À partir de l’examen d’une chronique de Frédéric Worms s’employant à critiquer l’expression « tyrannie des minorités », André Perrin propose une rigoureuse mise au point. Il se penche notamment sur deux questions. Que veut-on dire quand on invite à « respecter les minorités » ? S’agit-il de respecter leurs intérêts particuliers, ou bien de respecter les droits inaliénables de tout être humain ? Et pour « protéger les minorités », faut-il aller jusqu’à la promotion de privilèges ? Ce qui conduit à réfléchir sur la question de la volonté générale dans son rapport au concept de majorité et sur celle de la non-coïncidence entre majorité parlementaire et majorité populaire, entre loi électorale et légitimité.
Le 22 septembre 2016 le journal Libération publiait une chronique de Frédéric Worms intitulée « D’une tyrannie à l’autre ou le piège des éléments de langage »1. Partant d’une récente déclaration d’un ancien président de la République dans laquelle celui-ci fustigeait la « tyrannie des minorités », l’auteur nous invitait à critiquer cette expression dans laquelle il voit le détournement « habile » mais « inadmissible » de la célèbre formule de Tocqueville qui fait de la « tyrannie de la majorité » l’écueil le plus dangereux du régime démocratique :
« il peut dégénérer en abus de pouvoir et en «tyrannie», précisément s’il ne respecte pas les minorités (et d’abord, selon lui, les opinions minoritaires, l’opposition). Régime où seule la majorité peut être «tyrannique», et dont c’est l’un des dangers mortels.
Mais dès lors parler de tyrannie des «minorités», ce n’est pas seulement contradictoire avec la démocratie, c’est rechercher un double effet pervers pour la démocratie. Car c’est souhaiter implicitement deux choses, également graves et inadmissibles. C’est d’abord rendre implicitement souhaitable la tyrannie de la majorité, elle-même ! Et en outre, c’est le faire contre les minorités, en figeant ces dernières non plus dans des opinions mais dans des «identités», et en incitant contre elles non plus à la critique, mais à la discrimination. C’est refuser le principe central de la démocratie non tyrannique, qui consiste à protéger les minorités. […] La tyrannie des minorités n’est donc qu’un habile piège rhétorique de plus, pour redoubler le danger réel revenu, qui est celui d’une tyrannie aggravée de la majorité. […] Il faut donc plus de vigilance encore que jamais. Et dans cette vigilance, il faut exercer celle qui porte sur le langage, sans attendre qu’il soit trop tard ».
On peut résumer ainsi les thèses de l’auteur de ces lignes :
1 – Il n’est pas légitime de parler d’une tyrannie des minorités car dans une démocratie seule la majorité peut être tyrannique, ce qui se produit lorsqu’elle ne « respecte » pas les minorités et c’est, comme Tocqueville l’a bien vu, le principal danger qui menace ce régime politique.
2 – Ceux qui évoquent une possible tyrannie des minorités sont des rhéteurs qui souhaitent discriminer les minorités en imposant une tyrannie de la majorité.
La tyrannie des minorités et les pièges du langage
Peu importe ici que ce soit un homme politique, ancien président de la République et manifestement désireux de le redevenir, donc vraisemblablement animé par des préoccupations électorales, qui ait parlé de « tyrannie des minorités » car indépendamment de sa personne la question d’une possible tyrannie des minorités se pose bel et bien, et pas d’aujourd’hui. Ainsi Philippe Raynaud, qui n’a jamais été candidat à la magistrature suprême, pouvait-il conclure, il y a presque 25 ans, un article remarquablement instruit de l’histoire du droit constitutionnel américain de la façon suivante : « Il n’est donc pas abusif de dire que, aujourd’hui, la menace d’une « tyrannie des minorités » se substitue à celle, dénoncée par Tocqueville, d’une « tyrannie de la majorité »2. De même, s’appuyant sur les travaux de Roberto Michels et de Mancur Olson, Raymond Boudon pouvait affirmer beaucoup plus récemment que « ce qui menace les démocraties et la démocratie française plus que d’autres, c’est en fait la tyrannie des minorités plutôt que la tyrannie de la majorité »3. On ne se laissera donc pas impressionner par la formule dogmatique du chroniqueur de Libération selon laquelle « seule la majorité peut être tyrannique ». Cette formule permet tout au plus de donner un sens à son étrange assertion selon laquelle « parler de tyrannie des minorités » serait « contradictoire avec la démocratie ». En effet on ne voit pas bien, à proprement parler, où est la contradiction. En toute rigueur « parler » de quelque chose, que ce soit de la tyrannie des minorités ou de quoi que ce soit d’autre, n’est pas contradictoire avec la démocratie. Ou alors, si l’on veut dire que la tyrannie est contradictoire avec la démocratie, ou plus rigoureusement qu’elle lui est contraire, c’est vrai, mais c’est vrai quel que soit le sujet qui exerce cette tyrannie, la majorité ou une minorité. M. Worms veut manifestement dire autre chose que ce qu’il dit. Il veut sans doute dire qu’à partir du moment où l’on présuppose que seule la majorité peut être tyrannique, aucune minorité ne peut l’être, ce qui est incontestablement vrai, mais purement tautologique.
Ce n’est pas tout car Frédéric Worms poursuit sa démonstration en soutenant que parler de tyrannie des minorités, c’est « rendre implicitement souhaitable la tyrannie de la majorité ». Il suppose donc que les propositions « la tyrannie des minorités n’est pas souhaitable » et « la tyrannie de la majorité n’est pas souhaitable » sont des propositions contradictoires : on ne pourrait pas refuser à la fois la tyrannie de la majorité et la tyrannie des minorités. Mais s’il en est ainsi, celui qui, comme M. Worms lui-même, refuse avec la dernière énergie la tyrannie de la majorité doit alors confesser qu’il souhaite la tyrannie des minorités.
Pour sortir de la confusion et déjouer les pièges de la rhétorique, il faut, comme Frédéric Worms nous y invite, exercer la vigilance « qui porte sur le langage », et le faire avec un peu plus de vigilance qu’il ne le fait lui-même. La majorité devient tyrannique, nous dit M. Worms, si elle « ne respecte pas les minorités », si elle ne respecte pas « les opinions minoritaires » alors que « le principe central de la démocratie non tyrannique » consiste à « protéger les minorités ». Cependant il ne nous dit pas ce que signifie « protéger » » les minorités ni « respecter » leurs opinions, en sorte que les silences de son langage autorisent diverses interprétations. Puisque c’est à Tocqueville que Frédéric Worms se réfère, c’est d’abord auprès de cet auteur que nous chercherons une réponse à ces questions.
Tocqueville et la protection des minorités
Ce qui chez Tocqueville fonde la possibilité d’une tyrannie de la majorité c’est cette détestable maxime « qu’en matière de gouvernement la majorité d’un peuple a le droit de tout faire »4. Si donc la loi de la majorité fonde la légitimité de la décision prise conformément à la volonté qu’elle a exprimée dans le vote, cette légitimité n’est pas sans bornes : elle trouve sa limite dans une autre légitimité, plus élevée :
« Il existe une loi générale qui a été faite ou du moins adoptée, non pas seulement par la majorité de tel ou tel peuple, mais par la majorité de tous les hommes. Cette loi, c’est la justice. La justice forme donc la borne du droit de chaque peuple […] Et quand je refuse d’obéir à une loi injuste, je ne dénie point à la majorité le droit de commander ; j’en appelle seulement de la souveraineté du peuple à la souveraineté du genre humain »5.
