puisse tabler sur une efficacité statistique de ces recommandations. Et il faut aussi inclure dans ces « recommandations » les personnes à risque pour d’autres raisons que leur âge (comorbidité par exemple). Voilà qui semble à la fois rationnel et conforme au droit. Pour me lancer dans une comparaison (boiteuse quand même) : on n’interdit pas la bronzette aux personnes à peau très claire, on leur dit que ce faisant elles risquent leur peau (au sens propre et au sens figuré) – comparaison très boiteuse parce qu’avoir un cancer de la peau ne met personne d’autre en danger… et que par ailleurs le risque d’infecter quelqu’un d’autre avec le virus du Covid-19 concerne tout porteur du virus, quels que soient son âge (on attend toujours la preuve que les enfants positifs seraient moins contagieux), son état symptomatique et ses éventuelles maladies.
Les mesures esquissées le 19 avril par Edouard Philippe et Olivier Véran comprennent, sur la base de tests virologiques, l’isolement (quatorzaine) des personnes positives, quel que soit leur âge. On remarquera que la doctrine dont les médias faisaient état s’est inversée en quelques jours. On parlait il y a peu de laisser circuler librement les personnes ayant des anticorps (on a même été jusqu’à évoquer des « certificats d’immunité ») et de « boucler » les autres pour une période indéfinie au-delà du 11 mai … avant de se rendre compte (à supposer que l’immunité soit durable, ce qu’on ne sait pas actuellement) que cela ferait presque autant de monde confiné strictement qu’avant cette date. À présent il est au contraire question de tester (test virologique) et d’imposer la quatorzaine aux porteurs du virus. Là encore la rationalité, alignée sur l’état présent des connaissances et sur le progrès escompté des tests, semble l’emporter. Sans oublier que cette restriction de liberté est déjà prévue par la loi pour les maladies infectieuses (quarantaine), qu’elle s’appuie sur un critère non essentiel à la personne (être porteuse d’un virus) et qu’elle s’exerce de manière définie dans le temps.
Il est donc possible et raisonnable d’apprécier le risque pris à retrouver et à exercer sa liberté d’aller et de venir, ainsi que le risque que cela fait courir à autrui, de peser les choses en laissant aux citoyens un espace de jugement. Imposer de manière temporaire des restrictions motivées dont le principe est non-discriminatoire et dont chacun peut voir la nécessité n’est pas un attentat contre la liberté. On peut certes soutenir que la liberté a primauté sur la sécurité si on entend par là que la liberté est en soi désirable alors que la sécurité en est un des moyens nécessaires. Mais soutenir que la liberté puisse toujours se dissocier de la sécurité et qu’elle lui est préférable en toutes circonstances coûte que coûte, c’est raisonner en adolescent qui se croit invulnérable.
Notes
1 – Voir https://www.mesvaccins.net/web/news/15000-rapport-mondial-sur-le-paludisme-en-2019-des-progres-a-soutenir-pour-l-elimination-du-paludisme
3 – Sur le recours à cette fable de La Fontaine, voir Laurent Jaffro, « Des virus et des vertus », The Conversation, 21 avril 2020 https://theconversation.com/des-virus-et-des-vertus-136585
4 – Je me permets de renvoyer à mon article « Egalité, compétition et perfectibilité » https://www.mezetulle.fr/egalite-competition-et-perfectibilite/ et au chap. 3 de mon Condorcet, l’instruction publique et la naissance du citoyen (Paris, Minerve, 2015 3e éd.)
5 – On peut ajouter l’exemple très simple et révélateur de la pénurie de masques.
6 – De même qu’on sait maîtriser le paludisme (voir note 1) : sa persistance relève d’une question politique au sens large du terme.
7 – Voir les deux extraits des Essais de théodicée (1710) en ligne sur Mezetulle https://www.mezetulle.fr/trois-textes-classiques-pour-le-confinement/ .
9 – Il serait intéressant de considérer ces éléments lors des comparaisons avec d’autres pays, en supposant que les chiffres de mortalité soient comptabilisés de la même manière, ce qui n’est pas certain.
10 – Encore que cette affirmation soit hélas, de jour en jour, de moins en moins assurée. Voir l’itv de Patrice Bourdelais (lequel, en bon historien, ne se lance pas dans des comparaisons boiteuses de café du commerce comme celles dont je parle ici, mais avance des éléments factuels permettant d’alimenter une réflexion critique) : http://www.rfi.fr/fr/podcasts/20200419-avant-le-coronavirus-les-ravages-la-grippe-asiatique-et-la-grippe-hong-kong
11 – Ce qu’a fait, sous forme de provocation, André Comte-Sponville interrogé par Bernard Poirette sur Europe 1 le matin du dimanche 19 avril. Je parle de provocation car A. Comte-Sponville a précisé par ailleurs, mais sans y insister, qu’il ne pouvait être question de cautionner par là une négligence envers autrui. De manière générale, tenu sur un ton très vif, le propos avait entre autres pour objets d’encourager la réflexion en sortant des sentiers battus, de faire état d’une forme d’exaspération devant l’omniprésence du sujet unique Coronavirus ad nauseam, de s’inquiéter légitimement devant l’hypothèse d’un pouvoir du « tout médical » et de se poser les questions en citoyen.
[Edit du 23 avril] J’ai contacté André Comte-Sponville pour lui signaler la mise en ligne de mon article et cette note. Il m’indique un texte qui vient de paraître, dans lequel il s’explique plus longuement : « Grand entretien avec Pierre Taribo » dans l’hebdomadaire La Semaine de Nancy n° 513 du 23 avril 2020, p. 4-5, l’ensemble du magazine est téléchargeable par ce lien (colonne de droite cliquer sur « Edition de Nancy ») : https://www.lasemaine.fr/
12 – On m’objectera que les limites d’âge ne sont pas exclues des dispositions législatives. Mais, lorsqu’elles concernent l’exercice des droits et libertés fondamentaux (libertés, droits civiques par exemple), elles sont temporaires par leur nature même (minorité, âge d’éligibilité portent sur une limite en deçà de laquelle un droit ne peut pas encore s’exercer), ce qui serait exactement l’inverse pour une mesure restrictive visant un droit fondamental des personnes au-delà de tel ou tel âge. Un mineur, en grandissant, atteindra l’âge de la majorité ; mais si l’on franchissait par le vieillissement un seuil au-delà duquel on entrerait dans une catégorie de moindre jouissance des droits, il serait impossible d’en sortir. Le cas des majeurs incapables (mis sous tutelle ou curatelle) n’est pas nécessairement lié à leur âge, mais est apprécié individuellement par une décision de justice.
