La dépolitisation des attentats « terroristes » et leur déconnexion d’avec une option religieuse à prendre au sérieux sont les poncifs d’une culture du déni répandue par l’idiotie utile. On aurait affaire simplement à des actes de criminalité relevant du droit commun.
Il semble que la thèse soit aujourd’hui celle du gouvernement Macron.
En effet le porte-parole officiel du gouvernement Christophe Castaner, invité politique de Fabien Namias sur Europe 1 le 5 juin 2017 à 8h37, commentant le récent attentat de Londres expressément revendiqué par l’Etat islamique, a réduit ces actes de guerre à des crimes de droit commun, et cela dans des termes particulièrement nets :
« Cessons de parler d’Etat islamique ; le Califat c’est un État autoproclamé sur un territoire préempté par la force et par le sang. Ces gens trahissent la religion qu’ils prétendent servir ; ce sont tout simplement de vulgaires assassins et des voyous ».
Ces propos sont structurés comme ceux que tenaient naguère les « compagnons de route » au sujet du stalinisme qu’il fallait soigneusement disjoindre du communisme, de peur de décourager (on ne disait pas encore « stigmatiser » à l’époque) les masses laborieuses. Et gare à celui qui s’en inquiétait : il était lui-même un traître, un « chien de garde » – en somme, pour transposer en novlangue, un « communistophobe ».
À écouter (le passage cité est à 6 minutes du début):
Que veut dire « réduire des attentats à des crimes de droit commun » ?
Pourquoi utiliser le mot « réduire » ? Qu’est-ce qui est réduit, en l’occurrence ?
Réduit parce qu’on n’en souligne pas les motivations idéologiques ?
Dans ce cas, c’est impeccable ; c’est exactement ce qu’il faut faire pour que les meurtriers ne puissent pas minimiser leur acte sordide derrière un idéal brandi comme prétexte.
Pas héros, pas de jihadiste, pas de guerrier : juste un meurtrier terroriste. Le crime est irréductible, il reste un crime.
Mais cette inexorable qualification au pénal ne doit pas être mélangée avec la recherche des causes et la lutte contre cette gangrène mondiale, au plan politique comme au plan stratégique. C’est un autre volet qui n’est pas du ressort de la justice.
Je pense que vous avez bien compris en quoi consiste le procédé réducteur dont il est question dans le billet ci-dessus.
La réduction consiste à refuser de voir les motifs politico-religieux sectaires de ces actes, motifs clairement revendiqués et exposés, réitérés depuis plusieurs années. C’est pourquoi j’ai parlé de déni ; je l’ai comparé avec un autre déni car cette structure n’est pas nouvelle.
Vous proposez une étape de plus : non plus de refuser de voir, mais de taire délibérément ces motifs, et de faire de ce mensonge une politique destinée à discréditer les auteurs de ces attentats. Je souligne au contraire dans mon billet que cette omission (qu’elle soit ou non volontaire, qu’elle soit un aveuglement ou un mensonge) peut avoir d’autres finalités et qu’elle a certainement d’autres effets, notamment celui d’entretenir une culture du déni et de l’excuse.
Mais poursuivons sur le procédé que vous suggérez. Ce recel d’information, à supposer qu’il puisse avoir l’effet que vous souhaitez (ce que je ne crois pas) devrait être pratiqué par les responsables politiques. Pour être efficace (je me place toujours dans votre hypothèse, à laquelle je ne souscris pas) il faudrait que ce recel d’information soit étanche, que l’information ne passe pas du tout : il ne s’agit pas de s’aveugler (le menteur ne s’aveugle pas, il sait), mais d’aveugler les autres. On passerait alors de l’injonction optative de M. Castaner (« Cessons de parler de l’Etat islamique » : l’impératif exprime ici un simple souhait) à l’injonction véritablement impérative, à un ordre : « Que plus personne ne parle de cela ! ». Au mensonge, il faudrait donc ajouter la censure. Encore faudrait-il avoir le droit et le pouvoir de l’exercer.
