La question du port de signes religieux par des accompagnateurs de sorties scolaires n’est pas nouvelle. Dans un dossier, j’ai déjà récapitulé sur Mezetulle un ensemble d’articles dont certains remontent à 20141. Le sujet est de nouveau en débat, il faut donc y revenir. Voici quelques arguments et rappels qui plaident en faveur de l’interdiction de l’affichage religieux ou politique par les personnes accompagnant occasionnellement les élèves lors de sorties scolaires.
[Edit du 7 novembre. L’article ci-dessous a été partiellement repris dans une tribune collective intitulée « Voile des accompagnatrices scolaires : sortir de la confusion et de l’émotivité » parue dans Le Figaro du 7 novembre et en ligne sur Figarovox le 6 novembre Signataires : Fatiha Agag-Boudjahlat, Charles Arambourou, Laurent Bouvet, Martine Cerf, Elisabeth de Fontenay, Marieme Hélie-Lucas, Liliane Kandel, Eddy Khaldi, Catherine Kintzler, Sabine Prokhoris, François Rastier, Jean-Pierre Sakoun.]
La législation actuelle ne fait pas du port de signes d’appartenance religieuse ou politique un droit absolu pour les accompagnateurs2 bénévoles. Cette liberté qui leur est actuellement accordée a pour conditions le bon fonctionnement du service et l’absence de trouble à l’ordre public, lesquels sont appréciés par le directeur d’école ou le chef d’établissement – de sorte qu’un éventuel refus puisse être précisément motivé3. Mais, en l’absence de règle générale claire, tout est renvoyé (comme lors de l’affaire de Creil en 1989) aux enseignants sur le terrain et reste très sensible aux fluctuations de l’opinion.
1° Il conviendrait de considérer non pas le statut des personnes ni le lieu mais la nature de l’activité. Dès lors qu’il s’agit d’une activité scolaire, liée à un acte d’enseignement, on est bien dans le cadre de l’école et cela quel que soit le lieu et quelles que soient les personnes impliquées. À plus forte raison si la sortie est obligatoire4. Or c’est ce que la législation actuelle traite de manière inadéquate en distinguant ce qui a lieu dans les murs et hors les murs de l’école.
Pourtant, rappelons que l’article L.141-5-2 du code de l’éducation s’applique aussi « hors les murs » :
« L’Etat protège la liberté de conscience des élèves.
Les comportements constitutifs de pressions sur les croyances des élèves ou de tentatives d’endoctrinement de ceux-ci sont interdits dans les écoles publiques et les établissements publics locaux d’enseignement, à leurs abords immédiats et pendant toute activité liée à l’enseignement. »
2° Les personnes extérieures sont sollicitées pour encadrer les sorties scolaires à défaut de personnel disponible. En principe c’est le personnel de l’Éducation nationale qui devrait assurer ces accompagnements. Ce n’est donc pas une jouissance de droit pour ces personnes. On les sollicite non pas pour leur proposer gentiment une promenade, mais parce que l’EN n’a pas les effectifs suffisants pour assurer un service. En prêtant leur concours, les accompagnateurs extérieurs bénévoles concourent à l’intérêt général : c’est une excellente chose et on doit les en remercier. Mais le service changerait-il de nature du fait qu’on recourt momentanément à des personnes extérieures ?
3° Il semble aller de soi que les bénévoles extérieurs sont des parents d’élèves, et plus particulièrement des mères. Il n’en est rien ! Le directeur d’école peut solliciter ou accepter le concours d’accompagnateurs qui ne sont pas des parents. S’il s’agit de parents d’élèves, pourquoi privilégier les mères ? L’accompagnement scolaire serait-il une spécialité féminine et plus particulièrement maternelle ? Et si on accepte des mères portant un signe d’appartenance religieuse, il faut donc aussi accepter des « papas » portant kippa, kamis, turban, poignard sikh, que sais-je encore… Plus largement, on devrait accepter des personnes portant des signes syndicaux ou politiques. Voilà une étrange manière de « protéger la liberté de conscience des élèves ».
