La Région Île-de-France a décidé de supprimer l’Association régionale d’information et d’actions musicales (ARIAM). Dania Tchalik tire ici quelques leçons d’un naufrage provoqué en partie par ses victimes mêmes.
Ce vendredi 13 janvier 2017 -faut-il y voir un trait d’humour noir ? – la Région Île-de-France désormais dirigée par l’opposition de droite a décidé de supprimer l’Association régionale d’information et d’actions musicales, bien connue sous le sigle ARIAM. Cet organisme proposait au niveau régional la formation continue pour les professionnels des conservatoires, le prêt d’instruments, notamment en musique contemporaine, des informations à caractère professionnel et la consultation d’ouvrages musicaux. Pour autant, faut-il être « dévasté » par la nouvelle et y voir « le début d’une nouvelle erre [sic]…aride » ou le signe d’une « perte de lien social et de racines », sans parler d’une « montée des extrémismes » ou de « se retrouvé [sic] sous Vichy », selon les mots de quelques signataires d’une pétition1 qui circule actuellement dans le milieu culturel ?
Pour en comprendre les raisons, un retour en arrière s’impose. Créée en 1975, soit dans la foulée du plan Landowski que nos politiques et gestionnaires s’entêtent à détruire, l’ARIAM a proposé des années durant un catalogue riche et apprécié de formations disciplinaires dirigées par des spécialistes de renom, notamment dans le domaine de la voix. Néanmoins, depuis une bonne dizaine d’années et suivant les consignes de la majorité précédente dont l’exécution ne pouvait qu’être facilitée par la présence d’un conseiller régional à la présidence de l’association (!), une inflexion politique sensible a été menée dans le sens d’une « politique culturelle ouverte et responsable » prônant « l’importance d’une démocratisation culturelle comme ferment d’une vie citoyenne apaisée » (sic), ce qui n’a pas été sans effet sur le profil des formations proposées. La consultation du catalogue 20162 est éclairante à cet égard : les sujets proposés (TICE, improvisation libre non idiomatique, musiques actuelles, pédagogie de groupe et de projet, sans oublier des thématiques aussi actuelles que le projet d’établissement ou l’inclusion du handicap, etc.) appartiennent majoritairement à la niche du progressisme pédagogique et managérial qui sévit dans les conservatoires et à l’Éducation nationale, sans oublier les couloirs de la rue de Solférino. On est bien loin des préoccupations quotidiennes de la majorité de professeurs de conservatoire qui exercent, en bons réactionnaires, dans le domaine de ce qu’il est convenu d’appeler la musique savante occidentale.
Toujours selon un signataire de la pétition, ce « lieu de formation alternatif » se définissait, loin du « c’était mieux avant » et du « conservatoire à l’ancienne », comme un levier de « diversité des pratiques » et « d’innovation » et militait contre « l’idée selon laquelle un professeur de musique n’a pas à être formé » et que « l’excellence c’est juste le talent d’être instrumentiste ». Mieux, selon Jean-Claire Vançon, conseiller artistique de l’Ariam, cette dernière « travaill[ait] aux côtés des acteurs de l’enseignement et de l’éducation artistique et culturelle, pour accompagner l’évolution de leurs pratiques en lien avec celles des politiques culturelles locales3 ». Benoît Schlosberg, directeur du CRD [Conservatoire à rayonnement départemental] d’Issy-les-Moulineaux, est plus explicite encore lorsqu’il précise que « pour répondre aux defits [sic] d’aujourd’hui et de demain », il est nécessaire d’« abonder la réflexion pédagogique et artistique » [sic] afin de « répondre aussi aux exigences induites des contraintes budgétaires… »4. Autrement dit, l’Ariam a fini par être emportée par la vague sur laquelle elle surfait allègrement : il n’existe qu’une différence de degré et non de nature entre la politique (faussement) de gauche consistant à subvertir5 de l’intérieur l’enseignement artistique spécialisé et à réaliser des économies « en douceur » en accompagnant la déqualification générale des professeurs comme l’amateurisme des élèves, et la politique (vraiment) de droite qui n’y va pas par quatre chemins en se contentant de couper purement et simplement des lignes budgétaires. Bref, en souscrivant avec enthousiasme à la soumission aux territoires et aux desiderata de leurs élus et en se faisant instrumentaliser par leur tutelle politique jusqu’à faire corps avec son idéologie dominante, le gauchisme culturel, les responsables de l’Ariam ont joué et marqué contre leur camp ! Il est donc plus que piquant de les voir revendiquer une « neutralité » après avoir activement promu l’imposture de l’Éducation artistique et culturelle6 et la contre-réforme des rythmes scolaires7, et ouvert grand leurs portes à Sprogis et Aguila, deux formateurs bien connus par leur « apolitisme ». Et il n’est pas moins curieux de les voir dénoncer l’autoritarisme de la droite francilienne lorsqu’on sait que certains de leurs amis directeurs, tout à leur zèle pédagogique, imposaient à leur ressource enseignante la présence obligatoire à des « formations »8 à l’intérêt pour le moins douteux.