On reconnaît sans difficulté dans cette loi générale de justice qui vaut pour le genre humain tout entier ce que l’on appelle communément le droit naturel. Et l’on comprend alors ce que signifie respecter les minorités : non pas respecter leurs intérêts particuliers, qui, en tant que tels, ne sont pas plus respectables que ceux de la majorité, mais respecter les droits inaliénables qu’elles tiennent de leur participation à la nature humaine ou au genre humain. Un exemple de Spencer permet d’en donner une illustration : « Supposez encore que de deux races vivant ensemble – Celtes et Saxons par exemple, – la plus nombreuse décidât de faire des individus de l’autre race ses esclaves. L’autorité du plus grand nombre, en un tel cas, serait-elle valide ? Sinon, il y a quelque chose à quoi son autorité doit être subordonnée »6. Il peut bien être conforme aux intérêts de la majorité de réduire en esclavage une minorité ethnique, mais si, arguant de la loi de la majorité, elle s’y employait, elle se comporterait précisément de façon tyrannique. À l’intention de ceux qui récusent le jusnaturalisme, on pourrait d’ailleurs s’amuser à donner de cette idée une version rousseauiste : la volonté générale qui n’a égard qu’à l’intérêt commun n’est pas l’intérêt de tous, simple addition de volontés particulières, qui « regarde à l’intérêt privé »7. Les intérêts particuliers des Celtes et des Saxons peuvent s’opposer entre eux, mais ils ne pourront s’accorder que sur la base de ce qui leur est commun : « c’est ce qu’il y a de commun dans ces différents intérêts qui forme le lien social […] c’est uniquement sur cet intérêt commun que la société doit être gouvernée »8. Si les Saxons, plus nombreux que les Celtes, peuvent avoir intérêt à réduire ceux-ci en esclavage, cet intérêt ne peut être commun aux Celtes et aux Saxons, de telle sorte qu’une volonté majoritaire qui déciderait cette réduction en esclavage ne s’identifierait pas à la volonté générale, laquelle n’a d’autre objet que l’intérêt commun et naît quand les volontés particulières découvrent ce qu’elles ont en commun.
Toujours est-il que la référence tocquevillienne au droit naturel permet de comprendre ce que signifie « protéger les minorités », d’autant plus que Tocqueville indique lui-même comment cette protection trouve sa traduction concrète : « Le pouvoir accordé aux tribunaux de se prononcer sur l’inconstitutionnalité des lois forme encore une des plus puissantes barrières qu’on ait jamais élevée contre la tyrannie des assemblées politiques »9. Dès lors que le droit naturel s’inscrit dans le droit positif à travers une constitution ou une déclaration des droits de l’homme intégrée à son préambule, il revient à une cour suprême de rejeter comme inconstitutionnelles les lois à travers lesquelles une majorité opprimerait une minorité en violant ses droits fondamentaux. Il est en revanche plus difficile de comprendre ce que signifie respecter les opinions minoritaires. En effet les opinions minoritaires ne sont, en toute rigueur, ni plus ni moins respectables que les opinions majoritaires : elles ne le sont pas du tout. Le respect, comme Kant l’a mis en évidence dans des analyses célèbres, ne peut, à tout le moins, porter que sur ce qui est plus haut que nous, sur ce qui nous dépasse infiniment. Les opinions, qu’elles soient majoritaires ou minoritaires, vraies ou fausses, en tant qu’elles sont des opinions c’est-à-dire des croyances subjectives, incertaines et infondées, ne méritent aucun respect. Là encore en disant que toutes les opinions doivent être respectées, on dit autre chose que ce que l’on veut dire. On veut dire que l’homme a le droit d’exprimer librement ses opinions et que ce droit est un droit fondamental de l’homme et du citoyen, ce qui est effectivement garanti aussi bien par le premier amendement de la constitution américaine que par l’article 11 de la Déclaration du 26 août 1789, intégrée au préambule de la constitution de la Ve République en France.
La tyrannie des minorités aujourd’hui
En France comme aux États-Unis, la protection des minorités et la libre expression de leurs opinions sont garanties par la constitution. On voit donc mal ce qui permet à M. Worms de tirer la sonnette d’alarme en évoquant « le danger réel revenu, qui est celui d’une tyrannie aggravée de la majorité », d’autant qu’il ne donne aucun exemple d’un tel danger. On n’ose croire que Frédéric Worms porte au crédit de la tyrannie de la majorité la promulgation de la loi autorisant le mariage entre personnes de même sexe en dépit de l’opposition d’une minorité qui considérait ce bouleversement comme contraire au droit naturel et dont l’opinion n’a pas été « respectée » par la majorité… Mais supposons que les manifestations, d’une ampleur considérable, organisées par cette minorité agissante aient donné lieu à des débordements violents – vitrines brisées, véhicules incendiés, permanences politiques saccagées, plusieurs centaines de policiers et gendarmes blessés – et que le gouvernement, tétanisé par le syndrome Malik Oussekine, ait renoncé à promulguer la loi, ou à l’appliquer après qu’elle eut été promulguée : est-ce la tyrannie de la majorité qui aurait été mise en échec ou la souveraineté populaire ? Et si l’on répond que c’est la souveraineté populaire, ne convient-on pas du même coup qu’elle aurait été vaincue par la violence tyrannique d’une minorité ?
Cette expérience de pensée n’est pas sans lien avec la réalité puisque le cas de figure qu’elle évoque s’est produit à plusieurs reprises dans les dernières décennies. Le 8 décembre 1986, au terme de deux semaines de manifestations et deux jours après la mort de Malik Oussekine, la majorité avait retiré le projet de loi Devaquet sur la réforme de l’université. Le 15 décembre 1995, après trois semaines de grèves et de manifestations, c’est le gouvernement Juppé qui cédait aux manifestants en renonçant à son projet de réforme des retraites. Et au mois d’avril 2006, dans des conditions analogues, le gouvernement renonçait à appliquer la loi instituant le contrat première embauche, loi qui avait été votée le 9 février par le Parlement, validée le 30 mars par le Conseil constitutionnel et publiée le 2 avril au Journal Officiel. Aujourd’hui on ne sait pas si la loi El Khomri sera davantage appliquée ni si l’aéroport de Notre-Dame des Landes verra le jour, même si la majorité issue des urnes l’a décidé depuis longtemps et même si une majorité de plus de 55% s’est prononcée en faveur de sa construction lors de la consultation populaire du 26 juin 2016.
Raymond Boudon voyait le fondement théorique de la tyrannie des minorités dans la fameuse « loi d’airain de l’oligarchie » de Roberto Michels selon laquelle les gouvernements des nations démocratiques tendent à céder à l’action des groupes de pression plutôt qu’à l’opinion publique, parfois désignée sous le vocable de majorité silencieuse. Dans la communication citée plus haut, il portait au crédit de Mancur Olson d’en avoir identifié la logique et le fonctionnement :
« lorsqu’un petit groupe organisé cherche à imposer ses intérêts ou ses idées à un grand groupe non organisé, il a de bonnes chances d’y parvenir. En effet, les membres du grand groupe, étant non organisés, ont alors tendance à espérer qu’il se trouvera bien des candidats désireux d’organiser la résistance au petit groupe organisé, et prêts à assumer les coûts que cela comporte. Chacun espère en d’autres termes pouvoir tirer bénéfice d’une action collective qu’il appelle de ses vœux, mais répugne à en assumer les coûts. Comme la plupart tendent à se tenir le même raisonnement, il arrivera bien souvent que le petit groupe organisé ne rencontre guère de résistance et que par suite il se trouve dans la position de pouvoir imposer ses intérêts et ses idées au grand groupe non organisé, en d’autres termes : au public »10.
Boudon ajoutait que cette logique se déployait avec une puissance accrue dans un pays centralisé marqué par la domination du pouvoir exécutif comme la France, car dans ce cas de figure, « la vie politique tend à être surtout ponctuée par un face-à-face entre l’exécutif et les groupes d’influence »11.
Soutenir qu’il n’y a aucun sens à parler d’une possible tyrannie des minorités et que le principal danger aujourd’hui est celui d’une « tyrannie aggravée de la majorité » est donc doublement opposé à la vérité. C’est à proprement parler une « conscience du monde renversée » qui a pour effet, sinon pour but, d’occulter les problèmes qui se posent aujourd’hui à la démocratie. Il ne saurait être question ici de résoudre ces problèmes, mais, en nous limitant à deux d’entre eux, de montrer qu’ils se posent et comment ils se posent.