4° L’école publique doit-elle s’aligner sur le modèle fusionnel, intrusif et sélectif de la « maman » tel qu’il nous est présenté ad nauseam ?
Lorsqu’il s’agit de parents d’élèves, les accompagnateurs scolaires n’ont pas à traiter les enfants d’autrui comme s’ils étaient les leurs ; réciproquement ils doivent traiter leurs propres enfants comme s’ils étaient ceux d’autrui. Ce n’est pas en acceptant des formes ostensibles d’orthopraxie religieuse qu’on peut appliquer ce principe.
5° La figure pathétique familialiste de la « maman » suppose une conception de l’école qui ne soustrait pas les élèves à leur milieu, une école renvoyée sans cesse à son extérieur, au tourbillon social. Or l’école devrait offrir une double vie aux élèves, les dépayser sereinement, les convier à un ailleurs. On peut imaginer que des « mamans » souhaitent peut-être aussi vivre un moment qui les soustrait à leur environnement et à leurs obligations communautaires, faire l’expérience de ce que j’ai appelé ailleurs « la respiration laïque »5. L’élève qui ôte ses signes religieux en entrant à l’école publique et qui les remet en sortant fait cette expérience : il échappe par cette dualité, par cette alternance, aussi bien à la pression sociale de son milieu qu’à une uniformisation officielle d’État. Croire qu’une femme portant le voile serait incapable de comprendre et de pratiquer cette alternance, la renvoyer sans cesse à l’uniformité d’une vie de « maman voilée », c’est la mépriser et la fixer dans un rôle social. L’exempter de cette alternance libératrice, c’est cautionner, en la banalisant, la normalisation politico-religieuse qui fait du port du voile une obligation et un signe de « bonne conduite » islamique. Cela revient à dire à chaque musulmane « tu peux porter le voile tout le temps et partout, donc tu le dois ». C’est désarmer et abandonner celles qui, nombreuses, ne le portent pas, luttent pour ne pas le porter et entendent échapper au lissage de leur vie.
Notes
1 – Voir le dossier : http://www.mezetulle.fr/dossier-les-sorties-scolaires-et-leurs-accompagnateurs/
2– « Accompagnateurs » : j’emploie ici à dessein le genre non marqué (dit masculin).
3 – Voir la fiche 22 de l’édition mise à jour (septembre 2019) du Vademecum la Laïcité à l’école (p. 91-93 de l’édition imprimée, p. 82-84 de l’édition téléchargeable sur le site du Ministère de l’Éducation nationale), qui donne des exemples.
4 – Voir le communiqué du président de la Fédération des Délégués départementaux de l’Éducation nationale à la suite de l’audition au Sénat du 16 octobre 2019 : https://ahp.li/2a5696d5b6f94cffac61.pdf
5 – Voir sur ce site « Laïcité et intégrisme« .
Bonjour Catherine,
Juste quelques questions, car malgré votre argumentaire fort clair et si je puis dire, je n’arrive pas à me faire une « religion » sur ce sujet…
En fait mes hésitations résident dans le fait que quand j’étais petit (années 60), ma et nos mères portaient couramment des foulards… Certaines par dévotion catholique, d’autres simplement parce que c’était la mode de l’époque… et ça ne posait aucun problème à personne. D’ailleurs, à ma connaissance, personne n’aurait songé à en faire un sujet de débat et encore moins à soulever un problème de neutralité.
Donc, mes interrogations recouvrent en gros 2 sujets :
– ce qui pose problème ne sont-ils pas le regard et surtout l’interprétation de l’intention que nous posons sur les réalités ? En bref et plus simplement, qu’est-ce qui différencie le foulard de nos mères de celui des mères musulmanes ?
