L’un des premiers articles de ce site fut consacré au glas qui résonna à la cathédrale de Paris, après l’attentat meurtrier contre Charlie-Hebdo en janvier 2015. Je n’oublierai jamais que le sombre et puissant bourdon sonna, oui, pour des « mécréants », signant ainsi, une nouvelle fois, l’inscription de Notre-Dame de Paris dans l’histoire nationale et universelle : ce monument au sens plein du terme appartient à tous. Il appartient à tous dorénavant de le célébrer et d’en prendre la relève.
Je n’oublie pas non plus que, quand j’entre dans une église de mon pays pour y voir quelque merveille, pour y goûter l’invitation à la sérénité, pour y vibrer à l’harmonie que de grands musiciens ont su faire entendre aussi bien à l’autel qu’au théâtre, personne ne me surveille pour voir si je me signe, personne ne me demande une quelconque génuflexion. Et cela est juste, car les œuvres, dans leur superbe auto-suffisance, n’ont pas besoin d’un directeur de conscience qui mette leur contemplation sous condition. Pour que chacun les admire, les inscrive aux humanités, les œuvres réclament quelques lumières, un peu d’attention et d’instruction. Alors, je m’incline librement et mentalement devant des siècles de pensée, de savoir, de savoir-faire offerts par ce trésor, cette « âme résumée » de civilisation dans un grandiose tracé de pierre, de bois et de verre rythmé par le nombre d’or.
Maintes fois, empruntant une ligne de métro qui, depuis un viaduc sur la Seine à l’Est de Paris, offre une vue sur l’élégante pointe orientale de l’île de la Cité, avec l’abside et le chevet de la cathédrale apparaissant alors comme un vaisseau, j’en ai voulu à mes compagnons éphémères de trajet de regarder ailleurs ou, pire, de rester les yeux rivés sur l’écran d’un candy crush. Je me retenais de leur crier : ouvrez les yeux, relevez la tête et tournez-la de ce côté !
Peut-être quelques-uns ce matin, en jetant un œil effaré sur le tableau encore fumant, auront-ils regret de n’avoir pas conservé en eux, pour redonner à Paris la gracieuse poupe de son vaisseau, le souvenir vivant de ce qu’ils avaient tous les jours sous les yeux. Et que ce vaisseau amiral des humanités, entamé par les flammes et battu par les flots, avec tout ce qu’il embarque et représente, ne sombre pas : c’est leur affaire, c’est notre affaire.
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Peu après le début de l’incendie, deux tweets de la vice-présidente de l’Union nationale des étudiants de France à Lille, ont commenté l’événement : 1. « jusqu’à les gens ils vont pleurer pour des bouts de bois wallah vous aimez trop l’identité française alors qu’on s’en balek objectivement c’est votre délire de petits blancs ». 2. « je m’en fiche de notre Dame de Paris car je m’en fiche de l’histoire de France ».
Devant le scandale, Hafsa Askar a dû retirer ses tweets, et la présidente de l’Unef semble considérer que l’incident est clos (https://etudiant.lefigaro.fr/article/notre-dame-de-paris-les-tweets-de-dirigeants-de-l-unef-scandalisent-les-internautes_c6cff094-601b-11e9-9daa-1e85594be702/).
Tout est dit ici :
« Pour que chacun les admire, les inscrive aux humanités, les œuvres réclament quelques lumières, un peu d’attention et d’instruction. »
Inculture et ignorance crasse. Pauvre fille, pauvre UNEF ! On fait interdire Eschyle et on se réjouit de l’incendie !
Le monument entre dans l’horizon de ce que l’on peut voir quotidiennement et que l’on finit par ne plus regarder. Il ne bénéficie pas de ces mécanismes de séparation ( scène, générique, accord des instruments…) qui annoncent l’oeuvre et redonnent au regard une intention. Il y a un temps pour regarder ce qui est digne d’être regardé, ce qui est admirable. L’exemple de l’incendie est pris par Hegel pour illustrer le thème fameux de la ruse de la raison. On peut en conclure qu’il ne faut pas rater le moment de contempler ce qui est beau, tout simplement parce que c’est beau, indiscutablement beau et qui rassemble les « penseurs libres » et les hommes de foi, comme moi. En communauté de raison commune et de ce tressaillement du plus profond de notre être devant la beauté de ce qui se donne dans l’absolu de la pure gratuité….