Souveraineté populaire ou pouvoir des juges ?
Le premier problème est celui du conflit entre la souveraineté populaire et la protection des droits des minorités dès lors qu’elle est confiée au pouvoir judiciaire. Le gouvernement des juges ne risque-t-il pas alors de se substituer au gouvernement du peuple par lui-même ? Aux États-Unis la Cour suprême a joué un rôle décisif dans la lutte contre la ségrégation raciale dont la minorité noire était victime en dépit du Quinzième amendement de la Constitution. Celui-ci dispose que « le droit de vote des citoyens des États-Unis ne sera dénié ou limité par les États-Unis, ou par aucun État, pour des raisons de race, couleur, ou de condition antérieure de servitude ». Cependant nombre d’États du Sud s’étaient employés à contourner cette disposition au moyen de divers subterfuges, par exemple en subordonnant la possibilité de voter au paiement d’un impôt électoral ou à la réussite de tests d’alphabétisation (Literacy tests) qui en excluaient de facto la population noire, majoritairement pauvre et illettrée. L’évolution de la jurisprudence de la Cour suprême imposa l’égalité électorale et rendit donc effectif le Quinzième amendement en restreignant les pouvoirs des États et en les homogénéisant politiquement12.
S’agissant d’un principe aussi fondamental que celui de l’égalité de tous les citoyens, quelle que soit la couleur de leur peau, devant le droit de vote, la légitimité de la jurisprudence de la Cour ne pouvait guère être mise en doute. Cependant, comme l’écrit Philippe Raynaud, « le poids du judiciaire dans le « gouvernement » des États-Unis produit aussi des effets assez contestables du point de vue de la légitimité démocratique et de l’efficacité »13. Pour s’en tenir à un seul exemple, la discrimination positive (affirmative action), qui était au point de départ un simple moyen, provisoire, transitoire et exceptionnel pour atteindre des objectifs politiques définis, a acquis la valeur d’un principe constitutionnel. Dès lors elle « est devenue le moyen général de promotion des « minorités » les plus improbables, très au-delà de ce que nécessitait leur défense contre la « discrimination », et elle a conduit à négliger les aspects proprement « sociaux » (et « sécuritaires » …) de la question noire. […] de la même manière, l’absence ou le sous-développement de ce qui, sous d’autres cieux, améliore la condition féminine, rend de fait la carrière des femmes plus difficile, ce qui se traduit à la fois par des rapports très tendus entre les deux sexes et par la revendication de ce qu’il est impossible d’appeler autrement que des privilèges légaux pour les personnes de sexe féminin »14.
Aujourd’hui l’opposition des libéraux (aux États-Unis ce terme désigne les « progressistes ») et des conservateurs correspond au conflit de ceux qui préconisent une extension du pouvoir interprétatif de la Cour Suprême, le judicial activism, afin de promouvoir, plutôt que le développement des droits « sociaux », celui des droits « sociétaux » de multiples minorités et de ceux qui préconisent au contraire le judicial restraint, c’est-à-dire une interprétation minimaliste des amendements de la constitution, conforme à l’intention originaire des constituants et limitée par elle, qui préserve le pouvoir de légiférer des différents États. Ainsi en prolongeant le mouvement antiségrégationniste de conquête des droits politiques et sociaux, le mouvement féministe d’une part, celui des diverses minorités sexuelles d’autre part, ont donné à cette lutte appuyée sur le droit et le pouvoir des juges une coloration différente qui, écrivait Philippe Raynaud en 1992, « mène de l’individualisme le plus radical à l’auto-enfermement des individus dans leur groupe de référence » de telle sorte que « la quête de l’universalité démocratique aboutit à nier l’existence d’un monde commun entre les différentes composantes de la société »15.
Cette évolution n’est évidemment pas propre à la civilisation américaine. Elle correspond à un mouvement que Pierre Manent a mis en évidence à propos de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « on pourrait dire que les droits du citoyen l’avaient emporté sur ceux de l’homme, qu’au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe, on s’intéressa davantage à l’inscription politique des droits humains dans le cadre d’un État national qu’à l’affirmation générale des droits en tant que tels. Les droits de l’homme étaient politiquement ou socialement spécifiés : droit de vote, droit au travail, droit des nationalités »16. On voit que le combat contre la ségrégation raciale aux États-Unis, appuyé sur le pouvoir du tribunal de se prononcer sur l’inconstitutionnalité des lois, conformément à ce qui était préconisé par Tocqueville, s’inscrivait dans cette séquence. Cependant, poursuit Pierre Manent, « l’insistance mise sur les droits de l’homme aujourd’hui a incontestablement un accent antipolitique, une saveur an-archiste au sens étymologique du terme : on préfère l’homme au citoyen, on tend à rejeter les contraintes collectives liées à la citoyenneté »17. Ainsi la critique marxienne des droits de l’homme n’était pas totalement infondée, qui n’avait pas été aveugle à leur logique individualiste, donc à leur puissance de déliaison. Le développement de cette logique, qui est celle de la modernité démocratique, conduit à privilégier non plus le droit du citoyen à participer à la vie civique et à la décision collective, mais le droit privé de l’individu à faire reconnaître par la collectivité la singularité de sa nature et de ses choix, c’est-à-dire sa différence. La souveraineté du « c’est mon choix ! » s’est substituée à celle du « c’est notre choix. ». Marcel Gauchet a parfaitement décrit ce processus revendicatif en vertu duquel « c’est au titre de son identité privée qu’on entend compter dans l’espace public »18, ce qui conduit à une reconfiguration des rapports de la société civile et de l’État dans laquelle c’est à l’infinie diversité de celle-là qu’il revient de déterminer les fins de l’activité humaine tandis que c’est de celui-ci qu’on attend qu’il en reconnaisse la légitimité et qu’il leur donne les moyens de se réaliser : « on en est venu peu à peu à s’intéresser moins aux instruments du pouvoir des majorités qu’aux moyens de protéger les minorités »19. Dès lors le juridique tend à l’emporter sur le politique, puisque c’est au droit qu’il appartient de protéger les minorités : « davantage que des façons les plus directes et les plus sûres d’atteindre les buts définis par la volonté générale, on s’est mis à se tracasser des façons de contrôler la légalité, voire la légitimité constitutionnelle des décisions du législateur. La régularité des procédures en est venue à prendre le pas sur l’objet de la délibération ou de l’action publique. Nous avons glissé insensiblement dans une démocratie du droit et du juge »20. Ce glissement est corrélatif d’une évolution de la démocratie libérale selon laquelle le versant libéral, appuyé sur la primauté de la société civile, tend à prévaloir sur le versant démocratique, appuyé sur la primauté de l’État.
Volonté majoritaire et volonté générale
Le second problème est celui du rapport de la volonté générale et de la majorité : à quelles conditions la volonté de la majorité peut-elle s’identifier à la volonté générale et quelles sont les procédures qui permettent de produire une majorité qui puisse revendiquer cette légitimité ? On l’a vu, la volonté générale n’est pas la somme des volontés particulières, mais la volonté qui n’a d’autre objet que l’intérêt commun, qui découle de ce que les volontés particulières ont en commun, non pas les particularités qui peuvent les diviser et les opposer, mais la raison qui leur est commune : elle est donc volonté du raisonnable ou de l’universel. Or une majorité peut être une faction réunie autour d’intérêts particuliers dont la satisfaction pourrait être voulue par le plus grand nombre, mais non pas par tous : c’était le sens de l’exemple de Spencer donné plus haut. Il en résulte donc que seule l’unanimité peut garantir l’universalité de la volonté générale. Ainsi que l’écrit Rousseau : « plus les avis approchent de l’unanimité, plus aussi la volonté générale est dominante »21. Cependant l’unanimité est de facto très difficile à obtenir et ne pourra donc être qu’approchée, comme le suggère la formule de Rousseau et comme le dira Sieyès : « L’unanimité étant une chose très difficile à obtenir dans une collection d’hommes tant soit peu nombreux, elle devient impossible dans une société de plusieurs millions d’individus. […] Il faut donc se contenter de la pluralité »22. Même dans une communauté assez restreinte pour que l’obtention de l’unanimité soit envisageable, il serait contestable d’en faire le critère et la garantie de la volonté générale car le veto d’une seule voix suffirait à invalider la volonté de toutes les autres, de sorte que c’est la tyrannie de la minorité sous sa forme la plus radicale qui serait ainsi instaurée. Dans une communauté plus vaste, le problème ne se pose pas et c’est la majorité qui devient le substitut de l’impossible unanimité, ce que Rousseau admet puisque pour lui seul le pacte social exige un consentement unanime, tandis que pour le reste « la voix du plus grand nombre oblige toujours tous les autres »23.
