Descartes, Bibliothèque de la Pléiade : nouvelle édition en 2 volumes

Il faut saluer la publication cet automne de la nouvelle édition des Œuvres de Descartes en deux volumes dans la Bibliothèque de la Pléiade (Gallimard)1, préparée par le regretté Jean-Marie Beyssade, publiée sous la direction de Denis Kambouchner – Jean-Robert Armogathe s’étant chargé d’un large choix de lettres.

Il était grand temps de remplacer l’édition en un volume due à André Bridoux (1937, dernière éd. 1953). Les deux volumes de 2024 accroissent considérablement l’accès aux textes et offrent, comme il se doit, une version conforme aux exigences actuelles en matière d’établissement et de traduction, ainsi que des présentations et des annotations critiques nourries par les derniers états de la recherche. Ces travaux ont fait appel à de nombreux spécialistes – parmi lesquels je ne suis pas peu fière de figurer, même si c’est pour des extraits d’un texte mineur (les vers du ballet La Naissance de la Paix donné à Stockholm en décembre 1649) dont l’attribution à Descartes n’est pas certaine2.

Dans son introduction, Denis Kambouchner appelle à prendre distance avec quelques idées reçues qui ont appauvri et déformé une pensée complexe. « Il faut exclure d’emblée, écrit-il, l’aventure solitaire » et le mythe « d’une entreprise philosophique faisant table rase de toutes celles qui l’ont précédée ». Il n’est jamais question de procéder à un nettoyage désertifiant, mais il faut « faire régner un nouvel ordre » dans chaque domaine « offert à une intelligence qui se veut d’emblée universelle, rompre avec le désordre et la profusion qui caractérisent les sciences du temps. Promouvoir l’économie, la clarté, l’efficacité, et cela, en réfléchissant à la manière de les rendre le plus facilement traitables par l’esprit humain. » Si l’« événement Descartes » est et demeure toujours pour nous celui d’un commencement dans la pensée, ce n’est pas parce qu’il s’installerait sur une ignorance programmatique initiale, mais c’est parce qu’il s’agit d’un grand projet intellectuel de mise à disposition selon un ordre raisonné que chaque lecteur est invité à suivre, et surtout se sent capable d’effectuer, sollicité par « un tempérament hors du commun […] une indépendance d’esprit ombrageuse », par une vaillance pionnière qui, loin de l’enrôler, lui révèle sa propre force sous le régime de la singularité.

Il convient de rappeler que l’ambition est celle d’une philosophie pratique, mais qui ne peut véritablement l’être qu’appuyée sur des fondements solides, constructibles et intelligibles par un seul esprit. Ce qui implique une morale de la modestie et de l’estime de soi : le « je » qui se déploie (plus parcimonieusement que l’on ne croit) dans ces grands textes conduit sa pensée fermement parce qu’il se saisit comme sujet de la réflexion, de l’initiative, de l’expérience, de l’obstacle, et parce qu’il s’efforce de s’assurer de son action en remontant à ses fondements et en délimitant raisonnablement la confiance qu’il peut avoir en lui-même. On ne peut lire ni considérer Descartes de l’extérieur, pas davantage le réduire à la complexité révolue de l’époque où il s’inscrit ; on ne visite pas les textes de Descartes en les reléguant dans un musée où les idées reposeraient comme un trésor inerte. Denis Kambouchner conclut : « Cette œuvre n’est pas seulement un bien patrimonial à protéger. Il est impossible, aujourd’hui encore, de la regarder de près, d’y entrer et d’en prendre la mesure, ce qui est déjà la soustraire à son mythe, sans recueillir quelque chose de son extraordinaire énergie et de sa si inventive et si vigilante liberté. »