– le problème ne réside-t-il pas plutôt dans ce que vous avez maintes fois analysé et dénoncé ici même : l’école ayant été « désanctuarisée », elle a besoin aujourd’hui de se défendre contre toute forme d’ingérence extérieure par des lois qui ne seraient absolument pas nécessaires, si cette institution avait gardé l’autorité qui était la sienne jusque dans les années 70. N’est-ce donc pas se tromper de combat que de s’attacher aux signes plutôt qu’au fond de ce qui génère nos interprétations restrictives ?
Et pour illustrer mon propos, une casquette est-elle un signe ostensible d’une beaufitude répréhensible ? Et si le foulard ou la kippa redevenait ou devenait un accessoire de mode, cela changerait-il notre regard ?
Bref, je crains qu’à vouloir se défendre de signes extérieurs qui ne seront jamais que ce que nous interprétons de leurs intentions, on ne finisse par se détourner des vrais problèmes. On lâcherait alors la proie pour l’ombre et nous aurions tout perdu au niveau de la crédibilité de nos propres intentions.
Dans l’attente de vos lumières, bien amicalement.
Dans son ouvrage Territoires disputés de la laïcité. 44 questions (plus ou moins) épineuses, (PUF, 2018) Gwénaële Calvès, professeur de droit public, répond à des questions concrètes.
p. 142 La Question 27 demande :
« Que doit-on faire si un lycéen, lors d’un cours de natation, arbore un tatouage représentant une grande croix catholique ? »
Réponse (p. 142-144) :
« Votre question […] est l’occasion de rappeler que la loi du 15 mars 2004 […] interdit non pas les « signes religieux », comme on dit trop souvent pour aller vite, mais « le port de signes ou de tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ».
« Les élèves, qui ne sont pas des agents publics, ne sauraient être soumis à un devoir de neutralité. La loi de 2004 leur impose en revanche une obligation de discrétion. Comme le souligne sa circulaire d’application [18 mai 2004], elle « ne remet pas en cause le droit des élèves de porter des signes religieux discrets ».
« Mais qu’est-ce qu’un « signe discret » ? À lire la circulaire, un signe discret est le contraire d’un signe dont le port « conduit à se faire immédiatement reconnaître par son appartenance religieuse ». Certains signes sont donc interdits, car il semble impossible de les arborer discrètement : « Le voile islamique, quel que soit le nom qu’on lui donne, la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive ». Leur port est réputé traduire une intention de « manifester ostensiblement une appartenance religieuse ».
« Mais cette liste n’est pas limitative, puisque tout peut faire « ostensiblement signe », en fonction des circonstances (une casquette, une barbe, des gants, etc.). Ironiser, depuis une salle de rédaction parisienne, sur l’interdiction d’une « jupe longue » par un proviseur, c’est refuser de comprendre que la prétendue « jupe longue », dans le contexte particulier de son port par une élève précisément identifiée, est en réalité une abaya, par laquelle l’élève entend « se faire immédiatement reconnaître par son appartenance religieuse ».
« Votre question présente la situation exactement inverse. La « croix de dimension manifestement excessive » est citée par la circulaire comme le type même du signe interdit. Mais ce n’est pas le signe en tant que tel qui compte. En l’occurrence, il est totalement invisible, sauf quand l’élève est nu (ou presque). Il semble donc pouvoir être qualifié de « discret ». Sinon, quel signe le sera ? »
Les propos de Catherine Kintzler sont, comme toujours, très pertinents, et j’y adhère avec force. Toutefois je crains qu’il ne soient inopérants dans ce cas précis : depuis quelques semaines, trop de représentants de l’autorité publique ont énoncé des jugements hâtifs, insuffisants, ou qui refusent de nommer le problème ; et trop de médias ont cédé au pathos des « sensibilités religieuses blessées ».
Au surplus, trente ans après l’apparition du hijab et grâce au succès de l’islamisation salafiste dans la société française, cet insigne politico-religieux peut enfin passer pour un insigne simplement « culturel », puisque tant de femmes le portent désormais.