Cet événement est lourd de conséquences positives :
– il est révélateur à plus d’un titre de la puissance mythique, primitive du feu, de quelque ressort dissimulé ou plutôt recouvert du fonctionnement des sociétés humaines, de leur rapport à la magie et au sacré ;
– c’est un événement spectaculaire dont on peut se repaître des images en toute bonne conscience : aucune victime sérieuse. Un soulagement donc ;
– c’est également un révélateur du jeu des classes sociales. « La bourgeoisie intellectuelle », petite ou grande selon la définition du philosophe Jean-Claude Milner s’exprime abondamment sans mollir du trémolo, sur la beauté, l’art, la légende des siècles, la culture, le patrimoine, etc.
Avec quelques exagérations : « un immense chagrin, un grand malheur pour l’humanité » ai-je lu quelque part. Eh ben ! Après l’immense pression fiscale, l’immense chagrin. L’adjectif immense va s’épuiser à force d’emplois.
De la sincérité certes mais aussi le besoin de faire la preuve de son existence et de son savoir-faire ;
– le patrimoine appartient à tout le monde et en particulier aux grandes fortunes ;
– c’est une aubaine pour les politiciens, en lutte pour reconquérir pouvoir et réputation. Acquérir la fameuse stature d’homme d’État. La cathédrale doit être réparée en moins de temps qu’il ne faut pour le dire . Ce serait bien si cela coïncidait avec les jeux olympiques. S’ensuit une polémique sur une fausse, voire absurde, question : faut-il reconstruire à l’identique ?
– les vendeurs de « souvenirs » font de bonnes affaires, tant mieux pour eux, – les escrocs escroquent, tant pis pour nous ;
– enfin la société a trouvé son héros en la personne du pompier. Peut-être que cela dissuadera certains de caillasser les véhicules rouges et qu’on leur témoignera un peu plus de respect.
Effectivement pauvre UNEF! Mais si on y regarde de près, ce sentiment n’est pas si rare et pas si nouveau bien que s’étant exprimé pendant longtemps d’autres façons, et avec des références différentes. C’est choquant à plusieurs titres. Il y a tout d’abord l’absence de culture ce qui pour une étudiante est plutôt grave,. Il y a également la négation du symbole que représentent Notre-Dame et le Quartier latin. Il y a, ce qui est encore plus grave, l’incapacité à museler sa haine à l’aide de la réflexion, et qui peut donner lieu à toutes les dérives. Les étudiants sont bien à plaindre d’être ainsi représentés mais dans un système démocratique on est responsable de ses élus. Serions-nous les témoins d’une époque d’inculture et de barbarie?
http://pascalebussonmartello.over-blog.com/2019/04/le-bourdon.html
Bien sûr, Chère Catherine Kintzler, si vous estimez qu’il n’y a pas lieu de signaler ces lignes, vous pouvez ne pas publier. Elles sont « du jour d’après » …
J’ai souvenir d’une parés-midi d’hiver début de années 70 où, flânant dans l’île de Cité après un sorbet chez Bertillon vers 16 h, être entré dans Notre-Dame, pas très fréquentée alors, avoir entendu l’orgue dans cette magnifique nef et avoir ressenti profondément une « spiritualité » sans lien avec la religion ou les croyances mais simplement avec les pouvoirs de l’être humain de créer du Beau.
Grande tristesse de voir un incendie détruire une partie de ce qui a été bâti par des « oeuvriers » anonymes, mais l’essentiel a été heureusement préservé et nos constructeurs actuels sauront panser les plaies béantes de cet édifice inscrit à juste titre au patrimoine de toute l’Humanité.
Un Franc-maçon athée fervent Humaniste