Bonjour et merci pour cet article dont je partage l’essentiel notamment à l’égard du progrès.
Sur le passage relatif à la « grosse artillerie » je ne peux m’empêcher d’évoquer le passage dans l’émission « Grand bien vous fasse » de France Inter de votre confrère André Comte-Sponville. https://www.franceinter.fr/idees/le-coup-de-gueule-du-philosophe-andre-comte-sponville-sur-l-apres-confinement. Il m’ a laissé très étonné et un goût amer, à moins que je n’ai rien compris à son propos ce qui est une hypothèse à ne pas négliger. Je me permets de vous faire part de ma perplexité à ce sujet. Voici ce que j’écrivais à un ami et si vous avez un peu de temps je vous saurai infiniment gré de me faire part de vos observations sur le raisonnement de ACS. Merci:
Les réflexions de ACS me laissent finalement très perplexe car en effet si j’en partage un certain nombre elles ne manquent pas non plus de lever un paradoxe hallucinant que je vais tenter d’expliquer.
Au fond le raisonnement soutenu consiste essentiellement à minimiser à juste titre les conséquences de l’épidémie au regard de deux paramètres, une létalité faible de 1 à 2% -en se bornant au cas de la France ce qui n’en fait pas un critère absolu- qui n’est rien a comparé à celle du cancer d’une part et par le fait qu’elle n’affecte que les « vieux » ce qui en soit est un argument très discutable et pourrait donner lieu à un autre débat éthique, d’autre part ; mais restons-en à ses arguments ;
Partant de là ACS constate que par une sorte de pression du monde moderne privilégiant à tout prix, ce qui est particulièrement le cas de le dire, la santé inversant un paradigme ancien selon lequel la santé était un moyen d’atteindre le bonheur alors qu’aujourd’hui le bonheur serait le moteur pour avoir la santé. Ainsi selon lui la santé pour la société moderne serait un but ultime qui n’aurait pas de prix. On verra ci-après que pour autant elle a un coût ! Immédiat et très lourd à venir. Tout cet objectif finalement n’a d’autre effet que de nier la mort et en corollaire d’empêcher d’apprécier la vie.
Il constate ensuite que l’humanité qui a toujours été partagée entre égoïste et altruiste ne changera en aucune manière du fait de cette pandémie. Je partage ici totalement ce point de vue contrairement aux bisounours d’extrême-droite comme d’extême-gauche, incluant également les écolos et autre collapsologues distingués selon lesquels « rien ne sera plus comme avant ». Il y aura donc certes des inflexions très sensibles pour certaines (relocalisation, circuits courts et bien d’autres) mais pas de changement de monde.
Mais là où je deviens très perplexe dans sa vision c’est quand il évoque les milliards dégagés pour le soutien actuel et la relance à venir qui, si j’ai bien entendu, ne sont engagés essentiellement et s’est statistiquement juste que pour des « vieux ». En effet selon ce raisonnement nous sauvons des vieux et allons faire payer la dette à des enfants et petits-enfants. Rejoignant en cela mais sans le citer Saint-Exupéry selon lequel « On n’hérite pas de la Terre de ses parents mais on l’emprunte à ses enfants »
Et donc en synthèse nous allons dépenser des milliards et obérer largement 2 ou 3 générations à venir au motif philosophique que nous poursuivrions trop la santé, qu’économiquement cela coûtera trop cher notamment pour ne sauver qu’essentiellement des « vieux » et que socialement nous subissons la pression.
Sur l’aspect « santé comme objectif vie », on ne peut que le rejoindre et l’on pourrait ajouter qu’il aurait pu renforcer sa vision en évoquant l’IA, le trans-humanisme et le post-humanisme. Car en effet c’est bien pour la recherche de ce bonheur comme moyen de rechercher la santé absolue que ce développe sur ce terreau ces courants de pensée à partir desquels on est passé de l’homme réparé à l’homme amélioré puis augmenté pour au final nier la mort et aller vers le post-humanisme. Les tenants de ces courants ne sont pas des humanistes.
Mais si l’on suit ACS jusqu’au bout et selon sa thèse ne fallait-il pas alors se rallier à des considérations ultra-libéralistes qui ont d’ailleurs largement inspiré les réactions au Covid des Anglos-saxons. Quelle thèse ? Et bien la meilleure solution pour atteindre au plus vite le fameux taux de 70% d’immunité globale de la population c’est d’éviter le confinement, ne pas éteindre toute économie comme on éteindrai une ampoule et laisser mourir les plus âgés qui par ailleurs sont les improductifs. Moyennant quoi, le pic de l’épidémie est atteint plus rapidement, l’économie n’est pas stoppée et la reprise plus assurée…et les dividendes versés naturellement. Cette hypothèse a été un instant de déraison celle de l’Angleterre et des Etats-Unis avant d’être rattrapé par une réalité plus sombre.
Une autre forme de sagesse ? Comme celle de la politique du cocotier ou l’on faisait monter les anciens récolter les dattes en haut des plus grands arbres aussi hauts que souples avant de les secouer et résoudre ainsi la question de la charge sociale des anciens.
J’ai du mal comprendre mais voilà exprimé le paradoxe qui me gêne dans le raisonnement d’ACS si on le pousse au bout.
Les questions sont sur la table et pour faire face aux crises à venir, allongement de la durée de vie en bonne santé, celles due aux migrations climatiques, au dégel du permafrost et de ces virus à venir, des enterrés de la grippe espagnole dans la glace qui fond libérant à nouveau le virus, des possibles risques de guerre bactériologiques et d’attaques terroristes de même nature il nous faudra nous prémunir en anticipant les risques selon un processus d’évaluation « coût-risque » certes mais en se préservant de cette impéritie qui nous vaut la situation actuelle.
Nous aurons besoin de perspectives à 20 et 30 ans si nous voulons partager des choix ambitieux mais réalistes. C’est de la politique sûrement, de la justice encore et de l’amour beaucoup, de l’égalité et de la fraternité encore et encore.