Il n’en demeure pas moins que la volonté générale n’est pas telle par le nombre, mais par l’intérêt commun qu’elle vise. Il faut donc qu’elle ne soit pas aveuglée par l’intérêt particulier, il faut qu’elle se détermine en faisant taire les passions, il faut qu’elle puisse se soustraire à l’influence des démagogues qui flattent et entretiennent celles-ci. Le danger de l’aveuglement populaire a été perçu dès la naissance de la démocratie dans l’Athènes du Ve siècle, bien avant Platon. Hérodote déjà montre, au livre V des Histoires, qu’il est aisé de tromper le peuple et Thucydide, pour qui son manque de clairvoyance est une évidence24, crédite Périclès d’avoir régulièrement combattu les emportements populaires, allant jusqu’à renoncer à réunir ses concitoyens lorsqu’il avait une raison de redouter qu’ils ne prissent, sous l’effet des passions, une décision malencontreuse : « Périclès, convaincu qu’il avait raison de s’opposer à toute sortie, évitait de convoquer soit l’Assemblée, soit une réunion quelconque. Il craignait qu’une décision fâcheuse ne fût prise à la suite de délibérations au cours desquelles les Athéniens se laisseraient guider par la passion plus que par leur jugement »25. Si la volonté générale doit naître d’une délibération sereine où les entendements s’éclairent mutuellement dans le silence des passions, elle peut malaisément jaillir des mouvements impétueux d’une foule impatiente et mal informée. Elle suppose fondamentalement l’instruction et conjoncturellement une lente élaboration que la réunion du grand nombre ne permet guère. Comme le dira Durkheim : « De là ces conseils, ces assemblées, ces discours, ces règlements, qui obligent ces représentations à ne s’élaborer qu’avec une certaine lenteur. Nous pouvons donc dire en résumé : l’État est un organe spécial chargé d’élaborer certaines représentations qui valent pour la collectivité. Ces représentations se distinguent des autres représentations collectives par leur plus haut degré de conscience et de réflexion »26. Cette élaboration est donc davantage compatible avec le principe de la représentation et avec les médiations de la démocratie parlementaire. Cependant cette solution est elle-même source d’un nouveau problème, celui de la coïncidence de la majorité populaire et de la majorité parlementaire. Deux exemples permettront d’en prendre la mesure.
Majorité populaire et majorité parlementaire. Loi électorale et légitimité
À la fin des années 70, il y avait à l’Assemblée nationale une majorité en faveur de l’abolition de la peine de mort. En même temps, selon un sondage Figaro-Sofres du 23 juin 1978, 58% des Français étaient favorables au maintien de la peine capitale. À l’automne 1978 un groupe de députés UDF conduit par Pierre Bas ainsi que le groupe socialiste tentèrent de la faire abolir indirectement en votant des amendements contre les crédits destinés à l’entretien de la guillotine et à la rémunération du bourreau, mais le gouvernement imposa un vote bloqué pour s’opposer à ces amendements. Le 15 juin 1979, la commission des lois de l’Assemblée vota l’abolition, mais là encore le gouvernement, soucieux de l’état de l’opinion publique, œuvra pour empêcher que la proposition de loi inscrite à l’ordre du jour fît l’objet d’un vote. C’est seulement le 18 septembre 1981 que l’abolition fut votée à une écrasante majorité (363 voix contre 117) et promulguée le 10 octobre. Cependant le 9 octobre, un sondage Figaro-Sofres indiquait que 63% des Français étaient favorables au maintien de la peine capitale. On peut conjecturer avec vraisemblance que si le peuple avait été consulté par la voie référendaire, il aurait refusé l’abolition. Dans ces conditions, faut-il considérer que la volonté générale émane de la majorité parlementaire ou de la majorité populaire ? Le même problème s’est posé plus récemment avec le referendum de mai 2005 où la majorité populaire rejeta le projet de traité constitutionnel européen alors que la majorité parlementaire l’eût adopté, comme en témoigna trois ans plus tard la ratification par le Congrès de sa reformulation dans le traité de Lisbonne.
Il n’est pas facile non plus de s’accorder sur les mécanismes électoraux susceptibles de dégager une majorité qui pourra revendiquer légitimement l’identité de sa volonté et de la volonté générale. Là encore, deux exemples permettront de s’en assurer. En novembre 2016, Donald Trump était élu président des États-Unis d’Amérique avec trois millions de voix de moins que sa concurrente, ce que certains, en particulier en France, considérèrent comme un déni de démocratie. Ce phénomène, qui ne s’était produit que quatre fois depuis l’élection de George Washington en 1789, est possible parce que l’élection américaine se fait au suffrage universel indirect : les citoyens n’élisent pas un président, mais des grands électeurs et ce sont ces derniers qui élisent un président dont le rôle est de former l’exécutif d’une fédération d’États. Or dans un État fédéral, le nombre de représentants n’est pas exactement proportionnel à la population afin que même les États les moins peuplés puissent avoir voix au chapitre. Il en va de même d’ailleurs au Parlement européen : dès les années 50 les petits États, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, avaient obtenu un nombre de sièges supérieur à celui que leur aurait assuré une représentation proportionnelle. Toujours est-il que dans le cas américain la question peut se poser de savoir si c’est la majorité des électeurs ou celle des grands électeurs qui est dépositaire de la volonté générale.
Qu’on se remémore maintenant les conditions dans lesquelles Salvador Allende a été porté à la présidence du Chili en 1970. La droite s’étant présentée divisée à l’élection présidentielle, il avait obtenu 36,2% des voix contre 34,9% qui étaient allées au candidat conservateur et 27,8% à celui de la démocratie chrétienne. Or la constitution chilienne ne prévoit pas de second tour : lorsqu’aucun candidat n’obtient la majorité absolue, c’est le congrès qui départage par un vote les deux candidats arrivés en tête. Le congrès, qui était majoritairement à droite, aurait donc pu désigner le candidat arrivé en seconde position et il aurait eu d’autant plus de raisons de le faire que celui-ci avait davantage de chances de constituer une majorité cohérente en s’alliant avec le parti démocrate-chrétien dont il s’était détaché. Il fit pourtant le choix inverse et désigna le candidat qui avait obtenu une majorité relative. Là aussi on peut se demander si la majorité dont la volonté est supposée s’identifier à la volonté générale était celle des 36,2% qui avaient voté pour le candidat de l’Unité populaire ou celle des 62,7% qui avaient voté contre lui.
Ce dernier exemple n’est pas sans intérêt pour penser notre actualité politique. En effet, le président de la République qui vient d’être élu avec 66,06% des suffrages exprimés se voit opposer que cette majorité n’en est pas une. On fait valoir que 25,38% des électeurs s’étant abstenus et 11,49% de ceux qui ont participé au vote ayant déposé dans l’urne un bulletin blanc ou nul, ce ne sont en fin de compte que 43,63% des électeurs inscrits qui se sont prononcés pour lui, autrement dit qu’une nette majorité n’a pas voulu de lui. On ajoute à cela qu’une enquête d’OpinionWay montre que 45% des électeurs d’Emmanuel Macron ont voté pour lui non pas parce qu’ils adhéraient à son programme, mais parce qu’ils attendaient de lui qu’il batte la candidate qui lui serait opposée au second tour et on en conclut que son élection ne lui donne aucune légitimité pour appliquer un programme sur lequel il n’a été élu qu’en apparence. Or ce dernier argument est parfaitement analogue à celui qui a été opposé jadis à Salvador Allende : certes, son élection était légitime puisque conforme aux institutions, mais elle ne lui donnait aucun mandat pour appliquer un programme révolutionnaire qui avait été explicitement rejeté par près des deux tiers des votants. On ne discutera pas ici la valeur de cet argument, mais on se bornera à souligner qu’on ne peut le réputer valide dans un cas et pas dans l’autre.
