Après la déplorable série récente de profanations de sépultures, on a pu constater que l’expression « cimetière chrétien » (sur le modèle du « cimetière juif » de Sarre-Union situé en Alsace-Moselle) a été employée sans précaution notamment pour désigner les cimetières de Saint-Béat (Haute-Garonne) et de Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse (Aude).
Pourtant, cette appellation est erronée : aucun cimetière chrétien, juif, musulman ou d’une autre confession n’existe sur le territoire de la République française, pour la bonne raison que c’est rendu impossible par la loi du 14 novembre 1881 dite « sur la liberté des funérailles »1.
Cela n’a pas empêché Cécile Deprade, procureur de la République de Saint-Gaudens, de déclarer, au sujet de Saint-Béat : « Il s’agit de dégradations dans un petit cimetière chrétien. Des plaques, des croix et des pots ont été cassés ».
Si l’on peut comprendre l’emploi approximatif du terme « cimetière » pour désigner des « sépultures » par un non-spécialiste, ou même (encore que moins excusable) par un journaliste pressé de remettre son papier, cet emploi ne peut en aucun cas être innocent dans la bouche d’un magistrat représentant l’État et (on l’espère) ayant quelques notions de droit.
C’est ainsi que la délaïcisation s’installe par petites touches et par gros mots d’une novlangue d’autant plus nocive qu’elle est inaperçue. On accoutume les gens à la norme religieuse qu’on transforme en norme sociale puis en norme politique, on feint de confondre la laïcité avec le « dialogue inter-religieux », et, par ces petites négligences de langage dont certaines sont soigneusement calculées, non seulement on encourage ce qu’on prétend combattre, à savoir le repli communautaire, mais on finit par exclure près de 40% de la population, qui se déclare indifférente à toute religion.
La circulaire du 19 février 20082 rappelle en ces termes la réglementation laïque des cimetières.
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La loi du 14 novembre 1881, dite « sur la liberté des funérailles », a posé le principe de non-discrimination dans les cimetières, et supprimé l’obligation de prévoir une partie du cimetière, ou un lieu d’inhumation spécifique, pour chaque culte. Ce principe de neutralité des cimetières a été confirmé par la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l’Etat.
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Les cimetières sont des lieux publics civils, où toute marque de reconnaissance des différentes confessions est prohibée dans les parties communes. Seules les tombes peuvent faire apparaître des signes particuliers propres à la religion du défunt.
L’existence de cimetières confessionnels ne peut donc relever que d’un état antérieur à la législation de 1881, et aucun nouveau cimetière de ce type ne peut être créé après promulgation de la loi.
On peut s’étonner par ailleurs d’entendre parler de « carrés » confessionnels . Cela peut s’expliquer par les circulaires de 1975 et 1991 autorisant ces « carrés ». Mais la circulaire du 19 février 2008 abroge ces circulaires et revient à l’application de la loi du 14 novembre 1881. Il n’y a donc pas, à proprement parler, de « carrés musulmans » ou autres dans les cimetières. On continue à employer cette expression, car un maire peut procéder, en vertu de ses pouvoirs de police, à des regroupements de fait de sépultures pourvu que ces derniers ne soient pas identifiables par des signes dans les parties communes et pourvu que personne ne soit empêché ou obligé de s’y faire inhumer au motif de sa religion ou de sa non-religion. Mais là encore, l’emploi du terme « carré » est impropre, car il impliquerait l’existence de délimitations extérieures identifiables et suggère l’idée d’une discrimination exercée sur les défunts selon leur religion ou leur absence de religion3. Avec le lexique, c’est donc là aussi une accoutumance qui s’installe.
Mezetulle a déjà abordé ce sujet en ligne à deux reprises.