« il vaut toujours mieux penser les changements que changer les pansements ». J’ai écris ceci en réponse à un ami qui m’avait envoyé un billet car séduit par ACS.
Tes billets, mon très cher Claude, ont ceci de parfait qu’ils obligent à réfléchir et à travailler ensemble.
Merci pour cela.
Christian BOY, le 17 avril 2020
Comment ne pas souscrire à la pertinence et à la densité d’un tel texte ?
Une remarque à propos des masques. Puisqu’on allait voir ce qu’on allait voir, on s’attendait à ce que, dès le début, ou du moins le plus tôt possible, les personnels soignants aient pu bénéficier des masques ffp2 mais ce n’est qu’à présent et de manière encore assez peu assurée qu’ils en disposent de manière suffisante. Quant aux autres types de masques ils ont été déclarés inutiles au départ sous prétexte qu’ils protègent mal mais, alors, que le déconfinement se profile, d’une manière bien ambiguë au demeurant, l’on finit par dire la vérité : ces masques protègent surtout les autres en leur épargnant les différentes projections que l’on peut leur infliger en parlant, toussant, éternuant, etc. Comment expliquer un tel retard ? Deux possibilités, l’une fort probable, l’autre certaine. La probable : il est plus facile de décrier un moyen que d’organiser et ordonner sa production massive (et son achat en nombre). Une économie de guerre, terme employé au début sans la moindre précaution mais qui avait au moins le mérite d’insister sur la gravité et l’urgence de la situation, implique, normalement, un changement d’échelle. Le certain : tout se passe comme si les personnes censées faire partie de l’élite n’imaginaient pas qu’un peuple soit capable de sentiments nobles . Pourquoi ne pas dire en effet : si chacun porte un masque nous nous entre-protégeons les uns les autres et, de plus, nous empêchons ensemble la progression d’un virus que nous ne savons pas pour l’heure enrayer ? C’est à croire, que seul le rapport à soi importerait. Pourtant le dévouement de bien des personnes et jusqu’aux applaudissements de 20 heures montrent que les hommes sont capables de voir grand et de faire preuve de générosité. Certes, la politique ne peut consister à ne compter que sur celle-ci, il faut parfois (souvent) contraindre mais toujours en pensant en accord avec la raison commune. Or tout se passe comme si pour beaucoup, l’exercice d’une fonction publique se réduisait à infliger à tous leur propre indigence morale, comme si elle était une règle universelle et indépassable. Ecrit non sans colère et émotion avec une référence en tête : le port du masque par tous est tout à fait admis dans de nombreux pays d’Extrême-Orient.
Au sujet de la note 11 faisant état des propos tenus par André Comte-Sponville sur Europe 1 le 19 avril.
Dès la mise en ligne de l’article, j’ai contacté André Comte-Sponville pour lui signaler la mise en ligne de mon article et l’existence de cette note – c’est bien sûr la moindre des choses. Il m’a répondu très aimablement par retour de courrier, m’indiquant un texte du 23 avril dans lequel il s’explique plus longuement : « Grand entretien avec Pierre Taribo » dans l’hebdomadaire La Semaine de Nancy n° 513 du 23 avril 2020, p. 4-5, l’ensemble du magazine est téléchargeable par ce lien (colonne de droite cliquer sur « Edition de Nancy ») : https://www.lasemaine.fr/
Merci pour votre réponse.
J’ai parcouru l’article en question.
Bonjour,
Je parcours régulièrement votre site, dans les moments de vacillement, on ressort le plus souvent ragaillardi des textes roboratifs qui y regorgent mais pour la première fois, je vais me permettre de laisser un commentaire.
Il me semble que vous passez trop rapidement sur deux éléments qui me semblent pourtant fondamentales pour comprendre le moment.
Le premier est la dangerosité du virus. Il n’est d’abord pas nouveau, puisque comme chacun le sait maintenant, il fait partie de la grande famille des coronavirus, dont une dizaine circule déjà en France et dans le monde. Ce sont ses capacités de transmissions et de létalité qui font encore débat…et s’ils font débat, c’est que sa dangerosité n’a rien d’évident à mesurer (contrairement à la peste qu’évoquer Leibniz dans ses écrits).
En France, même dans les régions les plus touchées où 10 à 50% (sans tests totalement fiables, la marge d’erreur est très importante) de la population totale auraient été touchées, le pourcentage de personnes hospitalisées en même temps (une journée comme 20) n’a été « que » de 0,12%(record dans le 68 et 94) de la population. Soit que le virus est « bénin » pour 99,9% des personnes. Et parmi les personnes hospitalisées, le pourcentage de décès mérite aussi une analyse.
Pour chacun qui a regardé les comparaisons entre pays, les taux de létalité (nombre de morts sur nombre de personnes testés positives (en France, seulement les personnes hospitalisées malheureusement) varient entre 0,1% (Taïwan, Singapour…. ) et 15% (Italie, Espagne…France) et pour prendre l’exemple de notre meilleur voisin, l’Allemagne 5% ! Vous qui évoquez Pasteur, qui aurait testé pour la première fois son vaccin contre la rage sur un jeune alsacien vivant sous l’occupation prussienne, c’est avec une curieuse ironie que la patrie de Koch nous éclaire en ce moment et devrait nous amener à ne poser qu’une seule question : comment la France, membre du G7 et 7éme puissance mondiale (selon l’indicateur du PIB…qui ne mesure pas l’investissement dans la recherche) a-t-elle pu se laisser submerger à ce point par un virus aussi banal ?
Car il faut visiblement le rappeler sans cesse pour en tirer les bonnes conclusions, ce n’est pas le virus qui tue, c’est l’absence de réponses sanitaires adaptées (absence de traitement, saturation des hôpitaux, désorganisation de l’autorité médicale…).
Poursuivre la métaphore guerrière (bombe virales, armes sanitaires…) comme vous le faite dans le sillage du président, contribue à jeter de l’effroi où il ne devrait y en avoir et in fine de légitimer la décision « moyenâgeuse » d’un confinement « total ». Cela détourne le regard de la montagne de questions politiques qui doivent se poser à nous si l’on fait le bon constat sur « la dangerosité du virus » ; « Pourquoi un confinement « intelligent », n’était-il pas possible ? Quels secteurs sont stratégiques pour une nation ? Comment se fait-il que nous n’ayons tirer aucune conclusion de la crise « du cousin SRAS » en 2003 ? Notre modèle économique est il viable ? » Chacun complétera cette liste non exhaustive.