Enfin la qualification politico religieuse ou idéologique de ces actes n’est en rien contradictoire avec leur qualification pénale criminelle. On s’oppose aux criminels avec des peines ; lorsque l’urgence l’impose, comme c’est le cas pour un attentat en cours, on combat ceux qui s’en prennent à la vie et à l’intégrité physique d’autrui par la violence légitime (en d’autres termes on leur tire dessus…). Quant à l’idéologie meurtrière, cette vision sectaire politico-religieuse qui les inspire, il faudrait n’en pas parler, ne pas la combattre, s’interdire de la désigner, la laisser se répandre et inspirer d’autres actes ? Dès 2014, Abdennour Bidar appelait à ce combat idéologique indispensable au sein même de l’islam : je vous renvoie à sa Lettre ouverte au monde musulman. http://www.mezetulle.fr/lettre-ouverte-au-monde-musulman-da-bidar/
N’est-il pas légitime de vouloir dissocier l’idéal communiste (vieux comme ces mythes de tribus où l’essentiel des biens était commun, et dont le christianisme originel est un avatar) de ce que le Stalinisme a prétendu faire en son nom ?
N’est-il pas légitime de vouloir dissocier ce que l’islam puise dans le Coran de ce que l’islamisme prétend en déduire ? Légitime de distinguer l’idéologie fascislamiste qu’une Organisation criminelle comme l’EI prétend déduire du Coran et ce que des musulmans lambda y trouvent ? Légitime de distinguer une pratique religieuse impliquant des gens et leur rapport personnel ou collectif à un dieu auquel on croit et une idéologie totalitaire qui prétend imposer à tous le respect ou l’obéissance à ce dieu (même à ceux qui n’y croiraient pas) ?
Ne devons-nous pas, de toute urgence, éviter qu’un musulman lambda perçoive les légitimes et urgentes critiques du fascislamisme avec une critique de l’islam ? Surtout que ce musulman lambda n’est souvent pas le dernier à dénoncer le fascislamisme dont il est ici ou là la première victime ?
Autant il est légitime et urgent de dénoncer la rhétorique par laquelle le prosélytisme islamiste a inventé le terme d’islamophobie pour prétendre interdire toute critique de l’idéologie islamiste, autant il me semble urgent de mobiliser l’islam contre l’islamisme. Et surtout nos compatriotes, intellectuels et responsables se reconnaissant ou s’exprimant en qualité de musulmans (croyants, pratiquants ou non, mais laïques) pour dénoncer l’islamofascisme, non ?
Bien à vous.
Ce n’est pas à une analyse fine de dissociation critique qu’invitait ici M. Castaner, mais à une exclusion totale de toute causalité politico-religieuse sectaire : c’est pourquoi j’ai parlé de déni et de culture de l’excuse.
Pour l’analyse critique nécessaire au sein même de l’islam, je me permets de vous renvoyer à la Lettre ouverte au monde musulman d’Abdennour Bidar http://www.mezetulle.fr/lettre-ouverte-au-monde-musulman-da-bidar/
Absolument d’accord avec vous, Claustère. Il serait absurde d’imputer à Marx (laissons-lui le bénéfice de croire en ses bonnes intentions …) la catastrophe qui a suivi, à savoir toutes ces années de pouvoir communiste et totalitaire; de même, personne je suppose n’aurait l’idée d’imputer à Jésus (à supposer qu’il ait été à l’origine de la suite) les déviances et dérives du christianisme durant des siècles : là aussi on peut parler de totalitarisme, intolérance, cruauté, mainmise complète sur les esprits …
Sauf que … pour éviter que TOUS les musulmans lambda ne confondent la critique du fascislamisme avec une critique de l’islam, j’aimerais bien que vous me proposiez vos solutions à cet égard ! Car c’est précisément dans ce piège que de nombreux « lambda » (musulmans ou pas) tombent très très souvent. Et si beaucoup y tombent par ignorance, manque de réflexion, etc … d’autres entretiennent cette confusion en sachant parfaitement ce qu’ils font, et s’empressent justement de clamer « islamophobie » !!! Une critique de l’islam, et quelques manipulateurs vous traitent d’islamophobe, raciste, et j’en passe … A vos risques et périls …
Alors oui, il serait urgent de dénoncer ce piège, EN GRAND (certains le font déjà avec ténacité, telle Elisabeth Badinter – et puis qui ?), il serait excellent de mobiliser l’islam contre l’islamisme, comme vous dites, je ne demande que cela – eh bien, comment s’y prendre, que proposez-vous ?