Peut-être faut-il se résoudre à admettre que si la loi de la majorité est coextensive à la démocratie, il n’est pour autant pas possible d’en fournir une conception qui fasse l’accord universel des esprits et qui convienne à toutes les situations historiques, autrement dit que c’est toujours en fin de compte en vertu d’une convention, par définition contingente, qu’on détermine ce qui est la majorité dans une démocratie. En ce cas, la question de la légitimité renvoie à l’acceptation de la convention, au sens où Alain écrivait : « Ce qui est juste, c’est d’accepter d’avance l’arbitrage ; non pas l’arbitrage juste, mais l’arbitrage »27. Il reste aussi que l’assurance qu’a le gouvernant élu d’être le représentant légitime de la majorité ne le dispense pas de la vertu de prudence.
Notes
1– En ligne http://www.liberation.fr/debats/2016/09/22/d-une-tyrannie-a-l-autre-ou-le-piege-des-elements-de-langage_1506626
2 – Philippe Raynaud « De la tyrannie de la majorité à la tyrannie des minorités » Le Débat n°69 mars-avril 1992 p.59.
3 – Raymond Boudon « Que signifie donner le pouvoir au peuple ? » Communication à l’Académie des sciences morales et politiques 27 septembre 2010, sur le site de l’ASMP https://www.asmp.fr/travaux/communications/2010_09_27_boudon.htm
4 – Tocqueville De la démocratie en Amérique Livre I, 2e partie, Flammarion 1981, p. 348.
5 – Ibid.
6 – Spencer Le droit d’ignorer l’État § 4.
7 – Rousseau Du contrat social II, 3.
8 – Ibid. II, 1.
9 – Tocqueville op. cit., Flammarion 1981 T.1 p. 172.
10 – Raymond Boudon art. cit.
11 – Ibid.
12 – Ce conflit n’est cependant pas terminé puisque le Texas avait adopté en 2011 une disposition (Senate bill 14), subordonnant l’exercice du droit de vote à la présentation de pièces d’identité que les Afro-Américains et Hispano-Américains étaient plus nombreux que les autres à ne pas posséder. Cette disposition a été censurée comme discriminatoire en 2014, censure confirmée en appel en 2016.
13 – Philippe Raynaud art. cit. p.51.
14 – Ibid. p.54.
15 – Ibid. p.55.
16 – Pierre Manent Cours familier de philosophie politique Ch. IX Déclarer les droits de l’homme Fayard, 2001, p.165.
17 – Ibid.
18 – Marcel Gauchet La religion dans la démocratie, Gallimard 1998 Folio Essais p. 134.
19 – Ibid. p. 96.
20 – Ibid.
21 – Rousseau Du contrat social, IV, 2.
22 – Sieyès Préliminaires de la constitution française Paris, 1789, p. 38.
23 – Rousseau Du contrat social, IV, 2.
24 – Jacqueline de Romilly Problèmes de la démocratie grecque, Hermann 1975 Agora p. 59-60.
25 – Thucydide La guerre du Péloponnèse Livre II, chapitre 1, 22.
26 – Durkheim Leçons de sociologie PUF 1990, p. 86-87.
27 – Alain Propos 18 avril 1923.
© André Perrin, Mezetulle 2017.
Ping : iPhilo » Démocratie, tyrannie des minorités, paradoxes de la majorité
Depuis la Révolution française, nous sommes à la recherche d’un régime stable; tout a été essayé: monarchie absolue, censitaire, empire, république; enfin depuis 1870, c’est la majorité qui décide. Non qu’elle soit parfaite mais la majorité qui vient répare les erreurs de la majorité qui a vécu. L’homme n’étant pas infaillible, une majorité peut donc se tromper. Mais il y a un principe avec lequel on ne peut pas transiger c’est celui qui implique qu’un candidat ayant obtenu moins que son concurrent soit élu. Tout autre procédé qui permettrait d’instituer la représentation des minorités, je peux l’accepter. Trop simple?
Ah! J’oubliais! C’est là un texte de G. Clemenceau
Ping : Faut-il en finir avec le suffrage universel ? - Mezetulle
N’étant ni juriste ni philosophe professionnel, n’exerçant donc que par observation, j’aimerais parler d’une tyrannie de la majorité qui se passe du cadre constitutionnel et qui de ce fait est peut être hors sujet dans ce débat.
La mode : non pas les défilés de haute couture ou du prêt à porter , mais cette propension qu’on les gens à agir , et même quelquefois penser, peu ou prou tous de la même façon.
J’ai surpris sur les ondes, un spécialiste musical sinon du vedettariat de la chanson, qui affirmait que la condition nécessaire de plaire à une majorité suffisait à un genre musical voire à un artiste pour emporter le gros lot c’est-à-dire occuper la quasi-totalité des retransmissions. Ce qui expliquerait l’absence hertzienne des chanteurs à texte du jazz des musiques traditionnelles qui existent pourtant à l’état végétatif et subventionné dans les mjc, les cabarets à vingt-cinq places et le transept des églises.
Autre exemple :la période patte d’éléphant. Je ne sais pas si les auteurs ont connu cette curieuse époque où l’on était obligé d’épousseter le sol avec le bas de nos pantalons. Alors adolescent j’ai été d’emblée allergique à l’accoutrement. Les anciens du quartier de la Vilette où habitaient mes grands-parents évoquaient la tenue des apaches, principalement les monte en l’air dont c’était l’uniforme : bref pour eux un déguisement de voyou et j’ai toujours eu horreur de la petite bourgeoisie qui s’encanaille. Mais la principale raison est que je trouvais ça hideux tout simplement.
J’ai pourtant du m’y plier. Même les tailleurs avaient brulé les patrons de leurs anciens modèles
Si vous ne me croyez pas , visionnez quelques films d’époque (Sautet, Yves Robert) où l’uniformisation des braies , comme on dit encore chez moi, est vraiment frappante.
Mais je n’aurais pas pollué la page de ce blog , avec des exemples aussi triviaux s’ils ne débouchaient pas sur quelque chose de plus important.
Quoique. Il n’ y a pas si longtemps ,alors qu’il était question de laïcité , un président américain n’est il pas venu nous reprocher d’empêcher les gens de s’habiller comme ils voulaient, On ne s’habille jamais comme on veut , aux Etats Unis comme ailleurs, la mode, et puis d’ici à ce que le nudisme soit planétairement autorisé , il se passera quelques lustres.
Mais la mode justement, touche des sujets autrement plus importants que le chiffon.
Le mode de vie à juste titre ; Combien de fois entendons nous des diatribes du genre « Il vaut mieux vivre à cent à l’heure et s’éteindrei à la fleur de l’âge que de traîner sa carcasse jusqu’»à l’incapacité » en somme en termes plus modernes et concrets : boîte de nuit obligatoire pour tout le monde , non pas voir Capri et mourir , mais de montre de luxe à cinquante ans et devoir accompli, bref consommer à outrance et disparaître dans des volutes de barreau de chaise.