Ce préalable étant posé, et comme vous le rappelez, nul ne choisit où il vit, d’être courageux ou lâche, il « faut faire avec » cette situation de saturation rapide des hôpitaux. L’accalmie n’a d’ailleurs à beaucoup d’endroit qu’était relative et contrairement à ce que vous avancez, le confinement n’a jamais était en France « absolu et général » (contrairement à certaines villes de Chine). Le gouvernement ayant dès le début de la crise répété, ad nauseam, que tous les secteurs économiques « essentielles » devaient se poursuivre. On a ainsi continué en région parisienne de voir des métros bondés à certaines heures et une activité qui n’a que très peu ralentit dans certaines domaines (distribution, agroalimentaire, transports…). On peut le voir comme une énième péripétie du capitalisme, sans considération pour ses travailleurs les plus précaires ou plus simplement, qu’une société ne peut survivre dans l’immobilisme.
C’est là le deuxième point, que vous me semblez sous-estimer, le cout humain, social et financier de la crise qui si l’on ne peut « l’évaluer » totalement, peut être néanmoins esquissé.
Pour le cout humain, qui devrait être en tout temps notre boussole, certaines études dont l’une en 2016 publiée dans the Lancet, fait état d’une surmortalité d’au moins 500 000 personnes (au niveau mondial) à la suite de la crise financière de 2008 (et ne se basant que sur la prévalence des cancers !) et qui à l’époque n’avait concerné que la finance sans affecter directement (en tout cas très peu en Europe) l’économie réelle.
Les économistes s’accordent tous aujourd’hui pour dire que le confinement nous a plongé dans un tsunami, qui fera passer 2008 pour une vaguelette et dont les conséquences vont être terribles pour de très longues années.
Evoquons aussi le cout social à différentes échelles. Chacun est frappé aujourd’hui d’une culpabilité qui va affecter nos rapports à l’autre dans le temps d’une force que nous peinons encore à mesurer mais dont nous voyons déjà les premières conséquences ; Je ne vais pas rendre visite à ma voisine âgée de peur de la rendre malade, quelqu’un prend t-il de ses nouvelles ? Mon amant est aide-soignant puis je lui rendre visite et prendre le risque qu’il contamine ses patients ? L’enterrement de ma grand-mère n’a était autorisé que pour 20 personnes, confiné à l’autre bout de la France, je n’ai pas lui rendre hommage…la liste est longue de ces cas figures, de ces traumatismes et il ne faudrait y oublier les cas les plus terribles des femmes prisonnières de leur bourreau conjugal, des enfants victimes de sévices sans tiers pour alerter…et ce n’est que là niveau individuel.
Sur le plan politique, si le COVID a une résonnance si particulière, et comme le terrorisme avant lui, amène à prendre des lois d’exceptions (qui nous l’avons vu finissent souvent par rentrer dans le droit commun) c’est qu’il y a je pense chez ces deux causes de mortalités, une faculté de toucher « au hasard » (ce que la sociologie, en particulier aux états unis, remet en cause) Ouvrier comme ministre, riche comme pauvre, provoquant un effet de sidération, qui ne caractérise pas d’autres pandémies ou facteurs de mortalités. L’opinion public et son relais politique, sait trouver d’habitude des expédients et des raisons pour expliquer chaque décès ; S’il a le cancer ? c’est qu’il a bu ou fumé, eu une mauvaise vie ; Cette maladie tropicale ? Il ne fallait pas voyager ou pour les gens qui vivent là-bas, être plus vigilent sur l’hygiène ! ; Les maladies professionnelles ? On trouvera toujours un ressort individuel pour dédouaner l’employeur.
Heureusement en France, cette « logique » est heureusement contre carré par la sécurité sociale universelle où chacun bénéficie selon ses besoins et pas ses moyens. Ce qui n’est pas le cas aux états unis, qui paye aujourd’hui l’un des plus lourds tributs de la crise, prisonnier de cette logique individualiste (certains devant s’endetter jusqu’à 10 ans pour payer les soins dont ils ont bénéficié). Ce petit détour permet de questionner : Quels sont les risques légitimes, qui bénéficient de moyens « illimités » ou presque et ceux qui ne font pas l’objet d’une grande cause nationales ?
Si certains risques sont jugés insupportables, c’est qu’ils ne peuvent être rangés dans le grand sac « de la responsabilité individuelle », ils sont auréolés d’une sainte bénédiction, hors de toute logique mathématique et où la question du rapport « bénéfice / cout » parait illégitime.
Dès lors, quel mauvais génie que l’on habillera avec le masque du progrès (entendu comme nouveauté de la technique), va-t-il sortir de cette lutte contre le COVID ? La géolocalisation de la population en permanence ? La reconnaissance faciale dans l’espace public ? La fin du secret médical ?
Au cout humain, se rajoute donc un cout social qui n’est pas que symbolique, en éliminant pour de nombreux mois au moins, tout ce qui fait pour beaucoup « le sel de la vie », les baisers, les soirées entre amis, le temps passé en famille, voir la liberté. Choses qui en temps normal était déjà un luxe pour de nombreuses personnes, faut-il le préciser.
Enfin le cout financier, pourrait paraitre anecdotique, voir même indécent à cette heure, « ça coutera ce que ça coutera » nous a on dit finalement après pourtant avoir déclaré à des soignants, quelques mois en arrière que « l’argent magique » n’existait pas. Mais il faut revenir à la racine de l’économie, entendu comme une manière pacifié de rencontrer l’autre servant de base au développement des sociétés (le doux commerce). On a beaucoup entendu depuis le début du confinement le rêve qu’une société nouvelle, plus solidaire naisse de cette tragédie mais c’est oublier que les périodes de transition se font rarement sans douleurs et que l’ancien monde, peine souvent à mourir, quand il n’enfante pas des monstres…
Entre une hyperinflation, une austérité structurelle, un endettement nous rendant dépendant de nos créanciers (dans le système actuelle), une union européenne diviser et à l’agonie, les marges de manœuvre vont être réduites pour réinventer ce nouveau monde et chaque jour de confinement qui passe amenuise les capacités d’investissement que la période supposerait.