J’ajoute qu’ayant lu un peu tous les autres commentaires avant d’écrire le mien, je me contenterai seulement de remercier François Braize pour ses deux mises au point des 11 et 12 juin, j’approuve tout à fait ! Et dans votre avis daté du 12 juin à 10h58, Catherine, pour faire simple il me semble que vous pensez : M. Castaner est tombé à pieds joints dans le mantra « padamalgam » !, et a peut-être craint de mettre la « religion » islam en cause, au risque d’être taxé d’ « islamophobe » …
J’espère que dans les prochains mois nous en saurons un peu plus, sur les visions et projets du nouveau gouvernement, vis-à-vis de l’islam et surtout de la laïcité, sur les liens de M. Macron avec l’UOIF (puis-je ajouter LOL ?), enfin sur tous ces sujets sérieux et importants, pour lesquels aucune échappatoire n’est envisageable … et sur lesquels, pour le moment, nous avons peu d’échos …
La télépathie fonctionne vraiment bien, sur Mezetulle : j’ai lu la lettre d’Abdennour Bidar, ai commencé « La France soumise », de G. Bensoussan, et « Mes indépendances » de K. Daoud attend patiemment sur son étagère …
Le propos du porte-parole du gouvernement est scandaleux pour deux raisons supplémentaires.
D’une part, le responsable d’un Etat laïc n’a pas compétence pour décider de la fidélité ou de la trahison envers une certaine religion. D’autre part, toutes les religions, l’islam inclus, reconnaissent les « vulgaires assassins » et les « voyous » comme d’éventuels fidèles authentiques.
Ce mélange d’arrogance (l’Etat sait distinguer entre la « vraie » religion et la fausse) et de moralisme (les voyous sont par principe hors de la religion) augure assez mal de la « Révolution » macronienne.
Ce que vous ècrivez est sidèrant : les terroristes qui se font exploser à Manchester au milieu d’adolescents sont donc de vrais musulmans, respectant ainsi leur religion. Cela sous entend que les bons musulmans devraient aussi massacrer les non musulmans. Et vous reprochez au porte parole du gouvernement de refuser cet amalgame ?
Ce qu’a dit Christophe Castaner avec raison c’est qu’un assassin reste un assassin quel que soit le motif idéologique qu’il invoque. Sinon on justifie peu à peu tous les terrorismes et cet article va dans crtte voie absurde.
Le commentateur semble ne pas avoir lu l’article de près, ni les échanges ci-dessus notamment avec « Yves Carl » et « Claustaire » qui abordent avec précision les deux points qu’il soulève. Il ne s’est pas soucié de s’informer davantage, par exemple en allant lire la Lettre ouverte au monde musulman d’Abdennour Bidar citée dans les réponses ci-dessus. On pourrait, dans le même ordre d’idées, lui conseiller la lecture de très nombreux textes émanant d’analystes et d’écrivains de culture musulmane – par exemple, dans des registres très différents, Kamel Daoud et Mohamed Sifaoui.
En outre, en s’autorisant de deux paralogismes (1° dire que l’islam est concerné ce serait soutenir qu’un « bon » musulman est terroriste ; 2° souligner que ces attentats ont des motifs religieux idéologiques sectaires serait nier leur qualification criminelle), il parvient à faire dire à l’article le contraire de ce qu’il dit !
J’ai seulement dénié au porte-parole d’un gouvernement laïque le droit de décréter ce que serait ou non la « vraie » religion islamique, et celui d’affirmer qu’il existe une incompatibilité de nature entre la religion et le meurtre. Ce n’est tout simplement pas son boulot.
Si Bertrand a des certitudes sur ces deux points, libre à lui. Un minimum de culture historique aurait pu lui apprendre que tuer au nom de Dieu fait, à certains moments, partie intégrante des « vraies » religions, et qu’une religion, comme le catholicisme, qui fabrique des saints, en a proposé maints exemples (sans compter que l’Eglise catholique n’a jamais craint de canoniser de grands pécheurs). Enfin, Bertrand devrait lire les reportages de David Thompson sur les jihadistes, afin de comprendre en quoi consiste leur conversion : elle ne correspond pas à l’idée que Bertrand s’en fait, mais les pentecôtistes chrétiens, par exemple, n’auraient aucun mal à la reconnaître.