Il convient de tirer au moins trois leçons d’un naufrage provoqué en partie par ses victimes mêmes. D’abord, s’il est heureux de voir la formation de formateurs et la gabegie socialiste s’arrêter (la remarque vaut aussi dans le cas de la suppression des bourses de l’Institut Émilie du Châtelet, fief du militantisme néo-féministe et à ce titre impropre à recevoir des financements publics), la méthode est condamnable par sa brutalité (on pense aux salariés laissés sur le carreau, bien qu’on ne doute pas que les mieux placés d’entre eux ne manqueront pas de rebondir dans la technostructure) et l’on connaît déjà l’identité de la cible suivante : les conservatoires eux-mêmes. Ne nous faisons pas d’illusion sur le programme d’une droite gestionnaire obtuse et velléitaire pour laquelle tous les cultureux sont des glandeurs gauchistes en puissance. Ensuite, pour assurer la pérennité nécessaire de la formation continue dans le domaine artistique, il convient de la soustraire du champ d’intervention des politiques locaux en l’intégrant à l’État (la remarque vaut du reste pour les conservatoires eux-mêmes). Mais pour que cette mesure soit opérante et pour que la pédagogie ne soit plus jamais victime d’arbitrages assurément gestionnaires et bien davantage politiques, il faut à tout prix la libérer de l’idéologie des politiciens comme du carriérisme des experts. La survie de l’enseignement artistique spécialisé tout entier est à ce prix.
Notes
1 – Voir : https://www.change.org/p/madame-agn%C3%A8s-evren-pour-le-maintien-de-l-ariam-ile-de-france. Voir les commentaires en ligne accompagnant les signatures.
2 – Voir : http://www.ariam-idf.com/
3 – Extrait d’une lettre adressée sur la liste de diffusion Musisorbonne le 14 janvier 2017. Une idée étonnamment proche des propos de la formatrice et consultante Lydie Grondin, pour laquelle l’Ariam avait vocation à « accompagner les mutations des pratiques professionnelles des personnels de l’enseignement artistique » (commentaire de la pétition mentionnée plus haut). On ne saurait trouver meilleure définition de la « neutralité » d’un système pervers où une façade « scientifique » sert de caution au clanisme et à la soumission aux aléas de la politique, dont cet organisme était devenu à la fois le porte-parole et l’esclave.
4 – Voir note 1.
5 – Lire : http://www.mezetulle.net/article-l-enseignement-de-la-musique-et-la-subversion-de-l-ecole-par-d-tchalik-110568577.html
© Dania Tchalik et Mezetulle, 2017.
Un seul mot : merci.
Tout est dit dans le texte.
Plutôt éloigné des milieux artistiques, je ne comprends pas bien tout ce qui est dit dans ce texte, mais il me semble percevoir une attaque politique au sens partisan du terme. Or, s’il est un domaine éminemment politique au sens large, c’est bien la Culture. On ne peut reprocher à des femmes et hommes politiques d’oeuvrer pour la culture en fonction de leur sensibilité et de leur conception de ladite culture et l’ion voit bien là que pour certain(e)s cette conception conduit à une attitude brutale tenant peu co^mpte des aspects humains (travailleur(e)s.
Dans une démocratie républicaine, l’Ecole en général et la formation (initiale, supérieure ou continue) des musiciens en particulier se doit d’être mise à l’abri des appétits du pouvoir politique par ses propres représentants. On peut donc précisément reprocher à des politiques « d’oeuvrer pour la culture en fonction d’une sensibilité et d’une conception particulière » : en termes plus crus, d’imposer une doctrine officielle. Un Jdanov n’avait pas agi autrement en son temps…
Quant à l’attitude brutale dont vous faites état à juste titre, elle s’explique non pas par une « conception particulière de la culture » mais par la conjonction d’une indifférence profonde à l’égard de celle-ci et d’une volonté politique de la majorité actuelle de « marquer son territoire ». Si ses prédécesseurs n’avaient pas entrepris de politiser à outrance leur action culturelle, on n’en serait sans doute pas arrivé là.