La prose de ces James Dean aux petits pieds , gagnant un terrain inquiétant , que va-t-il devenir des contemplatifs, des peu exigeants , de tous ces anonymes dont la vie est le seul luxe ici-bas comme le disait le poète.Que va-t-on faire de ces boulets sociaux dont les prétentions à vouloir enfin et simplement vivre après quelques décennies de labeur imposé vont grever par leurs ruineuses pensions la bonne marche d’une économie généreusement prodigue en biens matériels
Il faut que je parle aussi du mode de vie citadin qui par son imposante majorité détruit inexorablement le mode de vie rural. Je passe sur l’équivalent d’un département de zones agricoles et naturelles phagocyté par le béton et le bitume tous les dix ans . Mais en plus les ploucs jouissent d’une flagrante inégalité de service. Savez vous comment on reconnaît un campagnard d’un urbain : il a régulièrement la faveur des ondes faisant parti de la longue litanie des foyers privés d’électricité à chaque caprice de la météo. Mais par conte les barrages c’est pour lui , les éoliennes c’est pour lui les lignes à haute tension les poubelles nucléaires c’est pour lui. En revanche un milliard dépensé et une vallée détruite pour que le streetos parisien mette , entendez vous bien vingt minutes de moins pour aller festoyer à Barcelone, c’est pour l’autre ; Et les campagnes se vident offrant un nouveau prétexte pour les balayer
N’est t’on pas un peu là , hors tout cadre constitutionnel , dans votre parabole du celte et du saxon ?
Vous évoquez Notre_Dames-Des-Landes et son référendum démocratique ; mais n’est ce pas mettre en pâture l’existence d’une poignée d’agraires par un département entier.
Et ce sera la même chose pour la montagne d’or en Guyanne .Ainsi combien de petits peuples d’ethnies de langue de culture ont disparu en dehors de tout environnement légal
Quant à la tyrannie des minorités, loin de nier son existence , je préfère parler de paresse des majorités : je vote et puis j’oublie ( exception faite , au moins , du défilé gaulliste de juin ou mai 68)
Moi-même très attaché à la laïcité et à ses lois , je vois très bien qu’une minorité engagé et ambitieuse finira par raison de l’une et des autres de par la lâcheté, , la peur, la velléité de mes congénères et de moi-même.
Et puis si un défilé a raison d’une loi voté par la majorité des députés c’est peut être et aussi car que ces majorité 52-48 avec un nombre de suffrage exprimé de plus en plus réduit sont à la merci du moindre basculement lors des prochaines échéances
Ce que vous dites des modes et des modes de vie est en effet étranger au sujet que j’ai traité. Je ne répondrai donc qu’aux deux points de votre commentaire qui se rapportent à celui-ci.
1 – Je n’ai formulé aucun avis sur la question de savoir s’il était opportun ou non de construire un aéroport à Notre-Dame des Landes. À travers cet exemple, mon propos portait exclusivement sur la démocratie. La question de savoir si dans une démocratie il faut respecter les décisions de la majorité est distincte de celle de savoir si la majorité prend toujours de bonnes décisions. Les adversaires de la démocratie pensent volontiers que le peuple est ignorant, incompétent, versatile, aveuglé par ses passions, manipulé par les démagogues et que, pour cette raison, il est préférable de confier l’exercice du pouvoir à des individus ou à des élites éclairés. Choisir la démocratie, c’est choisir un système où le pouvoir n’est pas confié à des grands hommes ou à des experts, mais à tous, c’est-à-dire aux ignorants comme aux savants, aux sages comme aux fous, aux bons comme aux méchants. C’est donc accepter la possibilité que le peuple se trompe et prenne, parfois, de mauvaises décisions. Dans l’affaire de Notre-Dame des Landes, c’est à la fois la démocratie représentative et la démocratie directe qui ont été mises en échec. Et c’est aussi l’autorité judiciaire puisque tous les recours que les opposants au projet avaient formés devant les tribunaux ont été rejetés par ceux-ci. Eussent-ils donné gain de cause à ces opposants, on peut présumer que ces derniers en auraient tiré argument et n’auraient pas contesté leur jugement. Mais refuser l’arbitrage qu’on a sollicité dès lors qu’il ne vous est pas favorable, c’est détruire le concept même d’arbitrage.
On peut parfaitement être, en tant qu’écologiste, hostile au projet de construction de l’aéroport et, en tant que citoyen, scandalisé par le déni de démocratie qui a conduit à son abandon.
2 – Que la majorité soit 52 contre 48 ou 67 contre 33 ne change rien à l’affaire : on peut toujours faire des calculs et trouver des arguties pour soutenir qu’elle n’est pas légitime. Si des défilés ou des occupations illégales peuvent avoir raison de lois votées à la majorité, c’est parce que le pouvoir politique est tétanisé à l’idée qu’il pourrait y avoir un mort. Les gouvernants savent tout aussi bien que les organisateurs de ces défilés qu’il y aura des « éléments incontrôlés » qui se livreront à des actions violentes mettant les policiers dans l’alternative de ne pas riposter ou de riposter en prenant le risque de la « bavure ». Dans les sociétés démocratiques occidentales, on est beaucoup plus ménager de la vie humaine que dans d’autres systèmes et sous d’autres horizons. C’est ainsi qu’on cède au chantage des minorités agissantes.
Je vous remercie de votre réponse
Je me doutais bien que mes préoccupations n’étaient pas palpables par une quelconque manutention purement politique
Toutefois lorsque vous parlez d’échec de la démocratie en ce qui concerne l’affaire de Notre-Dames-Des-Landes je ne sais pas comment le prendre
Autant que je me souvienne , je n’ai pas été consulté à l’époque. En attendant que vous me répondiez que l’enjeu était local je risque de me répéter en affirmant que ce type de scrutin met face à face une majorité de citadins dont la préoccupation est d aller papillonner de ville en ville et une minorité de ruraux en voie d’expulsion. Peu ou prou je pense, votre pertinente parabole des celtes et des saxons
Si la consultation avait été nationale, serait entré en lice des gens qui comme moi se soucie comme de leur première cerise de l’efficience du vol Nantes Rio de Janeiro et sont plus concernés par le grignotage( le mot et faible) des espaces naturels et agricoles
De plus , le peuple avec tous les défauts et les qualités que vous et moi lui attribuons , est quelquefois capable de sens moral. J’avais fait mention dans ma réaction du percement du massif des Albères en vue du passage de la ligne TGV. Mon réel sentiment ne peu guère se décrire que sous le sceau de la vulgarité quand j’en ai connu le coût etl’utilité : vingt minutes de gagnées dans une activité où le sommeil doit prendre la majorité du temps. Le problème est le même à Notre-Dames-Des-Landes. Doit on éviter à nos concitoyens nantais le si pénible transit par Paris lors de leur quotidien et tant laborieux voyage vers les Amériques, les Seychelles et autres lieus de villégiatures ?
Donc en une phrase. Est il démocratiquement pertinent de demander au peuple s’il faut continuer à enlever le nécessaire aux uns pour offrir le superflu aux autres . (Et avec la contribution financière de tous qui plus est)
La deuxième partie de votre réponse m’offre une question : l’exercice de la démocratie se borne-il à déposer un bulletin dans l’urne et, de temps à autre, d’aller querir les services de la justice( qui n’est bonne, je vous l’accorde, que lorsqu’elle nous donne raison)
Le droit de manifester est garanti : je ne sais si c’est par la constitution ou un autre texte. Et je me demande avec les effets pervers que vous lui attribuez à juste raison s’il faut continuer à accorder ce privilège
Qui plus est les sympathisants d’une majorité ou les zélateurs d’une loi ne s autorisent que très rarement cet exercice pour des raisons que je n’arrive pas à cerner : la peur de la violence comme vous le mentionnez, la peur du « bide » qui obèrerait la cause. Honnêtement je ne sais pas
1 – Je n’ai pas plus que vous été consulté à l’époque et je n’ai jamais dit ni suggéré que l’enjeu de la consultation était local. De toute évidence, il n’était pas purement local.
Si la consultation avait été nationale, seraient entrés en lice des gens qui pensent comme vous, mais aussi des gens, citadins ou pas, qui se préoccupent prioritairement du développement économique de la France et se soucient comme d’une guigne des espaces naturels d’une région où ils n’habitent pas.