Il parait que l’on parle « d’oblomovisme » en Russie pour caractériser un individu sans élan vital, qui finit par inaction à se suicider, ce caractère peut-il s’appliquer à une société ?
Qui dira quand la crise est finie ? Quand il n’y aura plus aucun mort ? Que nous aurons un vaccin ? Quand les conséquences économiques seront trop importantes ?
Il y a je crois un travail introspectif que chacun a à réaliser sur sa perception du risque. Entre deux périls certains, lequel est le moins grand ? Il faudra choisir et le politique aura cette responsabilité.
« Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie. »
Bien que le commentaire ci-dessus ne respecte pas les normes indiquées notamment au point 5 de cette notice (accessible par un lien au-dessus de la fenêtre d’envoi des commentaires), je le publie car il aborde des questions importantes.
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On peut dire que nous souffrons autant, sinon plus, de l’absence de réponses sanitaires que du virus lui-même. Mais on ne peut pas, disant cela, parler du « masque du progrès » qui serait un alibi pour espionner la population : mon article aborde expressément la duplicité du progrès. Souhaiter le progrès c’est aussi souhaiter qu’il soit maîtrisé dans tous ses effets. La question est éminemment politique. Or la situation actuelle est plutôt celle d’un dénuement. Dans ce dénuement, il faut faire la part de ce qui est dû à l’absence de connaissance qu’on peut juger provisoire (pas de traitement, pas de vaccin, pas de certitude s’agissant de la contamination ni de l’immunité) et de ce qui est dû à l’incurie politique (pas de masques, pas de tests, services hospitaliers gérés selon un modèle managérial, etc.).
Effectivement la dangerosité du virus n’est pas « évidente à mesurer ». De plus les études et les estimations sur la contamination ne sont pas faites sur des bases comparables. L’étude autour du collège de Crépy en Valois fait état de 41 % des enseignants contaminés. Et que dire du porte-avions Charles de Gaulle. Le taux de contamination « naturel » (1 porteur de virus contaminait en moyenne 3-4 personnes au début de l’épidémie) a considérablement baissé avec le confinement, et on peut craindre qu’il augmente à nouveau si on laisse les choses aller. Les comparaisons avec l’Allemagne, souvent pertinentes et éloquentes, ne tiennent pas toujours compte de l’absence de foyer initial important (comme celui de Mulhouse) en Allemagne ni des différences entre Länder allemands d’une part et régions françaises de l’autre. Il faudrait comparer des zones à densité de population équivalente. Mais même en rétablissant l’homogénéité des objets comparés, il est certain que l’incurie qui a privé et prive encore de masques et de tests la population en France est gravissime et pèse pour beaucoup dans ce décalage consternant.
Le commentateur fait état de la mortalité : elle ne toucherait, finalement « que » une petite portion de la population dite « à risques ». Donc ce ne serait pas si grave que ça… et le coût social et économique est à considérer aussi. Dans ses interviews à France Inter (citée dans le 1er commentaire) et à Europe 1 André Comte-Sponville abordait la question et suggérait lui aussi un calcul politico-social de cet ordre en s’indignant : « pour s’occuper de notre santé de vieux, on sacrifie l’avenir de nos enfants, on est en train de les endetter massivement ». Que faire ? Lever les mesures de confinement, relancer l’activité et advienne que pourra ? Pour pouvoir souscrire à une mise en balance des « bénéfices » et des « coûts » – à supposer qu’une telle démarche pour laquelle tout se calcule soit légitime en la matière, ce que je ne crois pas – encore faudrait-il avoir sinon une connaissance du moins une estimation probable des uns et des autres. Il suffit de comparer les déclarations contraires des mêmes « experts » entre janvier et aujourd’hui pour en mesurer la difficulté.
Pour revenir au « calcul », il semble que le 1er ministre britannique ait souscrit à un raisonnement de ce type dans un premier temps, avant de changer entièrement de doctrine devant la propagation de la maladie et ses conséquences. D’autres pays l’ont fait. La question d’un confinement « intelligent » se pose sans doute, mais elle me semble liée à une campagne massive de tests, et on revient alors à la case-départ du dénuement…
Le commentateur me reproche des métaphores qui encouragent les représentations guerrières. Mais adopter un calcul du type de celui dont je viens de parler, ce serait vraiment entrer dans une logique guerrière sans métaphore. La guerre relève d’un calcul où on expose volontairement la vie de certains (en s’efforçant de les protéger autant que possible) pour sauver la sécurité et la vie d’autres plus nombreux. Ce sont les tenants de la balance des bénéfices et des coûts qui invitent à cette logique.
En l’occurrence, avec ce calcul, ce ne sont pas seulement les soignants et les professionnels en contact répété avec les porteurs de virus qui seraient exposés, mais aussi tous ceux, finalement, qu’on abandonnerait à leur sort de « fragiles ». Les vieux bien sûr – c’est dans l’ordre des choses qu’ils meurent, n’est-ce pas ? Mais à partir de quel âge au juste (et qui en déciderait?) serait-il justifié de les priver des soins qu’on réserverait à d’autres dont la vie serait plus avantageuse ? Les vieux, mais aussi les malades chroniques, diabétiques, cardiaques, immunodéprimés, entre autres, sans oublier les obèses nombreux comme chacun sait (mais il est politiquement incorrect de le dire) dans les couches de population dites « défavorisées » (comme si des conditions de vie correctes étaient des « faveurs »). Au fond, on ne serait pas très loin d’un schéma sélectionniste à modèle faussement darwinien. Au bout du compte, outre les jeunes, les vigoureux, les bien-portants, ceux qui veillent à leur équilibre pondéral, qui ont la possibilité de pratiquer une hygiène de vie profitable à leur santé, qui vivent et travaillent dans des conditions confortables, s’en sortiraient mieux. Inutile d’être grand clerc pour savoir dans quelle portion de la population on les trouve majoritairement : en somme, les riches… ! Il suffit de regarder les taux de contamination dans une grande agglomération pour que les inégalités dans la propagation du virus sautent aux yeux, même avec le confinement sévère actuel qui n’a pu que les atténuer. Même si on ne peut pas en calculer maintenant l’effet, la levée du confinement ne pourrait aujourd’hui et dans un avenir très proche que les accentuer (un « confinement intelligent » qui éviterait cette inégalité devrait être basé sur le test systématique de l’ensemble de la population afin d’identifier et d’isoler aussi les porteurs asymptomatiques, mais on sait qu’on est loin de pouvoir y procéder). On peut penser que le ravage social qui en résulterait serait aussi important que celui d’un confinement.