En somme, on pourrait résumer votre position en un seul mot : vous êtes fermée (ou bouchée, puisqu’on parle de musique et d’instruments) contre des gens plus ouverts. Moi je veux bien qu’on critique les excès du pédagogisme, il y a effectivement à boire et à manger dans certaines élucubrations, mais fermer ce n’est pas débattre ou critiquer. Fermer c’est idéologique.
Quant à vos élucubrations sur l’Institut Emilie du Chatelet… elle n’ont rien à faire ici. Il semble a priori que vous ne connaissiez rien au sujet. Cet Institut est reconnu et permet de faciliter des bourses d’études sur un sujet où la France a déjà 30 ans de retard en matière de droits des femmes, et grâce à des gens comme vous, c’est bien parti pour empirer.
Les gentils « ouverts » contre les méchants « fermés », les « pragmatiques » contre les « idéologues : voilà une argumentation qui a au moins le mérite de la simplicité. Être « ouvert », c’est voir l’autre vous asséner sa fermeture, avant de tendre l’autre joue. Un organisme public de formation promeut une pédagogie officielle ? Une preuve d’ouverture et de pragmatisme, qu’on vous dit !
Quant à la cause de la condition féminine, il n’est pas certain qu’elle se confonde avec celle des gender studies. J’aimerais beaucoup connaître ces pays modèles sur lesquels la France a accumulé tant de retard. Serait-ce le fameux modèle allemand où les femmes sont nombreuses à être mères au foyer ? La Pologne où l’on tente d’interdire l’avortement, la Russie où l’on dépénalise les violences domestiques ? Ou bien notre alliée l’Arabie Saoudite où la moitié de la population est composée de fantômes ? Mais ces exemples sont bien lointains et pour les promoteurs du sociétal, des sujets comme la parité ou la féminisation des noms de métiers paraissent autrement plus sérieux…
je relis cet article qui date de seulement un an en arrière et… je me dis que la fermeture de l’ARIAM est une chose, mais que celle des petits conservatoires est en train de suivre… Je connais une structure où, pour éviter de continuer à ressembler trop à un conservatoire « boîte de conserve », on demande aux enseignants « d’évoluer dans leurs pratiques en inventant le métier de demain, car la profession est en pleine mutation ». On retrouve tout ce qu’il faut pour faire plaisir aux élus non mélomanes voire même sans culture : pédagogie de groupe, vaste département de musiques actuelles, abolition de la formation musicale et j’en passe… et pour cela « il faut beaucoup de réunions », c’est la dame cité au renvoi n°3 de votre article qui le dit, et que celles-ci seront organisées pendant les vacances scolaires en remplacement des heures de cours non faites puisque les élèves sont en vacances… oui, oui, tout est en mutation… même le droit de respirer, de penser par soi-même, de s’organiser pour trouver un équilibre entre travail d’équipe constructif et travail personnel ciblé… on se demande si un enseignant a encore le droit de réfléchir?
Dania Tchalik :
Merci de votre commentaire qui confirme, si besoin, l’avancée du « changement » que nous dénonçons ici depuis des années.
Ironie de l’histoire, l’Ariam a été victime de la dérive qu’elle a elle-même propagée, au mépris de ses missions premières. Mais il n’y a pas à s’inquiéter pour ses responsables : certains n’ont pas tardé à se « recaser », et de quelle manière.
Vous soulignez à juste titre que la vague d’économies, plus ou moins maquillée en « pédagogie », ne se limite pas à l’Ariam. On la retrouve aussi dans les conservatoires, les petits étant bien évidemment en première ligne, mais les grands sont loin d’être préservés. La dame que vous évoquez n’agit pas seule et ses « conseils » et autres « audit » trouvent un public déférent dans le milieu. Mais ces « évolutions », souvent (mais de moins en moins) insidieuses, se retrouvent aussi à l’Education nationale, dans l’hôpital public ou certaines entreprises : le cas de l’ancienne France Télécom est désormais bien connu.
Cela dit, ne faut-il pas se tourner vers l’étymologie pour mieux saisir la définition du terme « management », que les Anglo-Saxons ont emprunté à l’italien ancien maneggiare : mener un cheval par la bride ? De main à manier (un animal !), puis à manipuler, il n’y a qu’un pas que d’aucuns n’hésitent pas à franchir (exemple : http://www.mezetulle.fr/enseigner-cest-manager/), le plus souvent dans un silence assourdissant quand ce n’est pas dans l’approbation générale.