Autant je souscris totalement à votre propos, autant je reste sidérée par votre manière de présenter comme hypothétique, voire, surprenante (« il semblerait que… soit… ») une position au contraire parfaitement attendue de la part de ce gouvernement.
Vous m’avez récemment opposé une fin de non-recevoir, alors que je pointais l’indécence, sur le fond, d’un rapprochement formel que vous établissiez entre ceux qui réfutent une différence de qualité (pour aller vite) entre Macron et Le Pen, et entre des islamistes terroristes et de simples meurtriers (cf. votre billet sur le choix de mettre un buletin Macron dans l’urne). Le lien que j’avais alors cité mettait pourtant en évidence les liens entre Macron et l’UOIF. Ce texte public et lisible par tous, vous l’avez gratifié d’un silence éloquent.
Ma question est donc de savoir si, parlant d’ « idiots utiles », vous vous incluez, ayant voté pour Macron, dans cette catégorie. Si ce n’est pas encore le cas, j’attends de voir l’état des libertés individuelles, que vous défendez, une fois les islamistes macroniens au pouvoir, et de savoir si, après coup, vous estimerez justifiée la défiance que vous aurez naguère exprimée pour Mme le Pen.
L’ironie du sort veut qu’en évoquant les communistes, votre rapprochement ne fasse immanquablement penser à nombre d’entre eux qui, pour s’amender des crimes du stalinisme, déclaraient qu’ils « ne savaient pas ». Votre position est, aujourd’hui, identique.
Ce commentaire se réfère à un échange qu’on pourra trouver ici :
http://www.mezetulle.fr/oser-betement-bulletin-macron-tenaille-chantage/#comment-6651
et ma réponse:
http://www.mezetulle.fr/oser-betement-bulletin-macron-tenaille-chantage/#comment-6656
Les lecteurs seront éclairés en allant lire cet échange et pourront juger à partir de là du bien-fondé du présent commentaire. Le moins que je puisse dire est que la commentatrice, vu son interprétation de « Il semble que… » n’est guère sensible aux subtilités de l’écriture… !
Je me contente d’ajouter, au sujet de la fin du commentaire, que jusqu’à plus ample informé et à moins que cela m’ait échappé, le gvt Macron n’a pas commis de crime contre l’humanité, n’a appelé au meurtre de personne, n’a pas ordonné arrestations arbitraires, ni procédé à des déportations massives, etc.
Alors là oui, encore une fois, total soutien à Mezetulle sur cette question qui m’avait échappé.
La rhétorique de certains des commentateurs qui essaient à tout crin de justifier la position de Castaner est effrayante.
J’invite tout ce beau monde à lire d’urgence, entre autres, l’interview de Rushdie dans l’Obs de cette semaine et le bouquin de Bensoussan « La France soumise » préfacé par E Badinter.
Cécité quand tu les tiens ! Les islamistes peuvent se frotter les mains, la bêtise dans « nos » rangs est sans limite !
Comme la situation s’aggrave du côté des commentaires depuis que j’ai effectué celui ci-dessus, je remplace dans mon commentaire précédent à la deuxième phrase le mot « certains » par les mots « la plupart » et après le mot « rhétorique » j’ajoute évidemment le mot « idiote » !
Si Mezetulle m’y autorise…
Bien chère Catherine,
Nous sommes presque toujours d’accord et c’est en ami que je t’écris ce bref billet. Pour une fois, je suis en désaccord sur un point de ton texte. Ton analogie avec ceux qui ont voulu distinguer le communisme marxiste de son abjecte caricature stalinienne est à mes yeux illégitime. Je fais partie de ces personnes. Il me semble juste de faire cette distinction critique, et je m’en suis longuement expliqué dans mon avant-dernier livre intitulé « Marx quand même » (Plon, 2014). Les premières victimes de la dérive stalinienne furent des communistes. Rien, dans l’ensemble du corpus de Marx ne permet de justifier par anticipation le goulag stalinien et tant d’autres crimes. Marx est à mes yeux un penseur d’une actualité inouie, qu’il convient de dégager de la gangue des amalgames souvent intéressés entre communisme et stalinisme.