Tout est, en effet, embrouillé à souhait et l’intervention tonitruante d’un conseiller régional n’a pas arrangé les choses au moins pour deux raisons. 1° Bien qu’il évoque la laïcité, la loi ne va pas dans son sens pour la raison que Catherine Kintzler a philosophiquement expliquée : le principe de laïcité, politique, concerne l’Etat et non l’espace public. En l’occurrence, ce qui est problématique ce n’est pas que la personne en cause ait porté un voile dans l’enceinte du Conseil régional mais qu’elle était accompagnatrice scolaire. 2) Même si la loi allait dans son sens, ce n’est pas à lui de la faire appliquer : seules des mandatés par le pouvoir politique (policiers, magistrats) sont habilités à le faire. Ce qu’il a fait est grave car il apporte de l’eau au moulin à ceux qui considèrent que la laïcité est restrictive et qu’il serait, par conséquent, avisé de la rendre plus ouverte, plus tolérante alors qu’elle est pourtant la condition de la liberté. En effet, si le bien commun passe avant tout, s’il est une affaire de principe – il est donc transcendantal et non empirique, il est nécessaire qu’il se distingue de tout partis pris même valable (le voile religieux tend tout de même à considérer les femmes comme des mineures et il est en partie une arme de guerre contre la possibilité d’une société libre, la naïveté n’est pas innocente à ce point de vue comme les positions d’un Tarik Ramadan le confirment) ou condamnable (« défense » identitaire de la France, racisme déguisé, etc.). En réalité, comme le montre Catherine Kintzler particulièrement bien (je n’écris pas cela par flagornerie mais parce que c’est la vérité), la laïcité politique laisse sa place à la confrontation des idées, au débat et interdit de légiférer en ce domaine. Les femmes voilées n’ont pas à être condamnées même lorsqu’elles manifestent par là d’une servitude qui peut être volontaire (bien des musulmanes abhorrent le voile) ou, à l’inverse, un journal n’a pas à se voir interdire la publication de caricatures antireligieuses. La « spititualité laïque », de son côté – elle existe, ne saurait se présenter comme obligatoire. Au demeurant, la plupart des organisations laïques (solidaires, syndicales, industrielles, associatives, professionnelles, etc. ) ne réclament rien de tel. En résumé, la laïcité n’interdit qu’une chose : le privilège, voire l’exclusivité dont bénéficierait politiquement une obédience quelconque car cela reviendrait à faire violence à la société tout entière et empêcher ce qui relève du choix de chacun ainsi que la possibilité même de toute discussion, au fond de tout échange. Garante de la liberté, la laïcité est, aussi, condition de toute société humaine quelque peu digne de ce nom.
Merci chère Catherine pour cette limpide et salutaire mise au point.
Et en particulier merci pour les observations sur l’usage, qui envahit aujourd’hui le discours médiatique et même politique, du terme de « mamans », et sur tout ce que cet usage suppose de confusion régressive et de paternalisme.
On a d’ailleurs aussi droit ces temps-ci aux « papas » : Olivia Grégoire, élue de la République en marche, a expliqué récemment que Benjamin Griveaux était un « papa attentionné », et que pour cela il serait un bon maire de Paris…
Vocabulaire qui porte à l’évidence une vision familialiste de la politique – cela peut hélas s’observer, depuis quelque temps, d’un bout à l’autre de l’échiquier politique aujourd’hui.
Bonjour Madame
J’estime que le débat qui vient de faire à nouveau l’actualité à la suite de l’intervention du conseiller régional Julien Odoul en séance publique témoigne de la confusion entre ce que vous avez à maintes reprises désigné comme « l’espace de constitution du droit et des libertés (espace de l’autorité publique rendant les droits possibles) et « celui de leur exercice (espace civil ouvert au public et espace privé » http://www.mezetulle.net/article-28976423.html
Je considère que les propos de Jean-Michel Blanquer selon lesquels « le voile n’est pas souhaitable dans notre société » participe à cette confusion en alimentant les discussions aussi interminables que vaines d’un faux débat entre une laïcité « apaisée » et une laïcité « combative ».