- D’abord en mai 2009, après avoir lu une déclaration émanant d’une association confessionnelle musulmane, laquelle justifiait le refus de certains musulmans de se faire inhumer « aux côtés des juifs, des chrétiens et encore moins des athées ». Voir cet article : http://www.mezetulle.net/article-32083310.html
- Ensuite en 2012, après la tapageuse inauguration d’un « cimetière musulman » par le maire de Strasbourg : http://www.mezetulle.net/article-cimetieres-confessionnels-et-regime-concordataire-99156290.html (article intégral publié par Huffington Post http://www.huffingtonpost.fr/catherine-kintzler/cimetiere-confessionnel_b_1269144.html )
Notes
1 – À l’exception de l’Alsace-Moselle, les lois dites laïques ne s’y appliquant pas – d’où l’expression correcte de « cimetière juif » dans le cas de Sarre-Union. Précisons cependant que l’existence de cimetières ou de « carrés » confessionnels en Alsace-Moselle ne s’applique que pour les quatre cultes reconnus. Pour le culte musulman, ce sont, comme le précise très clairement la circulaire du 19 novembre 2008 (voir la référence note suivante), les conditions valides partout ailleurs qui s’appliquent : possibilité de procéder à des « regroupements de fait », mais non identifiables de l’extérieur. On peut donc se demander si le « cimetière musulman » inauguré en grande pompe en février 2012 par le maire de Strasbourg est conforme à cette disposition.
2 – Consultable en ligne sur le site du Bulletin officiel du ministère de l’Intérieur (année 2008) et directement téléchargeable sur legifrance http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2009/04/cir_13981.pdf
3 – Sur la question, on consultera entre autres l’article suivant qui récapitule les étapes historiques de la législation des cimetières. Il est très intéressant du fait que son auteur Barbara Charbonnier regrette l’impossibilité légale de constituer des « carrés » : http://www.funeraire-info.fr/integration-des-carres-confessionnels-au-sein-des-cimetieres-communaux-28344/
Les religions ne rassemblent pas, elles divisent. Je trouverai tout naturel, moi mécréant, de reposer indistinctement entouré de juifs, musulmans, chrétiens et que sais-je encore, traduisant ainsi la réalité de notre diversité. Mais il ne veulent pas se mélanger, même dans la mort : Un aveu d’intolérance en quelque sorte. Pourtant, ainsi gérés nos cimetières n’auraient sans doute pas à souffrir de stupides dégradations identitaires. Cependant, il reste que nombre de portails de nos petits cimetières de village arborent une croix chrétienne âprement défendue par les autorités locales. Suggérant a un conseiller municipal de mon coin qu’il serait courtois de faire disparaître cette marque (surtout sur un portail créé après 1905), je le retrouvai à quelque temps de là, enchâssé dans du fer à béton pour mieux le défendre d’éventuelles dégradations …
Si la loi de 1881 est respectée, d’ailleurs en grande partie du fait du combat des libres penseurs jusqu’alors jetés aux chiens, il n’en est pas moins que des cathos bon ton considèrent encore le cimetière comme terre consacrée leur appartenant, et chaque communauté d’en réclamer autant. Les dérapages ne viennent donc décidément que d’élus peu scrupuleux, voire clientélistes, prompts à céder aux pressions des communautés.
Cet article sur Mezetulle, dont je viens d’avoir connaissance par un ami, fait écho pour moi (et développe sur le plan théorique, bien mieux que je ne pourrais le faire moi-même) au mail que j’ai adressé « à chaud » à la réaction de France Inter le 18 février à la suite des informations de 13h. Le texte de mon mail est très court – format limité des réactions oblige – et je le recopie ci-dessous.
« Objet : Réaction à l’information du journal de 13h concernant la profanation d’un cimetière » catholique » en Normandie.
Je ne savais pas qu’il y avait des cimetières catholiques en France. Pour ma part, je suis athée, et comme pas mal de membres de ma famille, je souhaite être inhumé dans le cimetière COMMUNAL, qui accueille les défunts sans distinction de race ni de religion : faut il encore rappeller les valeurs de la république? Michel de Dordogne »
Par les temps qui courent, le minimum est de rappeler les règles de base!
Je souhaite rajouter un autre commentaire concernant les cimetières.Originaire du Poitou-Charentes, j’ai pu constater dans cette région des « séquelles » persistantes des guerres de religion qui au XVIème siècle et jusqu’à la Révolution ont influé sur l’histoire de la région. Il persiste en effet dans certains villages, non pas des cimetières, mais des tombes protestantes dans les jardins des familles concernées; j’ai remarqué aussi de telles sépultures au bout des vignes dans la région autour de Langon (33).
Avis à la population: préparez votre lopin! bientôt on ne pourra plus dormir du sommeil éternel que derrière sa maison, à moins que l’on nous impose la crémation! (ça aussi, ça rappelle des souvenirs…)
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