On peut et doit attendre une libération réelle et durable d’un ensemble qui n’est pas atteint à l’heure actuelle : une thérapeutique, des tests massifs, une possible vaccination (en supposant que l’immunisation soit établie et maîtrisée), une politique sanitaire et hospitalière à la hauteur d’un véritable service public. Toutes choses qu’il faut activer et qui supposent aussi des réseaux logistiques efficaces. La modulation du confinement (ce que le commentateur appelle un « confinement intelligent ») est certes souhaitable mais elle dépend essentiellement de la capacité à tester pour identifier les porteurs du virus (sans oublier les asymptomatiques, dont la contagiosité est à redouter) afin de les isoler pendant la période supposée de contagion. En attendant les progrès de la recherche, et en se mobilisant pour revenir à une véritable politique républicaine de services publics homogènes sur l’ensemble du territoire national, on n’a pas d’autre choix que le recours à des mesures par défaut, moyenâgeuses sans doute – mais l’incurie politique et la destruction systématique des services publics sont en elles-mêmes des régressions, révélées très durement par cette crise.
Bonjour Mme Kintzler,
Je vous remercie d’avoir conservé mon commentaire et y avoir répondu précisément, bien qu’il ne respecte pas vos règles de publications(que j’ai découverte trop tardivement). L’éditeur de texte qui nous ai proposé dans la section commentaire étant très limité, il n’est pas forcément évident de se rendre compte de la taille et du format sous lequel va apparaitre notre texte. Mais cela est probablement voulu pour rester justement dans le domaine du « commentaire ».
J’ai depuis mon dernier message étais voir les différentes interviews d’André Compte Sponville. Bien que le raisonnement soit plaisant et nous l’avons vu attire l’audience, vos remarques sont parfaitement justifiées et je me plis moi aussi strictement au confinement imposé « en l’état actuel de la situation ».
En fin de compte, cela me remémore un des propos d’Alain qu’il concluait de cette manière : » C’est pourquoi cette obéissance des civilisés serait pour effrayer, s’ils ne se juraient à eux-mêmes de résister continuellement et obstinément aux pouvoirs. Mais comment ? Que leur reste-t-il puisqu’ils obéissent ? Il leur reste l’opinion. L’esprit ne doit jamais obéissance. »
Mon commentaire avait surtout l’ambition de rappeler que les morts qui sont décomptés chaque jour, dans une sorte de pulsion morbide, présentée sous « le devoir de transparence » dans les JT, doivent être imputés à des décisions politiques et pas au virus ! Je reprend là les mots de Jean Dominique Michel, anthropologue suisse, qui a rédigé différents articles sur le sujet, ayant eu une certaine audience. Si vous me le permettez, je laisserai les liens vers son blog : http://jdmichel.blog.tdg.ch/
et l’interview qu’il donne au site Phusis : https://phusis.ch/philosophie-blog/
Cordialement,
Valentin Chareyre
Les mauvais médecins
seraient donc ceux qu’on aime assez pour vouloir les intéresser à ses propres
maux ; et les bons médecins sont ceux au contraire qui vous demandent selon
l’usage : « Comment allez-vous ? » et qui n’écoutent pas la réponse
Chère Catherine,
La comparaison avec les pandémies passées peut malgré tout être intéressante non pas intrinsèquement mais au regard de leur contexte.
A mon sens, il faut ainsi ajouter à votre excellente analyse que désormais, et à la différence des périodes des pandémies passées (que les grippes fussent espagnoles, asiatiques ou de Hongkong), nous vivons une période où l’idée même qu’il y ait des victimes nombreuses, sans parler des hécatombes passées qui dénombraient leur victimes en millions, est devenue insupportable tout comme nous prétendons faire des guerres sans subir de pertes humaines.
Cette évolution d’ailleurs condamne par avance toute politique de santé publique de recherche de « l’immunité de troupeau » puisque, compte tenu de la part de la population que l’on devrait laisser s’infecter pour atteindre une telle immunité collective (60% à ce que disent les spécialistes soit 40 millions de personnes en France) et compte tenu du taux de létalité supposé de ce virus (de 1 à 2% des malades), c’est bien le sacrifice délibéré de 400000 à 800000 personnes qu’il nous faudrait consentir. On comprend mieux que la société du Zéro victime ne puisse supporter une telle perspective et que tous les Etats qui s’étaient lancés dans cette imprudente (doux euphémisme) recherche de « l’immunité de troupeau » se soient vite fait ravisés.
Mais dès lors des millions de personnes non immunisées demeurent en danger tant que nous n’aurons pas de traitement ni de vaccin. Restons donc modestes compte tenu des enjeux. La philosophie et la philosophe nous y invitent. On ne peut que les rejoindre.
Bien cordialement à tous et protégez vous !
Que pensez-vous de l’Institut Pasteur qui dit qu’il faut nécessairement en passer par une immunisation collective et par conséquent « se jeter à l’eau » car on ne peut confiner les gens éternellement ?
Et sans être éternel ce confinement peut effectivement durer encore de long mois (si les chaleurs de l’été ne tuent pas ce virus) et déjà certains « médecins » demandent d’attendre la mise au point d’un vaccin pour revivre normalement ce qui pourrait prendre plusieurs mois voir une année…
Je ne sais pas.
Il étonnerait que l’Institut Pasteur ait dit ça comme ça…
Merci de préciser la proposition exacte de Pasteur.
Sinon pour le chiffrage des conséquences de la politique du « jeter à l’eau » j’ai donné les chiffres des pertes prévisibles. On ne manquera pas de s’y reporter, c’est une question de conscience.
Propos tenu par le professeur d’épidémiologie Arnaud Fontanet, directeur du centre de santé globale de l’Institut Pasteur, suite à la parution des résultats de l’étude de modélisation publiée sur le site de l’institut et qui conclut que seulement 5,7% des Français auront été infectés par le coronavirus le 11 mai.
