L’attentat perpétré au musée du Bardo ne vise pas seulement à effrayer les touristes essentiels à l’économie tunisienne : il est symbolique du refus radical des islamistes d’admettre qu’il y ait eu d’autres civilisations avant l’islamisation de ces contrées. Ils font aussi table rase de tout ce qui ne correspond pas à leur idée de l’islam – y compris les mosquées ou les œuvres d’art islamiques qui ne sont pas conformes à la représentation qu’ils en ont. Enseigner l’histoire avec toute sa dimension chronologique, c’est leur résister.
Quelque temps après la révolution, je suis retourné à Tunis que la dictature me faisait fuir. J’ai tenu à revoir le musée du Bardo dont les remarquables transformations étaient presque achevées. Un étudiant nous a guidés, fier de montrer la richesse de l’histoire de son pays depuis l’Antiquité : Tunisie carthaginoise et romaine, avec ses femmes dénudées sur les mosaïques (est-il vrai que c’est interdit au Louvre Abu Dhabi ?) et les grappes de raisin dont on fait le vin, Tunisie chrétienne aussi, et Tunisie de l’art islamique. Les Tunisiens tiennent à garder la mémoire de leur histoire complexe, au carrefour de l’Orient et de l’Occident, au carrefour de l’Europe et de l’Afrique, à quelques encablures de la Sicile. Ils veulent aussi que les années du protectorat français soient leur histoire et n’oublient pas la présence chez eux d’une communauté juive – la synagogue de la Ghriba est aujourd’hui encore un lieu de pèlerinage à Djerba. Un peuple décide de son histoire.
L’attentat perpétré au musée du Bardo ne vise donc pas seulement à effrayer les touristes – une vingtaine ont été tués – essentiels à l’économie tunisienne : il est symbolique du refus radical des islamistes d’admettre qu’il y ait eu d’autres civilisations avant l’islamisation de ces contrées. Ils font table rase de tout ce qui ne correspond pas à leur idée de l’islam – y compris les mosquées ou les œuvres d’art islamiques qui ne sont pas conformes à leur représentation de l’islam.
Les commentateurs ont à juste titre noté que la Tunisie revendiquant la richesse, la diversité et les contradictions de son histoire, elle est l’ennemie jurée des islamistes, plus encore que la France laïque, parce qu’elle est musulmane. Ils ont donc demandé que l’Europe l’aide. Mais en paierons-nous le prix, ou faudra-t-il, avec l’Allemagne, attendre que la Grèce ait réglé ses dettes ?
Une seconde décision me paraît aussi importante, et moins onéreuse : qu’on enseigne à l’école non pas les vertus de quelque religion que ce soit, ou même je ne sais quel catéchisme républicain, mais bien l’histoire, l’histoire tout entière. Je me souviens de camarades de classe qui me traitaient de païen à l’école primaire parce que je n’allais pas au catéchisme. Je sais que généralement les musulmans, même ceux qui n’ont rien de fanatique, ne savent rien de l’histoire de la religion et de la civilisation islamiques. Ainsi, de même que la croyance en l’historicité du Christ a été un obstacle considérable à l’étude historique des débuts du christianisme, de même la sacralisation du Coran interdit parfois d’envisager qu’il soit un livre écrit par des hommes au cours de plusieurs siècles. Le soumettre à la critique philologique et historique est un sacrilège : c’est contester qu’il ait été dicté au Prophète par Dieu. Mais, je le répète, il a été longtemps impossible d’envisager publiquement que les événements racontés par les Évangiles ne soient pas historiques. On était brûlé pour moins que cela. On comprend donc que l’établissement d’une chronologie est essentiel à la connaissance historique : sans cela, pas de critique historique. Les subtilités des responsables de l’enseignement de l’histoire, qui relativisent l’importance de la chronologie, quand ils ne prétendent pas qu’elle est vaine, sont des fautes majeures. Peu importe qu’alors nous retenions des dates dont l’importance est contestable. Comment, sans chronologie, comprendre ne serait-ce que la date de l’Hégire et son sens ?
Il est urgent d’enseigner de nouveau la chronologie de l’école primaire au lycée.
©Jean-Michel Muglioni et Mezetulle, 2015
Bonjour,
Excusez-moi d’être un peu chipoteuse mais ne pourriez-vous pas écrire Histoire avec un « H » majuscule quand il s’agit de la matière historique, la « grande Histoire » ?
Pour ce qui est de la chronologie, j’approuve totalement votre point de vue ! Moi-même, professeure d’Histoire retraitée, j’ai soutenu cette idée pendant des années : à force de n’enseigner que des « tranches » d’Histoire, souvent sans les situer dans une continuité chronologique, les élèves ont perdu tout sens de la logique des évènements. C’est particulièrement grave quand on arrive au niveau Terminales. Le pire à mon avis est que certains enseignants adhèrent à ces méthodes ! On m’a dit que je devais me remettre en question, me « moderniser » !
Cordialement,
Catherine Lefèvre
B
Bonsoir,
En Tunisie non seulement la chronologie n’est pas enseignée mais au collège l’histoire commence à l’indépendance. Il y a une amélioration car sous la dictature Ben Ali on avait même supprimé la période
bourguibienne. Ces barbares ne sont pas venus de nulle part mais d’un système politique qui préférait
les ignorants aux hommes éclairés.
Mon propos visait l’enseignement français et le fait qu’il interdit aux élèves de se repérer dans le temps. Et je veux bien croire ce que vous dites des programmes tunisiens.Il n’empêche que de nombreux tunisiens, et parfois des institutions comme le musée du Bardo, tiennent à ce que leur pays reconnaisse la diversité dont il est fait et n’oublie aucune portion de leur histoire.
Je ne suis pas historienne, mais simple citoyenne et profondément laïque, je partage entièrement votre point de vue sur l’enseignement chronologique de l’histoire pour lui donner du sens.
La mémoire historique est essentielle pour comprendre le présent et donner des repères dans l’aventure humaine. C’est aussi, il me semble, un rempart de plus contre les barbaries.
Cordialement,
Pierrette Pasquini