Le 1er mai 2018, lors du rassemblement pour la République et la laïcité au Père Lachaise en hommage aux martyrs de la Commune de Paris, Philippe Foussier (alors Grand maître du Grand Orient de France1) a prononcé une Adresse au président de la République où il l’interpelle fermement au sujet de la laïcité, régulièrement et directement mise en cause dans nombre d’interventions officielles. En voici quelques extraits – l’intégralité du discours est publiée par le numéro 320 de la revue Humanisme et téléchargeable sur le site du Grand Orient.
« La séparation du spirituel et du temporel est la pierre de touche de notre humanisme. Cette liberté précieuse a été chèrement conquise. Elle est aujourd’hui à nouveau contestée. Si nous ne voulons pas, demain, en être privés, il est urgent d’en réaffirmer le principe. […]
« L’électoralisme et le clientélisme ne font pas bon ménage avec les principes républicains. La tentation concordataire est grande, qui consisterait à étendre le système en vigueur en Alsace-Moselle, héritier du concordat napoléonien. À ce stade, nous l’avons dit2, c’est l’esprit de la loi de 1905 qui est bousculé par le contenu de votre discours. Mais il doit nous placer en alerte pour éviter que ce soit la lettre qui soit désormais dans l’agenda politique. La vigilance s’impose, que nous allons exercer, avec d’autres. Je me permettrai une modeste recommandation : il ne faut pas sous-estimer l’attachement de nos concitoyens à la laïcité, bien au-delà des obédiences maçonniques. Y compris chez les croyants et les pratiquants !
« Ils savent combien cette laïcité est la clef de voûte de nos institutions et la garante de la liberté absolue de conscience comme de l’harmonie sociale. Comme au temps du concordat napoléonien, la confusion entre le temporel et le spirituel devient une règle, sa séparation l’exception.
« Monsieur le président, cette neutralité qu’on exige des fonctionnaires, il faut qu’elle retrouve du sens au plus haut niveau de l’État. Comment peut-on sans risque pour la paix civile inviter les courants religieux à se transformer en force politique ? La leçon de 2013 avec les affrontements lors du débat sur le mariage pour tous n’a-t-elle donc pas servi ? La société française est assez fragmentée pour ne pas en rajouter en encourageant l’intervention de ceux qui assènent des positions péremptoires et dogmatiques sur tant de sujets. Les exemples de l’église catholique mobilisée contre la République à la fin du XIXe siècle ou de l’islam politique aujourd’hui ne constituent-ils pas au contraire des démonstrations des risques d’un tel encouragement ? La cohésion nationale, déjà fragile, n’a pas besoin de ça.
[Philippe Foussier énumère ensuite, à l’appui de ce qu’il vient de dire, plusieurs interventions d’Emmanuel Macron]
« Monsieur le président, vous receviez l’ensemble des représentants des cultes le 21 décembre à l’Elysée. On vous prête l’usage de la formule « radicalisation de la laïcité ». Nous ne pouvons pas croire, car vous savez le poids des mots, car vous savez le nombre des morts, car vous savez quelle radicalisation tue et opprime, que ce terme sorte de votre bouche. […]
« Monsieur le président, depuis votre accession à la magistrature suprême, les médias ont assuré que vous alliez prononcer un discours – un grand discours même – sur la laïcité. En lieu et place d’un tel hypothétique discours, nous avons eu une série ininterrompue – il y en eut d’autres, devant le culte musulman ou juif notamment – une série donc de formules flatteuses à l’endroit des cultes, de mise en exergue du rôle des croyants et des pratiquants. Nous vivons une période de désécularisation foudroyante qui voit les questions religieuses envahir toutes les sphères de la vie sociale. Nous aurons au contraire besoin que la puissance publique contienne ces revendications religieuses et la pression qui s’exerce sur les croyants, mais aussi sur les non-croyants. Avec l’accumulation de tels discours, oui, les non-croyants et les agnostiques pourraient à bon droit se sentir désormais des citoyens de seconde zone. […]
« Monsieur le président, votre mandat vous laisse devant vous quatre ans pour vous adresser aux citoyens de notre pays, pour les rassembler et non les séparer, pour garantir la paix civile et la concorde, pour endiguer et non accompagner la communautarisation de la société, pour faire valoir l’intérêt général sur les intérêts particuliers. Nous ne demandons rien de plus. »
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1 – Jean-PHilippe Hubsch, qui lui succède, a été élu Grand maître le 23 août 2018.
2– Philippe Foussier fait allusion à un passage antérieur de son discours, où il rappelle l’intervention d’Emmanuel Macron devant les évêques de France le 9 avril 2018. Le président de la République y avait en effet parlé de « réparer » le lien « abîmé» entre l’Église et l’État (voir sur Mezetulle http://www.mezetulle.fr/comment-sauver-le-discours-de-macron-aux-eveques/ et l’article de Jean-Michel Muglioni http://www.mezetulle.fr/macron-aux-bernardins-la-transcendance-a-leau-de-rose-au-service-dune-politique/ ). Le 5 septembre, le président de la République a reçu les principales obédiences maçonniques : un bref compte rendu des échanges est publié sur le site du Grand Orient.
Merci de la reproduction des extraits de ce discours remarquable qui m’avait échappé !
Tout y est de notre écoeurement devant un président qui a enfumé son monde pour parvenir à ses fins, le vote des républicains de gauche et de droite attachés à une laïcité qui ne s’accommode d’aucun qualificatif porteur de tous les renoncements et qui, aujourd’hui sont terriblement déçus.
Merci pour ces lignes salutaires.
Il faudrait -mission éducative, pédagogique, scolaire- ne pas attendre que les plus jeunes soient enkystés dans des comportements, voire des réflexes, qu’on appelle pudiquement et hypocritement « culturels » pour leur apprendre que laïcité ne rime pas avec athéisme, mais que la première doit recouvrir toute la sphère publique. A commencer par sa parole officielle. Comme vous, j’ai été particulièrement choquée par les paroles lénifiantes et caressantes du Président à l’endroit des autorités religieuses devant lesquelles il a fait allégeance. Lesquelles étaient… béates d’admiration qu’on leur parlât avec tant de condescendance et de reconnaissance.
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