Article du JDD : https://www.lejdd.fr/Societe/covid-19-en-estimant-a-57-le-nombre-dinfectes-linstitut-pasteur-enterre-limmunite-collective-3963505
Merci de ce lien qui nous donne votre source.
J’observe pour ma part que ce n’est pas un point de vue de l’Institut Pasteur mais celui d’un média, le JDD, et de deux personnes physiques, l’auteur de l’étude, non encore publiée officiellement dans une revue scientifique mais seulement en « préprint », et d’un directeur de département au sein de l’Institut qui donne son avis personnel et que je journaliste cite par quelques uns de ses mots extraits de ses propos dont personne ne dispose. On connaît la méthode qui permet tous les scoops…. De là en inférer un revirement de notre politique de santé publique sur ce virus exprimée par Pasteur…
A cet égard, je n’ai pas vu qu’il y ait eu un communiqué officiel de Pasteur préconisant la politique dite de l’immunité collective par un « jeter à l’eau ». Si cela m’a échappé vous nous le direz.
En outre, sur le fond, ces deux personnes physiques ne disent pas qu’il faut passer, par un laisser-faire que l’on offrirait au virus en se « jetant à l’eau », à la politique de recherche de l’immunité collective que certains pays avaient choisie mais rapidement abandonnée. Elles disent qu’il faut sortir du confinement progressivement et prudemment. Ce que nous faisons me semble t-il, non ?
Quant à la Suède attendons de voir et surtout de mieux connaître sa situation. D’ores et déjà, on peut objectivement relever qu’elle n’a pas eu le « bonheur », pas plus que l’Allemagne, d’un rassemblement évangéliste aux participants anonymes contaminés les uns les autres pendant huit jours qui se disséminent ensuite sur tout son territoire en de multides clusters non maîtrisables… Pour ma part, je me garderai donc de comparer des situations qui n’ont rien à voir les unes avec les autres.
Pour ma part toujours, j’ai donc préféré qu’on mette un terme à la dissémination nationale venue de Mulhouse par le confinement (avions nous un autre choix et, si oui, faut-il regretter qu’il n’ai pas été fait puisque l’on sait maintenant que le prix aurait été, a minima, de 50000 décès supplémentaires outre les 24000 qui nous frappent ?). Je préfère aussi que, maintenant, l’on n’en sorte à compter du 11 mai que progressivement et très prudemment et non pas en se « jetant à l’eau ».
Mais le débat est ouvert, d’un point de vue purement théorique puisque ni vous ni moi n’avons à en décider, et chacun peut avoir bien sûr sa préférence.
Cordialement
L’immunisation progressive est pratiquée par la Suède (10 millions d’habitants) et cela semble lui réussir avec peu de malades et de décès y compris en proportion par rapport à la France…
La Suède a un taux de mortalité bien supérieur aux autres pays scandinaves qui ont pratiqué un confinement drastique. Il est vrai qu’il est inférieur à celui des autres pays européens mais n’est-ce pas dû aux conditions démographiques ? En effet, la densité de population est faible sur le territoire et même Stockholm, à ce que je sache, est une ville plutôt étendue. Pour ce qui est de l’Institut Pasteur, il me semble que son représentant se contente d’affirmer deux choses : la contamination est plus faible que prévu et le confinement ne peut être indéfini, mais il n’en déduit pas qu’il est inutile et qu’il faut l’arrêter immédiatement. Ne pourrait-on pas soutenir que la faible contamination globale ne fait qu’ajouter à l’ignorance que même les plus grands savants ont à l’égard de l’épidémie ? C’est loin d’être rassurant. Il y a, sans doute, deux manières de « se jeter à l’eau » : d’un coup et sans précaution ou progressivement et en s’assurant de ses pas.
Ping : D’une épidémie à l’autre : parallèle entre le Choléra de 1832 et le Covid-19 de 2020 (par Matthieu Le Verge) - Mezetulle
Le déconfinement me permet d’accéder à internet donc à Mézetulle et à découvrir les articles sur ce pitoyable épisode pandémique
Chère hôtesse , je pense également qu’il est scabreux de comparer les épisodes grippaux d’il y a quelques décennies avec celle que nous vivons ( si j’ose dire). Leur morbidité de beaucoup supérieure au spécimen actuel ( pour l’instant) n’est peut être du qu’ à l’état de la médecine d’alors et à des mesures qui n’ont pas été prises à l’époque.
Je dirais en sus que comparaison n’est pas raison si je ne détestais ce proverbe . Il existe des raisonnements analogiques , notamment en physique, qui sont pleinement valables à condition qu’ils soient strictement cadrés dans leur domaine de définition
Toutefois il complètement oiseux de comparer par exemple les quinze mille morts de la nouvelle peste avec les cent cinquante mille morts du cancer. Comme si nous devions préférer l’une à l’autre maladie. Malheureusement nous n’avons pas les choix et il va falloir se farcir les deux ! J’aurais pour une fois poussé à la nouvelle mode préférant mourir en trois jours plutôt qu’en trois mois et envisageant pour un avenir plus proche un traitement définitif. Hélas ce sera quinze mille plus cent cinquante mille voire un peu plus avec les dommages collatéraux dus aux retards d’examens et d’interventions.
Sans compter ceux qui luttent de façon curative ( ou préventive) contre des pathologies chroniques , dont l’issue est parfois sinon souvent mortelle ( asthme , diabète, hypertension etc..) qui voient leurs espoirs ruinés par l’apparition d’une nouvelle maladie .
Cette perspective additive est complètement éludée par ceux qui claironne cette lapalissade disant que l’on a moins de chance de mourir du coronavirus que du cancer ou d’une rupture d’anévrisme.