En revanche, en tant que penseur de la laïcité, je ne peux que te rejoindre lorsque tu refuses que l’on masque la causalité religieuse de certains crimes terroriste. Simplement, il est clair qu’il y a plusieurs lectures des textes religieux, et que le fanatisme islamiste en est une. La dénoncer, ce n’est donc pas du tout dénoncer tous les musulmans, pas plus que dénoncer les bûchers de l’Inquisition n’est dénoncer touts les chrétiens.
Amitiés
Henri
Cher Henri,
Quel plaisir de te voir intervenir sur Mezetulle !
1° Dans le billet ci-dessus, mon propos évoque ceux qui ont distingué (je reprends tes termes) « le communisme marxiste de son abjecte caricature stalinienne » mais il faut ajouter : à des fins d’excuse et de déni.
Si l’analogie que tu dénonces était valide, elle impliquerait la proposition « le djihadisme islamiste est à l’islam ce que le stalinisme est au communisme marxiste » – proposition qui, à supposer qu’elle ait une part de vérité (ce que je ne pense pas), serait théoriquement grossière et ne s’appliquerait pas au détail des phénomènes. Or j’ai parlé non d’une analogie entre deux doctrines ni d’une analogie entre deux distinctions conceptuelles, mais d’une identité de structure entre deux attitudes morales et politiques qui en appellent à ces doctrines et à ces distinctions. Cette identité de structure est celle du « compagnonnage de route » et de la culture de l’excuse et du déni (clairement désignée dans le billet). Autrement dit : avancer aujourd’hui la distinction entre djihadisme islamiste et islam à des fins de déni et d’excuse ou même de diversion, c’est structurer ses propos et son attitude de la même manière que le faisaient naguère les compagnons de route qui faisaient appel au marxisme communiste afin d’évacuer les crimes commis en son nom.
On peut prendre un corpus théorique au sérieux, en étudier la grandeur (et s’agissant de Marx et de quelques autres grands classiques, on le doit!), on peut (et on doit) énoncer et étudier les distinctions conceptuelles qui s’imposent sans pour autant instrumentaliser cette prise au sérieux et ces distinctions pour les asservir à des fins politiques qui non seulement sont moralement basses mais qui brouillent tout travail conceptuel de distinction : car la justification reflue alors sur la distinction dont elle prétend s’autoriser, la recouvre et disqualifie en retour tout travail de distinction critique.
2° Tu dis : « rien dans le corpus marxiste ne permet de justifier par anticipation les dispositifs staliniens ». Idem, s’il s’agit de justifier . Cette justification a été largement pratiquée, cela ne la rend pas vraie (c’est le point précédent), mais sa réalité, sa longévité et son efficacité furent redoutables, car elle s’appuyait sur un levier culpabilisant très fort. On nous repasse le film aujourd’hui, la structure du scénario n’a pas varié.
3° Le corpus marxiste. Nous l’avons étudié tous deux, toi assurément plus que moi. Il se trouve que j’ai appris à lire Marx dans Althusser, au même moment où je lisais Saussure, Benveniste, Lévi-Strauss, Koyré… après avoir lu Bachelard. Loin d’en sortir mutilée, j’en suis sortie intellectuellement armée. L’aveu ne me coûte pas : je suis indécrottablement structuraliste (ou, pour être plus précise, galiléo-structuraliste et bachelardienne) et je l’ai été dans toute mon activité de chercheur ! Ma Poétique de l’opéra français de Corneille à Rousseau repose en grande partie sur des thèses structuralistes et expose une morphologie structurale. De même pour mon Penser la laïcité : j’en revendique le structuralisme. Et si j’ai considéré John Locke comme l’un des premiers penseurs de la laïcité précisément parce qu‘il exclut les athées de l’association politique, c’est parce que, en énonçant les motifs de cette exclusion, il a posé à mes yeux une question philosophique structurante, celle de la nature du lien fondant l’association politique, désignant ainsi un champ sans lequel le concept de laïcité n’aurait pas pu être philosophiquement construit. Une démarche structurale associe des phénomènes apparemment disjoints ou dissemblables, symétriquement elle dissocie des phénomènes apparemment conjoints ou semblables selon qu’ils relèvent d’un même mécanisme d’intelligibilité ou qu’ils supposent des intelligibilités différentes.