Cependant il ne pouvait y avoir de référendum législatif tel qu’il est prévu par l’article 11 de la Constitution parce que celui-ci dispose que le Président de la République peut soumettre au référendum « tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ». La construction d’un aéroport n’étant ni une réforme, ni une ratification de traité n’entre pas dans son champ.
Il n’était pas davantage possible d’organiser un référendum local, au sens juridique du terme. Celui-ci, prévu par les articles LO1112-1 à LO1112-7 du code des collectivités territoriales ne peut être organisé qu’à l’initiative de l’exécutif local et ne peut concerner que des enjeux purement locaux. Précisément parce que le projet d’aéroport avait un intérêt national, il n’entrait pas non plus dans son champ.
Ce qui a été organisé est une consultation locale, conformément à l’ordonnance du 16 avril 2016 « relative à la consultation locale sur les projets susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement ». Cette consultation, contrairement au référendum, n’a pas valeur de décision et c’est ce qui a permis au gouvernement de ne pas en tenir compte, en dépit de l’engagement pris par le chef de l’État.
2 – Non, l’exercice de la démocratie ne se limite pas à déposer un bulletin dans l’urne de temps à autre. Il consiste aussi à participer au débat public, ce à quoi contribue une presse libre et pluraliste. Celle-ci, par le pouvoir qu’elle exerce sur l’opinion, les informations ou les révélations qu’elle diffuse, a le pouvoir de contraindre des ministres à la démission ou d’empêcher l’élection d’un candidat à l’élection présidentielle. Il consiste aussi à exercer des pressions sur le gouvernement, ce que font quotidiennement des milliers d’associations, des syndicats ouvriers ou patronaux aux ONG, des académies savantes aux sociétés de pêche ou de chasse et aux associations de joueurs de pétanque. Quant au droit de manifester, il est garanti par la Constitution puisque l’article 10 de la Déclaration du 26 août 1789, intégré à son préambule, dispose que « nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». Il est de surcroit garanti par l’article 11 de la Convention européenne des Droits de l’Homme aux termes duquel « toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association ». En revanche le droit de briser des vitrines, d’incendier des voitures, de jeter des projectiles sur les forces de l’ordre ou d’essayer de brûler vif des policiers n’est garanti, à ma connaissance, par aucun de ces textes.
Vous me rassurez
Je pensais naïvement que cette consultation valait pour exécution et que le gouvernement y avait posé son véto
Il n’ y a pas du réellement déni de démocratie : ce référendum ne valant guère plus qu’une enquête d’opinion ( 10% de plus la marge d’erreur des sondages).De plus si cette construction faisait partie des promesses électorales d’un candidat à la présidence( je ne sais pas lequel et peu importe) comme il a du assurer une autre partie de l’opinion du contraire il y a moindre mal.
Je suis aussi soulagé que des édiles locaux ne puissent mettent en pâture une faible partie de leur concitoyens pour satisfaire l’opinion du plus grand nombre( Pratique qui commence à fleurir dans les entreprises privées qui mettent au voix , sous prétexte de la survie les baisses de salaires ou l’emploi de certains)
C’est cet aspect des choses d’ailleurs qui me choque le plus dans la pratique de la démocratie. je quitte donc l’évocation de peuples antiques et me ramène à l’hiver 1933 , où en Allemagne une majorité sinon une frange importante de l’électorat a décidé de l’élimination physique d’ une minorité. Je simplifie certes la chose et l’exemple est hors des proportion mais si l’on considère le début et la fin , c’est bien ce qui s’est passé;Et pourtant la République de Weimar a bien été pensée par des juristes qui valaient bien les nôtres et était considérée comme très avancée ( vote des femmes) . Comment expliquez vous ce désastre?
Là où je vous suis pas c’est lorsque vous dîtes que si la consultation avait été nationale, c’est que des gens auraient alors été sensibles au développement économique de la France; il ne s’agira de toutes façons que du développement économique de Nantes et même de la promotion d’un mode de transport : l’avion.
Et par ce fait les habitants des régions voisines , les partisans du rail ou de la route ne seront pas forcément enclins à voter pour.
Ce que je voulais dire c’est qu »une consultation nationale met en jeu des questions plus proches de l’intérêt général:Doit on continuer à transformer nos campagnes en terrain vague, doit on expulser pour, après tout ce qui n’est qu’une opinion, doit on ôter le nécessaire à certains pour que d’autres aient le superflu?
De plus vous semblez croire que l’on ne peut se préoccuper que de problèmes qui nous sont proches. Je peux être alarmé par le sort des baleines , par exemple, bien que je n’en verrai jamais l’ombre d’un fanon;
a contrario j’ai plus de chance de prendre le train à Toulouse pour me rendre en Espagne voire même , qui, sait de voyager par un avion nantais. Et comme la téléportation n’en n’est qu »à des balbutiements infinitésimaux, je prendrai mon mal en patience sans penser à des progrès trop contraignants pour mon environnement.
Là où je vais dans votre sens , quand vous parler de développement économique,c’est lorsque vous suggérez son avatar : la lutte contre ce fléau qu »est le chômage . Je prends évidemment des raccourcis , vous ne l’évoquez pas clairement mais li me semble que cela va sans dire; Et là j’ avoue , d »après les information que j’ai eu sur la situation en Guyane , si l’on me demandait mon avis sur l’ouverture de la montagne d’or, je ne saurais où va mon empathie : vers l’autochtone floué de sa terre et de son mode de vie, ou le démuni se trouvant dans la gène la plus extrême. La démocratie nous oblige à des choix cornéliens.
Vous dîtes en fin de parcours que les agressions , les dégradations et autres violences ne sont pas garanties par la constitution; je dirai même plus elles sont interdites. Et pas assez sanctionnées à mon goût (mais je me fais peut être des idées) Car outre le gâchis , les incapacités les blessures qu »elles suscitent , elles sont contre productives
Et il est du devoir des pouvoirs publics de les juger et par l’intermédiaire des forces de l’ordre de les en empêcher. C’est bien leur rôle il me semble. Et non pas de tuer un infirme sur un pas de porte , vous qui évoquiez l’affaire Malik Oussekine. Ce n’est pas leur rôle non plus de provoquer ou de susciter les désordres.(Mais là j’ai peu être eu affaire à de mauvaises langues).
Quoiqu’il en soit si, par crainte du débordement de ses propres forces de l’ordre, un gouvernent reculait devant l’application d’une loi, nous naviguons aux confins de l’absurde.
Ces violences seules d »ailleurs n »assoient pas la tyrannie d’une quelconque minorité. Sinon , d’après les événements plus ou moins récents, l’islam serait religion d’état, la Corse serait indépendante etc….etc..
Ce qui peut contrer l’exercice du pouvoir , c’est ll »ampleur d’une manifestation .Et là on peut parles peut être de tyrannie sinon de pouvoir d’une minorité Tout dépend de la sympathie qu’elle suscite
Et puis , ma foi, si personne ne peut organiser une contre manifestation ou exercer les autres droits démocratiques……………
1 – Une consultation organisée par les pouvoirs publics a une tout autre valeur qu’un sondage d’opinion effectué par une entreprise privée à la demande d’un parti politique ou d’un journal d’opinion. En outre, ceux qui répondent à une enquête d’opinion savent que leur réponse n’aura aucune conséquence politique. Au contraire ceux qui ont participé à la consultation avaient été informés par le Président de la République que de leur réponse dépendait un choix politique effectif.
2 – Il y a bien eu déni de démocratie puisque la décision de construire l’aéroport avait été prise par des gouvernements légitimes, issus du vote populaire, tandis que les opposants n’avaient reçu aucun mandat électif, avaient été déboutés par tous les tribunaux auxquels ils s’étaient adressés et ont dû leur victoire à une occupation de territoire violant les lois votées par le peuple souverain.
3 – Le développement économique d’une région française concerne évidemment tous les Français. Les chômeurs de la région Occitanie ne sont pas indemnisés par les seuls habitants de cette région. C’est précisément parce que cette solidarité est bien réelle dans les États qu’il y a des Catalans qui ne veulent pas payer pour les Andalous ou des Italiens du Nord qui ne veulent plus financer le sous-développement économique de l’Italie du sud.