Ils m’ont rappelé d’autres déclarations politiques :
Ceux du maire de Melun au sujet de l’installation d’une crèche dans la cour de la mairie « Nous ne sommes pas en infraction, dans la mesure où nous ne considérons pas la crèche de Noël comme un signe religieux mais plutôt comme une tradition familiale !, remarque Gérard Millet. Les accusations des membres de cette association me paraissent correspondre à une interprétation sectaire de la laïcité. Je connais, par ailleurs, des non-croyants qui réalisent une crèche au pied de leur sapin.» https://actu.fr/ile-de-france/melun_77288/les-defenseurs-de-la-laicite-veulent-faire-annuler-la-creche-de-noel-a-melun_6848850.html
Qu’un élu assimile la mairie avec un domicile privé, c’est grave !
Ceux du président du Conseil général de Vendée confondant l’espace public et l’espace commun lorsqu’il a réagi à la décision du tribunal administratif de Nantes de retirer la crèche qu’il avait installée dans le hall de l’hôtel du département en déclarant : « Le respect de la laïcité n’est pas […] l’abandon de toutes nos traditions et la coupure avec nos racines culturelles. Faudrait-il interdire les étoiles dans les guirlandes de Noël qui décorent nos rues en ce moment, sous prétexte qu’il s’agit d’un symbole religieux indigne d’un espace public ?» http://brunoretailleau.net/2014/12/03/creche-de-noel-le-conseil-general-fera-appel/
Qu’un élu assimile le Conseil général avec la rue, c’est grave.
Espace privé, espace public et espace commun sont souvent confondus, et cette confusion manipule toujours la laïcité et par là même la religion.
J’ai un moment considéré que le président de la République s’attachait à cette distinction lorsqu’il a déclaré « Le port du voile dans l’espace public n’est pas mon affaire, c’est ça la laïcité, le port du voile dans les services publics, à l’école, quand on éduque les enfants, c’est mon affaire. C’est ça la laïcité ».
Malheureusement son interview à Valeurs Actuelles est très ambigu, il y déclare qu’ « on a été pendant 15 jours l’otage de 2 périls qu’il faut éviter:, le communautarisme et le rassemblement national, voilà pourquoi je n’ai pas voulu entrer le dedans » . Sauf qu’en n’y « entrant pas » il contribue largement à laisser la République pris au piège.
Le vote pour l’interdiction du port de signes religieux (non pas le seul voile) des accompagnants scolaires aurait pu avoir une vertu pédagogique dépassionnée s’il avait été préparé à cette fin, en extrayant la laïcité des récupérations politiques : celle de droite qui en fait l’avatar de la revendication identitaire, celle de gauche qui en fait l’avatar du communautarisme en confondant le droit à la différence avec la différence des droits.
Une fois de plus ce n’est pas le cas !
Quand le président de la République déclare à Valeurs Actuelles que Julien Odoul « s’est fait coincer. Apparemment cette femme est plus proche des milieux de l’Islam politique qu’on ne le croyait. Mais il en a fait une victime au nom de toutes les femmes voilées qui n’embêtent personne …» je crains qu’il ne se méprenne : c’est la puissance publique qui vient de se faire coincer !
Je considère pour ma part que la République a malheureusement beaucoup trop tergiversé sur cette question. En 2015 j’ai écris au Président de la République en lui posant cette question : « La République peut-elle se satisfaire de la position actuelle de la Ministre de l’Education Nationale concernant les sorties scolaires, qui inverse le principe de la circulaire Chatel du 27 mars 2012 toujours en vigueur puisqu’elle ne l’a pas abrogée. Il en résulte une situation d’insécurité pour les professionnels que le rapport de la commission Stasi pointait déjà – il y a 12 ans ! – en relevant le désarroi de fonctionnaires « désemparés » qui « attendent un soutien de l’Etat, une ligne claire et ferme »
Il a été rappelé récemment la position du conseil d’ Etat dans son avis de 2013 .Dans son livre « Territoires disputés de la laïcité »(PUF 2018) Gwénaële Calvès qualifie cet avis de « réponse de Normand » où « Chacun a retenu ce qu’il voulait retenir : les uns que le Conseil d’Etat confortait la circulaire Chatel ; les autres qu’il l’a récusait ».