Pour revenir à la question d’un corpus théorique, ma position n’a rien d’original. Je pense qu’un champ théorique se construit par ruptures et coupures et qu’il « redistribue les cartes » de l’intelligibilité jusque-là admise, produisant une sorte d' »effet-cliquet ». Il surgit par une ou des ruptures, il explique les phénomènes en faisant voler en éclats les explications qui l’ont précédé. Mais, lorsqu’il est ample et consistant, il est lui-même au cours de son développement traversé par des coupures.
S’agissant de l’histoire de la philosophie, je pense qu’un corpus théorique aussi considérable que l’œuvre de Marx a entièrement « redistribué les cartes » du champ de l’économie politique de sorte qu’on ne peut pas raisonner après comme avant. Mais, pris en lui-même, il est également et notamment intelligible (j’ajoute notamment car un outil est d’autant plus fécond que sa portée est précise et donc limitée) à la lumière de coupures épistémologiques. Pour faire vite, je ne mets pas sur le même plan et je n’accorde pas la même puissance théorique au Capital et aux Luttes de classes en France. Pour prendre un exemple je pense que autant la construction du concept de plus-value a une portée universelle et produit un « effet-cliquet » qu’on ne peut négliger (impossible de penser dans ce domaine après cette découverte comme on pensait avant), autant la théorie politique des phases du socialisme, avec domination de la classe ouvrière, ainsi que la philosophie de l’histoire qu’elle suppose sont peu fondées – je pense qu’on peut s’en passer, que aucun « effet-cliquet » ne peut leur être attribué, et je préfère m’en passer (ce qui ne signifie pas que je m’interdis de les étudier).
Je considère la pensée de Marx comme ce qu’on a produit de plus puissant pour comprendre l’économie et tout le fondement matériel des productions humaines. En revanche s’agissant de la théorie politique, je considère que la pensée classique et celle des Lumières sont plus puissantes et décisives.
Ceci conduit à une discussion qui excède largement la portée du petit billet d’humeur ci-dessus et que nous aurons l’occasion de mener et de prolonger en d’autres lieux – en toute amitié, comme toujours !
J’invite dès maintenant les lecteurs de Mezetulle à assister à la conférence que Henri-Pena Ruiz donnera devant la Société française de philosophie le samedi 26 mai 2018.
Echanges très intéressants entre vous mais au delà du débat sur l’excuse ou le déni de la barbarie de certaines idéologies religieuses ou civiles, il me semble me souvenir qu’un des axiomes de la doctrine marxiste reposait sur la dictature du prolétariat. Non ? Comment peut on encore essayer d’oublier, voire de disculper, un tel axiome au motif d’une théorie qui serait pure et mise en oeuvre par des méchants ? Vous n’avez pas l’impression qu’on a déjà suffisamment donné là-dessus ?
Bien cordialement
Monsieur Castaner ignore probablement tout de l’islam et des textes fondateurs du CORAN.
Ce livre veut convaincre ses adeptes que la voie de l’islam est la seule voie possible. Que le croyant d’une autre religion est sur le mauvais chemin que le mécréant est à combattre….
La Coran tout comme la Bible est porteur de violence.
Sourate 4 V 89
Ils aimeraient que vous abjuriez comme ils ont abjuré de façon à être semblables à eux. Ne prenez parmi eux comme compagnons que ceux qui se sont déjà en mis en route vers le Seigneur. S’ils font marche arrière, saisissez-vous d’eux ou qu’ils soient et tuez-les. Ne prenez parmi eux ni protecteur ni aide.
V91
A l’inverse il y a des gens qui désirent la paix et la sécurité pour vous autant que pour leur peuple, mais qui , à chaque occasion revienne en masse à la sédition. Si d’aventure ils ne s’éloignent pas du conflit, ou s’ils ne s’en remettent pas à vous et ne cessent de se battre, appréhendez-les, et tuez-les où que vous les trouviez. Allah vous donne sur eux une autorité pleine et entière.
On pourrait aussi passer au peigne fin l’Ancien testament et trouver pas mal de déclarations belliqueuses ou violentes. La question de savoir si un texte de cette nature est ou non intrinsèquement violent ne peut pas s’apprécier uniquement par une lecture de premier niveau : il s’agit de savoir si une exégèse existe, et quelles sont les conditions qui rendent l’interprétation possible.