Si l’on extrapole avec toutes les maladies virales sui nous sont promises et celles qui vont resurgir et qui auront plus ou moins la même fréquence que celle qui nous inquiète aujourd’hui , l’humanité pourra s’éteindre avec la quiétude de ceux qui ont bien intégré les probabilités . Cent pour cent des survivants auront tenté leur chance
On peut aussi, en matière de manipulation mathématique, avancer la quantité relative plutôt que l’absolue. Par exemple se braquer sur les 1% de mortalité du coronavirus , c’est-à-dire que cent contaminés ne produisent qu’un seul mort ( c’est même sûrement exagéré vu que le nombre de contaminés reste inconnu ) Il n’en reste pas moins qu’au bout du compte le résultat est quand même de quinze mille décès , grandeur nettement moins présentable et malheureusement promise à une réévaluation quotidienne
Mais passons sur cet aspect des choses qui ne saute pas aux yeux pour en venir aux comparaisons quantitatives qui polluent la rhétorique depuis que les statistiques sont devenues l’alpha et l’oméga du discours politique
Ces manipulations font parties de la technique du détournement. Notre problème est plus important que celui du voisin.On parle de la sécurité pour masquer le problème du chômage ou inversement. On ne peut actuellement soulever un lièvre sans que le contradicteur nous serve le réchauffement climatique. Dans ces conditions, moi ce qui m’in quiète le plus est la rencontre de la spirale Andromède et de la Voie Lactée. Car il ya toujours moyen de trouver plus important surtout en matière de nombres.
Les trente mille morts qui nous sont promis font certes pâles figures faces au dégâts du cancer ou de l’infarctus du myocarde. Mais je peux dire que c’est dix fois plus que les accidents de la route que c’est une ville comme Bayeux ou Vierzon qui est rayée de la carte tous les ans : on peut avec les mêmes armes affoler les chaumières. Dix fois plus aussi que des maladies dégénératives des muscles ou du système nerveux, encore improprement qualifiés d’orphelines et qui tuent son homme après des mois ou des années de souffrance.
Et malheureusement cette méthode paye toujours. On aurait pu croire qu’avec le fameux « point de détail « de Le Pen qui est absolument du même acabit : on dénigre quantitativement le phénomène qu’on veut abattre, on aurait donc pu penser le procédé éventé après le tollé quasi général . Mais il persiste car validé presque simultanément par une sainte personne ! Lorsque l’abbé Pierre supportait le révisionniste Garaudy soutenant que dans les camps il n’y a eu que quatre millions de victimes d’ailleurs toutes atteintes du typhus, il a eu cette phrase admirable »Tout ce qui est exagéré est insignifiant ! »Et comme Socrate est un homme et que les hommes sont mortels quatre millions de morts c’est insignifiant Et si désormais le négligeable est le double de la population parisienne que peuvent bien représenter vingt mille ou quinze mille morts , ou mieux encore 1% ?
Chacun prêche pour sa paroisse. Les victimes des islamistes sont moins nombreuses que celle de la foudre, celle des mygales moins que celles des moustiques, des requins moins que des hippopotames. Avec des déclinaisons dans les grands massacres historiques ; Hitler a tué moins que Staline, Pol Pot moins que ce même Hitler mais plus que Franco . A ce rythme Torquéméda sera bientôt béatifié.
Et puis les victimes peuvent elles toujours relativiser. L’évocation d’un autre mal plus grave ou plus fréquent n’a absolument aucun effet Et est ce d’ailleurs souhaitable et même moral. Ce n’est ni plus ni moins que se réjouir de plus malheureux que soit. Si j’ai une rage de dent , la douleur ne s’estompera pas à la pensée des dizaines de malade atteints, par exemple de colite néphrétique .De même , si j’étouffe du coronavirus le fait que des cancéreux pulmonaires agonisent de concert ne me soulagera pas
En ce qui concerne les privations de liberté dues au confinement , je les subis mais les approuvent. Nous ne sommes effectivement pas libres de disposer de la vie d’autrui tout simplement. Et je dénie à autrui le droit de disposer de la mienne. Tout bêtement.
Toutefois j’entends les échos de certains abus : Un maire décrète que l’on doit acheter plus d’une baguette de pain, des individus isolés sont verbalisés ainsi que ceux ne pouvant présenter un ticket de caisse, on veut organiser des chasses aux promeneurs dans la forêt de Fontainebleau , On amende des plagistes sur une île ( A quel autre endroit peut on être mieux confiné ?) J’ ai vu à la sortie de mon village en plein Plateau de Millevaches c’est-à-dire au milieu du désert vert des pandores traquer le randonneur solitaire .Déjà il est question d’une application sur smartphone valant pour laissez-passer à des citoyens indemnes :Injuste car il faut possesseur l’appareil et être doté de réseau : dangereux car une personne jugée indemne peut être contaminée dans l’instant qui suit
Si j’ai bien compris l’essentiel est d’éviter les attroupements que l’on trouve presque uniquement dans les files d’attentes. Et là curieusement aucune présence d’autorité alors qu’y règne le plus grand manque de civisme. On ne peut s’empêcher de bavarder aux caisses , de réfléchir encore dix minutes à ce qu’on doit acheter , même après une demi-heure de queue, sans oublier la traditionnelle seconde consultation à la pharmacie. Toutes ces impolitesses, qui sont déjà pénibles en temps normal, ne font que grossir les rangs et donc augmenter les risques. Mais bien sûr pour atténuer tout ça ils fraudaient que nos prévôts descendent de voiture ou d’hélicoptère et arrêtent de jouer aux shérifs .
Malheureusement bomber le torse , faire du flicage ou de l’autoritarisme ne va pas faire oublier espérons le, l’impéritie de nos gouvernants qui ont mis beaucoup trop de temps à réagir et en prenant des décisions illisibles : comment peut on boucler cafés, restaurants et stades et laisser se passer un premier tour d’élection qui n’est toujours pas validé à ce jour. Comment peut-on laisser débarquer à pleines carlingues dans les aéroports sans protéger les personnels et sans mettre en quarantaine ? Comment interdire de se déplacer à vélo sous prétexte de na pas encombrer les urgences et ne pas prohiber, ne serait ce que symboliquement, le bricolage amateur qui fournit trois plus d’hospitalisations que les cyclistes ?( Les statistiques servent surtout à ça et non pas à se réjouir d’avoir un corps au pied plutôt qu’une phlébite) Comment peut on décider de cette date du onze mai , sur quel critère ? La conjonction des astres sera t’elle alors favorable ?
Il faut absolument être vigilants envers nos dirigeants et ne pas se conduire comme des spectateurs pris dans un incendie et aveuglés par la fumée à qui on dirait » La sortie est par là ! »