Quel gâchis !
A la suite des déclarations de J.-M. Blanquer constatant que le voile islamique n’était pas « souhaitable » dans notre société laïque, circule depuis quelques jours une pétition lancée par la Fondation Copernic et relayée par le journal L’Humanité exigeant la démission du ministre de l’Education nationale. Dans un premier temps, le propos de cette pétition relève d’une défense – il est vrai larmoyante et bourdivine – de l’école émancipatrice : il y est affirmé que, par la réforme du lycée et du bac que J.-M. Blanquer a mis en œuvre, celui-ci poursuit le travail de sape de l’instruction publique mené depuis plus de quarante ans qui rend impossibles le métier de professeur et l’enseignement des élèves. Mais le milieu du texte de la pétition laisse songeur – pour ne pas dire plus : « Dans les beaux quartiers, les mamans en foulard Hermès accompagnent à loisir, et par loisir, les sorties scolaires. Dans les quartiers pauvres, pas de sortie scolaire si une maman affiche une identité culturelle qui déplaît à J.-M. Blanquer, ancien de l’école privée catholique Stanislas ». En confondant sciemment les qualificatifs « cultuel » et « culturel », les auteurs de cette pétition sombrent aussitôt dans une conception relativiste et obscurantiste de l’école. Le hidjab n’est pas un vêtement anodin : il est le signe d’une contrainte religieuse de « pudeur » imposée à la femme ; dit plus ostensiblement, ce morceau de tissu montre que la femme est impure et qu’elle doit se cacher des hommes qu’elle aguicherait sinon ; la femme, par nature, est corruptrice et en conséquence doit se dissimuler aux regards de ceux qu’elle tente. En mettant sur un pied d’égalité deux foulards, l’un comme signe vestimentaire de distinction sociale et l’autre comme signe politique de relégation sociale, les auteurs de cette pétition sont le contrepoint exact de J.-M. Blanquer : quand ce dernier voit dans le hidjab une possible atteinte au principe de la laïcité et, dans un même temps, vide l’école de sa vertu laïque (en détruisant l’enseignement dispensé au lycée comme en primaire, en facilitant l’emploi de professeurs contractuels en lieu et place de professeurs recrutés sur concours nationaux…), les signataires de cette pétition demandent une école émancipatrice, c’est-à-dire une école comme lieu où l’élève est protégé des asservissements sociaux, familiaux et religieux, et, dans un même temps, pensent que les sorties scolaires ne sont pas l’école et qu’elles peuvent être l’occasion pour les élèves d’être accompagnés par une « maman » portant sur elle un signe contre-laïque demandant le bannissement civil d’une partie du genre humain.
Tous les points de vue sont possibles sur une telle question et les commentaires le prouvent si besoin était.
Mais n’oublions pas, sauf à risquer d’être tristement misogynes, que la question du voile islamique (du corps des femmes et pas seulement de leur visage ou de leurs cheveux) n’est pas qu’un sujet de laïcité, cette dernière pouvant le rendre indésirable jusqu’à l’interdit en tant que marqueur religieux dans les espaces où la laïcité produit ses effets.
La question est aussi (et peut-être même surtout) celle du respect de la moitié féminine de l’humanité et de son émancipation de son homologue masculin ainsi que des confessions ou idéologies que ce dernier s’est ingénié à inventer pour assoir sa domination.
En conséquence, on voit bien de quelle question notre président, en disant que le voile dans l’espace public n’était pas son affaire, s’est désintéressé !
Edifiant et triste pour une pensée dite volontiers complexe.
En fait, une honte pour le coeur et pour l’esprit.
Sans vous avoir lu Catherine, dans ce billet, je vous rejoints : https://contre-regard.com/laicite-et-accompagnantes-ou-accompagnant-scolaire-il-est-necessaire-de-clarifier-leur-statut/