Sommaire du volume I

  • Introduction par Denis Kambouchner.
  • Chronologie (1563-1641) par Louis Rouquayrol.
  • Note sur la présente édition par Denis Kambouchner.
  • Notes et projets philosophiques (1619-1623). Textes établis ou traduits par Michelle Beyssade, présentés et annotés par Denis Kambouchner.
  • Règles pour la direction de l’esprit. Texte traduit par Jean-Marie Beyssade et Michelle Beyssade, présenté par Jean-Marie Beyssade et Denis Kambouchner, et annoté par Jean-Marie Beyssade, Michelle Beyssade, Frédéric de Buzon et Denis Kambouchner.
  • Le Monde ou Traité de la lumière. Texte présenté par Frédéric de Buzon, établi et annoté par Delphine Bellis.
  • L’Homme. Texte établi, présenté et annoté par Annie Bitbol-Hespériès.
  • La Recherche de la vérité. Texte établi ou traduit par Erik-Jan Bos, présenté par Louis Rouquayrol, et annoté par Erik-Jan Bos et Louis Rouquayrol avec la collaboration de Denis Kambouchner.
  • Discours de la Méthode ; La Dioptrique, Les Météores, La Géométrie (extraits). Texte du Discours établi, présenté et annoté par Geneviève Rodis-Lewis, annotation complétée par Denis Kambouchner et Annie Bitbol-Hespériès. Textes des Essais établis, présentés et annotés par Michel Blay (pour Les Météores) et Frédéric de Buzon (pour La Dioptrique et La Géométrie)
  • Les Méditations métaphysiques et Objections et réponses (I à VI). Texte des Méditations traduit par le duc de Luynes, présenté par Jean-Marie Beyssade et Denis Kambouchner. Texte des Objections et réponses traduit par Claude Clerselier, présenté par Jean-Luc Marion et annoté par Laurence Renault (I), Denis Kambouchner (II), Vincent Carraud et Gilles Olivo (III et IV), Didier Gil et Jean-Marie Beyssade (V) et Frédéric de Buzon (VI).
  • Choix de lettres (1619-1641). Textes traduits par Jean-Robert Armogathe et, au XVIIe siècle par Claude Clerselier, et établis, présentés et annotés par Jean-Robert Armogathe.
  • Appendices. Thèses de droit. Abrégé de musique (extraits). Jugements sur quelques lettres de Monsieur Guez de Balzac. Privilèges de 1637. Textes traduits, présentés et annotés par Jean-Marie Beyssade, Frédéric de Buzon, Denis Kambouchner et Theo Verbeek.
  • Notices et notes.
  • Répertoire des correspondants, par Jean-Robert Armogathe.

Sommaire du volume II

  • Chronologie (1642-1937) par Louis Rouquayrol.
  • Avertissement par Denis Kambouchner.
  • Méditations métaphysiques (suite), Septièmes objections (extraits) et Réponses. Lettre à Dinet. Textes traduits par Claude Clerselier, présentés et annotés par Roger Ariew et Theo Verbeek.
  • Lettre à Voetius (extraits). Texte traduit, présenté et annoté par Denis Kambouchner.
  • Les Principes de la philosophie. Texte traduit par Claude Picot, présenté par Frédéric de Buzon, Denis Kambouchner et Denis Moreau, et établi et annoté par Denis Moreau (Préfaces et I), Frédéric de Buzon (II et IV), Frédéric de Buzon et André Charrak (III).
  • La Description du corps humain. Texte établi, présenté et annoté par Annie Bitbol-Hespériès.
  • Notes sur un certain placard. Texte traduit, présenté et annoté par Dan Arbib.
  • Entretien avec Burman. Texte traduit par Xavier Kieft, et annoté par Denis Kambouchner, Xavier Kieft et Louis Rouquayrol.
  • Les Passions de l’âme. Texte établi, présenté et annoté par Denis Kambouchner et Louis Rouquayrol.
  • La Naissance de la paix (extraits). Texte établi, présenté et annoté par Catherine Kintzler.
  • Descartes à Stockholm. Extraits de La Vie de Monsieur Descartes d’Adrien Baillet (1691). Texte établi, présenté et annoté par Annie Bitbol-Hespériès.
  • Choix de lettres (1642-1650). Textes traduits par Jean-Robert Armogathe et, au XVIIe siècle, par Claude Clerselier, et établis, présentés et annotés par Jean-Robert Armogathe.
  • Notices et notes.
  • Répertoire des correspondants par Jean-Robert Armogathe.
  • Bibliographie et Index par Louis Rouquayrol.

Notes

1 – Rappelons que l’édition des Œuvres complètes et de la Correspondance intégrale, avec un appareil critique plus étendu est réservée à la collection Tel, en huit volumes actuellement en cours d’édition. https://www.gallimard.fr/catalogue?f%5B0%5D=collection_serie%3A34269&f%5B1%5D=auteurs_principaux_contenu_titre%3ARen%C3%A9%20Descartes&search_api_fulltext=Descartes

2 – Jean-Marie Beyssade m’avait proposé l’édition de ce ballet dès la fin des années 1990 ; il a facilité mes premiers pas en me fournissant un dossier contenant la documentation nécessaire et accessible à l’époque. Je conserve un souvenir ému de sa chaleureuse sollicitude et de l’attention rigoureuse qu’il consacrait à tout ce qu’il entreprenait. Denis Kambouchner m’a ensuite accueillie et soutenue dans la poursuite de ce travail jusqu’à son point ultime et j’ai pu travailler à ses côtés en toute confiance, assurée de sa relecture bienveillante et vigilante.

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