Précisément pour cette raison, je suis bien loin de penser « que l’on ne peut se préoccuper que de problèmes qui nous sont proches ».
4 – Je n’ai évoqué l’affaire Malik Oussekine que pour parler du « syndrome Malik Oussekine », c’est-à-dire de la propension qu’ont les gouvernements démocratiques à renoncer à faire appliquer la loi par peur de la « bavure mortelle ». Je n’ai nullement songé à mettre sur le même plan ce malheureux jeune homme, qui ne manifestait même pas, avec des manifestants violents.
5 – La tyrannie des minorités, n’implique pas la prise du pouvoir par lesdites minorités, mais un simple pouvoir de nuisance qui leur permet d’empêcher l’application des lois votées par la majorité.
Au vu de ce que vous m’apprenez et bien que le résultat me satisfasse, je dois admettre qu’il y a bien eu un déni démocratique et que les habitants de Nantes ont bel et bien été escroqués.
Mais l’enseignement ne s’arrête pas là : vous m’aviez dit dans le courrier d’avant qu’une consultation locale ne pouvait avoir de valeur législative ou exécutive. Or de façon informelle par l’effet de sa promesse le prince a quelque peu trahi l’esprit des lois.
Quoiqu’il en soit des gouvernements successifs avaient déjà pris la décision de la construction et comme ils sont tous le fruit du peuple souverain : aéroport il y aurait donc du avoir.
Mais ce n’est pas ce qui me chiffonne et peut être mon premier courrier n’était pas si hors sujet qu’il en avait l’air.
Que ce soit à Notre-Dames-des-Landes , en Alsace, en Guyane en Corrèze et dans d’autres lieux qui s’additionnent, des décisions sont prises ou vont être prises, toujours à quelque échelon que ce soit, par un exécutif issu du vote populaire. Les effets de ces décrets vont tous dans le même sens : une diminution de l’espace rural et ou naturel. Et donc une disparition à terme de ceux qui vivent dessus : il faut être logique et rappeler une fois de plus les faits . La superficie agraire d’un département tous les dix ans et ce ne sont pas des terras incognitas
Or une majorité ne peut tout se permettre et précisément en ce qui concerne la liberté ou l’existence des minorités
En démocratie les saxons ne peuvent décider de la liberté physique des celtes et les aryens de l’existence des juifs bien que ces deux exemples soient des plus extrêmes.
Encore une petite précision. Ce que vous appelez le syndrome Malik Oussekine existe depuis bien longtemps ; au moins depuis le dix décembre 1905. Devant les troubles occasionnés par l’inventaire des biens de l’Eglise , Clémenceau avait lâché une phrase du style « Je ne veux pas gâcher une goutte de sang pour un ciboire » ( Ce qui ne l’ a pas empêché de faire tirer sur vignerons et grévistes de tout poil. Clémenceau est peut être l’inventeur du syndrome Malik Oussekine et de l’ordre républicain à géométrie variable).
Toujours est il qu’il est ubuesque qu’un gouvernement n’applique pas des lois dûment votées par la même puissance qui l’ a mis en place.
Le pouvoir de nuisance des minorités peut amener très loin. Du moins les voies quelles prennent pour court-circuiter ou contourner le chemin des urnes.
Au gré de l’histoire et de mes souvenirs . Honnêtement combien y avait il de républicains en France le premier vendémiare de l’an I ? 2 %? ? 5% ? Quelque fois ce sont les gouvernements qui portent un projet minoritaire. Combien y avait-il d’abolitionnistes( contre la peine de mort) en 1981 ? 35,40% ? Un peu plus tard un défilé a eu raison de la loi Savary.Les gouvernements sont élus sur une liste de propositions dont nous choisissons souvent celles qui constituent le moindre mal
De même la loi de séparation des églises et de l’état va disparaître, grignotée depuis bientôt vingt –trois lustres.
Mais la cause est elle la nuisance des minorités ou ma paresse et celle de tous ceux qui croient qu’une fois le bulletin posé dans l’urne la messe est dite ?
1 – L’expérience de pensée de Spencer sur les Celtes et les Saxons ou l’exemple bien réel des persécutions antisémites ne sont pas de même nature que le cas de Notre Dame des Landes : entre les premiers et le second, il y a une différence de nature et non de degré, comme vous le suggérez en écrivant « bien que ces deux exemples soient des plus extrêmes ». La réduction en esclavage ou l’extermination d’une population humaine en raison de sa race ou de sa nationalité, fût-elle souhaitée par une majorité, ne peut être voulue par l’être raisonnable ou le citoyen en tant que tels parce qu’elles violent les droits fondamentaux de la personne humaine et entrent en contradiction avec des principes de droit naturel inscrits aujourd’hui dans le droit positif. Si par impossible une assemblée devenue folle votait de telles dispositions, elles seraient immanquablement annulées par le conseil constitutionnel (qui n’en demande pas tant pour déclarer des lois inconstitutionnelles). En revanche la réduction d’un espace rural au profit d’un aéroport ou d’un camp militaire porte sans doute atteinte aux intérêts d’un certain nombre de particuliers (tout comme les expropriations rendues nécessaires par la construction d’une autoroute), mais ne violent pas les droits fondamentaux de la personne humaine.
2 – L’exemple de Clemenceau montre le contraire de ce que vous dites en écrivant « le syndrome Malik Oussekine existe depuis bien longtemps ». Clemenceau a réprimé dans le sang des grèves ouvrières (qui n’étaient pas elles-mêmes exemptes de violences : les grévistes avaient saccagé les maisons des non-grévistes) plutôt que de céder, et cela n’a guère porté atteinte à sa popularité. De même, quarante ans plus tard, Jules Moch réprimera lui aussi très durement des grèves (là encore dans un contexte fort peu pacifique : le sabotage d’un train avait fait seize morts) sans craindre les réactions de l’opinion publique. Ce n’est plus du tout imaginable aujourd’hui.
Il est vrai que les deux phénomènes ne sont pas de même nature. Comme vous le dîtes une loi de pur ostracisme n’aurait une espérance de vie que de quelques heures , et d’ailleurs qui l’éditerait ?
Les citadins favorables à un énième épandage de bitume le sont pour des raisons diverses : commodité des transports, hégémonie de leur ville , expansion économique, lutte contre le chômage etc…..
En aucun cas ils ne cherchent à éliminer le plouc qui n’est d’ailleurs pas une entité constitué sur des critères classiques : culturel , linguistique religieux et j’en oublie. Il ya bien une association des maires ruraux qui rue dans les brancards pour d’autres avanies mais rien de réellement palpable. Si le citadin opprime c’est par égocentrisme et ignorance de l’existence de l’autre
Seulement l’effet est le même : la loi valide la disparition de tout un pan de la population et de son environnement ce qui par les temps qui courent ce n’est pas négligeable et aurait tendance à devenir primordial La loi accompagne ce qui est peut être un phénomène démographique irrépressible mais j’attends autre chose de la loi : naïvement qu’elle protège le faible ou le minoritaire, qu’elle éduque.
Je ne citais Cléménceau que pour l’anecdote Il ya peut être eu avant lui des dirigeants qui ont cédé devant l’opinion mais lui l’a fait. Je crois qu’officiellement il craignait pour la vie de ses fonctionnaires et il avait peut être raison car les recenseurs ont bel et bien été pris à parti voire molestés . Et il a bien cédé devant une France de 1905 encore largement catholique et croyante
Il y avait effectivement moins de risque à faire tirer sur des mineurs : la France rurale de l’époque aurait plus difficilement été émue Hélas les majorités changent et ont toujours le même comportement Et comme personne n’est infaillible et qu’il ne l’avait pas intégré, pour les vignerons, il a mal calculé son coup comme en témoigne une chanson qu’on me faisait ânonner sur les bancs de l’école