Je vous recommande, sur ce sujet, l’article d’André Perrin Religion et violence : la question de l’interprétation
Mezetulle étoffera prochainement ce dossier sur les rapports entre religion et violence.
L’article d’André Perrin propose d’utiles distinctions sur les statuts respectifs de la Bible et du Coran, et sur les différentes écoles d’interprétation des textes sacrés dans le judéo-christianisme et l’islam. Reste que ces interprétations sont, à chaque fois, portées par des agents humains singuliers, et que nous avons surtout affaire, aujourd’hui en Europe, à celles des djihadistes.
La question est alors de savoir pourquoi l’interprétation dominante et pleinement orthodoxe des « versets belliqueux » du Coran peut conduire les frères Kouachi à commettre un massacre, tandis que l’immense majorité des musulmans orthodoxes n’estiment pas devoir s’y livrer ou même, l’a en horreur.
Notre nouveau ministre de l’Education est prié d’y réfléchir avant de nous assener ses convictions.
Cette discussion est fort intéressante…. Ayant assisté à de nombreuses conférences sur le thème de l’interprétation possible, l’adaptation envisageable des propos violents des textes sacrés et ils sont nombreux dans les sources bibliques et coraniques, je me demande toujours comment interpréter un ordre qui dit : « Tuez-les ! »…. Comment tourner autour et surtout pourquoi tourner autour ? Faut-il tourner autour ? Ne faudrait-il pas au contraire condamner purement et simplement plutôt que vouloir donner un autre sens à cela, quand manifestement ce n’est pas possible….
En se détachant des lois religieuses l’humanité a beaucoup évolué dans ses propres lois et en bien… Les principes de 1948 sont une réelle et belle avancée… Si loin de la loi du Talion…. N’est-ce pas cela qu’il faut aujourd’hui privilégier. Ne faut-il pas abandonner les lois religieuses ordonnant l’obéissance à des lois dites divines conçues à une époque où l’esclavage et ma misogynie étaient la base du fonctionnement de ces sociétés… Donc la création du dieu « seul et unique » de cette époque ne pouvait qu’être le reflet du fonctionnement de ces sociétés -là. La volonté divine est blessante pour ceux qui n’acceptent pas de rester dans les clous des lois du grand croque mitaine ! » Tuez-les tous Dieux reconnaitra les siens! »
Les musulmans ne sont pas dans leur grande majorité des djihadistes et des terroristes. Beaucoup ignorent la violence contenue dans les textes sacrés, beaucoup la condamnent… mais cette violence existe et peut être exploitée….
J’aime beaucoup, chère Madame Kintzler, les propos de Voltaire que vous avez mis en évidence sur votre blog : « Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ? »
Les peuples ne doivent-ils pas se libérer de tout cela ? Comment les y aider ?
Une des principales avancées des systèmes politiques modernes (dits « sécularisés ») est effectivement de dissocier loi civile et loi religieuse et de donner la priorité à celle-là sur celle-ci. La laïcité va plus loin en évacuant toute référence religieuse, y compris dans sa forme, du fondement de l’association politique – ce qui lui permet d’accueillir toutes les croyances et incroyances dans le cadre du droit commun. Cette avancée n’est pas définitive et on voit bien aujourd’hui que si les citoyens ne la soutiennent pas activement, elle peut être récusée et disparaître comme on le voit par exemple en Turquie.
L’avancée que représente la laïcité est aussi une chance pour les religions elles-mêmes, car elle leur offre la possibilité de se débarrasser de la prétention de chacune d’entre elles à l’hégémonie. Un musulman aussi convaincu que Omero Marongiu-Perria s’appuie sur l’idée laïque pour « Rouvrir les portes de l’islam » : c’est le titre de son dernier livre (2017, Atlande), très important. L’auteur y met en évidence la convergence des autorités musulmanes de toutes obédiences avec les prescriptions de Daesh, notamment en matière d’esclavage. Selon O. M.-P., le problème n’est pas le Coran, ni Daesh, mais le paradigme hégémonique qui s’est développé depuis l’islam impérial et maintenu jusqu’à ce jour.